Devoir de Philosophie

Iran "C'est l'apprentissage d'une démocratisation graduelle et difficile"

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

18 février 2000 "Comment interprétez-vous ces premiers résultats des législatives en Iran ? - C'est encourageant. Ils montrent qu'une grande partie de la société iranienne se range non pas derrière [le président Mohamad] Khatami, mais derrière l'esprit de réformes, et surtout rejette ceux qu'on pourrait appeler les conservateurs, qui n'ont aucun projet de société, et dont la seule proposition était de préserver les acquis de la révolution, c'est-à- dire leurs privilèges, leur forteresse et leur accès presque exclusif à la rente pétrolière. Je vois là l'avènement d'une nouvelle génération et surtout l'apprentissage de ce que l'on pourrait appeler une démocratisation graduelle et difficile. On a le sentiment que cette nouvelle génération et ces intellectuels qui appartiennent à la génération d'avant ont appris ce qu'on pourrait appeler la tolérance. " La tolérance est actuellement tellement en vogue en Iran qu'il y a au moins six ou sept mots pour l'exprimer, qu'on charge à chaque fois d'une signification récente. Tolérance vis-à-vis des autres, ouverture, remise en cause de ce que l'on pourrait appeler la vérité absolue en relation avec une utopie révolutionnaire... - Mais le projet de ceux qu'on appelle les réformateurs ne paraît pas clair non plus... - Sur le plan économique, c'est totalement opaque. Sur le plan politique, c'est relativement clair : ils veulent une ouverture de la société, qu'il y ait une participation, que finalement on remette en cause ce qu'on pourrait appeler la vieille vision manichéenne en termes de bien et de mal. Surtout, il y a cette idée qui est relativement récente dans la société iranienne, qu'il ne faut pas attribuer toutes nos faiblesses, nos déficiences à l'étranger mythique, à un Occident corrupteur. " C'est un progrès immense, surtout de la part de cette génération d'intellectuels totalement désenchantés par la révolution et des jeunes qui ont compris que ce n'est pas par la baguette magique d'une révolution qu'on pourra changer totalement la société ; que c'est un apprentissage lent, douloureux, difficile, et que même s'il y a un raz-de-marée réformateur au Parlement, il ne faut pas s'attendre à un bouleversement des relations socioculturelles. - A quoi tient la maturité des jeunes, alors qu'il n'y a jamais eu en Iran de tradition démocratique ? - Il y a d'abord l'influence - que je ne veux pas exagérer, mais qui est importante dans les classes moyennes - de la diaspora. Une diaspora surtout installée aux Etats-Unis (plus d'un million de personnes), au Canada, un peu en Australie, en Europe. Finalement, chaque membre des classes moyennes en Iran a quelqu'un "là-bas". Les relations n'ont jamais été aussi étroites. Il y a aussi le discrédit de l'utopie de masse à l'échelle internationale. En troisième lieu, il y a eu des changements imperceptibles dans la société iranienne, en relation avec la famille. Il y a vingt ans, il y avait une tension énorme entre les jeunes et les vieux. Au nom de la révolution, la jeunesse voulait se substituer aux vieux. Maintenant les tensions naissent du fait que les jeunes, qui ne connaissent pas l'Occident, s'en sont quand même constitué un imaginaire. Et puis, il y a les médias : plus de mille magazines et journaux circulent en Iran... Enfin, si depuis trois ans Khatami n'a pas pu faire grand-chose pour améliorer le niveau de vie des gens, ceux-ci ont quand même compris que, ce qui rend le réformisme à la Khatami intéressant, c'est moins sa capacité à améliorer le quotidien, que le fait d'avoir ouvert le champ culturel et politique. - Pensez-vous que certains conservateurs, conscients de ces changements, pourraient évoluer vers le centre ? - J'en doute fort, même si je l'aurais souhaité, car une démocratie ne se construit pas avec une seule faction. Ils ont le sentiment qu'ils perdent du terrain et s'accrochent à des privilèges de manière égoïste et individuelle. Le seul qui ait voulu faire quelque chose c'est l'ex-président Rafsandjani. Il aurait pu fédérer un peu cette droite éclatée et crispée. Mais il est rejeté, les gens ne l'aiment pas. - Ils risquent donc d'exercer leur capacité de nuisance plus encore qu'au cours des trois dernières années. - Tout à fait. Mais ils seront alors encore plus délégitimés et marginalisés, parce que, si la majorité réformiste se confirme, l'indignation sera plus grande encore contre cette droite qui pratique la politique "deux poids deux mesures" en matière de justice, de distribution des biens et des services, etc. En revanche, je crains qu'en l'absence d'une unité de la droite les réformateurs ne se divisent. Déjà au niveau économique, certains sont pour une sorte de libéralisme timoré, d'autres pour le maintien de l'étatisme. La jeunesse va demander des réformes économiques. Khatami ne pourra pas survivre à l'absence d'un projet économique sur le long terme." PROPOS RECUEILLIS PAR MOUNA NAIM Le Monde du 22 février 2000

Liens utiles