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Jean-Pierre Raffarin le discret

Publié le 17/01/2022

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7 mai 2002 FEIGNANT encore, il y a peu, de n'avoir reçu aucun « signe « probant de sa future nomination comme premier ministre, Jean-Pierre Raffarin aura joué les modestes jusqu'au bout. Au début de l'année, alors que son nom figurait déjà en tête de liste des favoris pour Matignon en cas de réélection de Jacques Chirac, le sénateur de la Vienne cherchait, encore et toujours, à convaincre de son désintéressement. « Je réfléchis à l'après-politique «, indiquait-il ; évoquant sa passion pour la géographie, il assurait - sans rire - avoir « envie de connaître le désert «... Matignon ? « En politique, ce doit être le dernier des jobs. C'est vraiment le job où on se fait dévorer. On ne doit pas souhaiter ça à un de ses amis «, soutenait-il le 9 septembre 2001, lors du « Grand Jury RTL- Le Monde - LCI «. La posture, qui en a dérouté plus d'un, était habile : évitant de s'exposer lui-même, M. Raffarin, tel un judoka, s'est servi du poids de ses rivaux pour les déstabiliser. Ainsi a-t-il engrangé les points que perdait peu à peu Nicolas Sarkozy, dont le « forcing « n'a pas manqué d'agacer en haut lieu. Discret en public, le président de la région Poitou- Charentes a préféré consolider ses liens avec ceux qui comptent en Chiraquie : les Chirac mère et fille, ainsi que le conseiller du président, Jérôme Monod. Sans oublier, bien sûr, Alain Juppé : le premier ministre, avait-il prédit, serait « juppéo-compatible « ou ne serait pas. Il l'est. Au cours des derniers mois, M. Raffarin n'est sorti de sa réserve que lorsque, relayant les critiques de ses rivaux, on lui a opposé des arguments pouvant plaider contre son arrivée à Matignon. Ainsi a-t-il toujours assuré que le problème de son déficit de notoriété serait « réglé le jour de la nomination «. Manque d'expérience ? « La région est un petit Matignon «, répliquait-il. Le sénateur, qui n'a jamais été élu maire ni député, serait-il fâché avec le scrutin majoritaire ? M. Raffarin renvoyait encore à ses campagnes menées comme tête de liste aux régionales. Laissant ensuite à ses interlocuteurs le soin de deviner ses atouts. Son appartenance à Démocratie libérale, ce « parking « où il a suivi à reculons Alain Madelin, en compagnie de son ami Dominique Bussereau, en est un. Afficher à Matignon une étiquette non-RPR permet aux gaullistes - et en premier lieu à M. Juppé - d'occuper d'autres postes sans encourir le risque d'une campagne sur le thème du retour de « l'Etat RPR «. D'autant que M. Raffarin, qui a pris soin de ne pas se couper de ses amitiés centristes, peut se poser en rassembleur de la droite. A l'heure du rejet du parisianisme, l'ancrage provincial du président de la région Poitou-Charentes est un autre atout : il lui permettra, au diapason de la rhétorique chiraquienne, de défendre la « France d'en bas « contre les élites. Pour faire bonne mesure, M. Raffarin dispose d'indéniables qualités personnelles : personnage tout en rondeur, il est aussi affable que bon orateur. Expert en communication - il a été directeur du marketing de Jacques Vabre, puis, de 1981 à 1988, directeur général de Bernard Krief communication - l'homme a le sens des formules. Parmi d'autres, la « République des proximités « a trouvé place dans les discours du président. En dépit de la morosité de la campagne, le sénateur de la Vienne aura réchauffé les dizaines de salles où il a promené sa silhouette de notable, épaules tombantes et nez cassé. Surtout, le président de la région Poitou-Charentes est passé maître dans l'art du consensus, ce qui a probablement contribué à lui donner un profil de centriste prétendument égaré au pays des libéraux... « Edith est perdue, elle ne sait pas écouter «, avait-il dit à propos de sa voisine de Châtellerault, Edith Cresson, alors premier ministre, avec laquelle il entretenait de bonnes relations. Parvenant à s'attirer les bonnes grâces - et les voix - des chasseurs comme des écologistes au sein de son conseil régional, Jean-Pierre Raffarin a fait de l'assemblée qu'il préside efficacement depuis 1988 un laboratoire du dialogue. Traitant ses adversaires avec autant de courtoisie, sinon plus, que ses amis, il organise de grandes concertations, où l'opposition a largement la parole, pour dégager des axes de travail consensuels. Les maires des villes chefs-lieux, à commencer par le radical de gauche Michel Crépeau, puis son successeur socialiste, Maxime Bono, à La Rochelle, ont toujours été étroitement associés. Né le 3 août 1948 à Poitiers, Jean-Pierre Raffarin a baigné très tôt dans la politique. D'abord dans l'ombre de son père, Jean, qui fut président de coopératives agricoles, député, puis secrétaire d'Etat à l'agriculture dans le gouvernement de Pierre Mendès France. Puis dans l'orbite de René Monory, incontournable patron du département de la Vienne, qui enseigna à « Raff « - son surnom de jeunesse - toutes les recettes, petites et grandes, de la cuisine politique locale et nationale. Enfin, sous la coupe de « VGE «, ce « modèle de l'intelligence pure «. Habilement, Jean-Pierre Raffarin s'est placé dans la roue de ces personnalités, prenant soin de creuser son propre sillon sans pour autant leur porter ombrage. Les désaccords ne peuvent être en aucun cas, chez lui, prélude à une rupture. Le départementaliste Monory avait apprécié le régionaliste Raffarin. Giscard ne portera qu'un regard amusé sur sa fibre chiraquienne, le questionnant d'un ironique : « Alors, comment va votre visionnaire ? « Sa fascination pour « VGE « avait conduit Jean-Pierre Raffarin à « haïr « - momentanément - Jacques Chirac. A l'automne 1994, il observe la réconciliation de circonstance qui s'opère, sur le dos d'Edouard Balladur, entre son ancien et son futur mentor. Rallié à M. Chirac dans le sillage de « VGE «, il obtient le ministère des PME dans le gouvernement d'Alain Juppé. C'est là que M. Raffarin se forge, sous l'oeil de plus en plus intéressé du chef de l'Etat, cette image de « proximité « à partir de laquelle il ébauchera une méthode, la « nouvelle gouvernance «. Il défend les boulangers, s'en prend à la grande distribution, soigne la CGPME, et délocalise périodiquement son ministère en province. Giscardien passé à l'ennemi, M. Raffarin sait qu'il doit, plus souvent qu'un autre, montrer patte blanche. En période de basses eaux du chiraquisme, il a le bon goût de ne point trop s'éloigner du rivage. Début mars 1998, une semaine avant les élections régionales, il est le premier, à droite, à introduire dans la campagne l'argument du soutien au chef de l'Etat. Evitant d'avoir recours aux voix du Front national lors de sa réélection à la tête de la région Poitou-Charentes, il échappe à la tourmente qui suit ce scrutin. Suivant, là encore, la ligne fixée par le chef de l'Etat, il se démarque de ceux de ses collègues qui avaient été moins regardants que lui. A l'automne 1999, alors que la cote du chef de l'Etat n'est pas franchement au beau fixe, il participe au lancement du club ultra-chiraquien Dialogue et initiative : d'abord dans l'indifférence générale, il sillonnera la France en compagnie des anciens ministres Jacques Barrot (UDF), Michel Barnier (RPR) et Dominique Perben (RPR). Le chef de l'Etat a également pu vérifier que M. Raffarin savait garder ses nerfs pendant les coups durs : ainsi ce 21 septembre 2000, jour de la publication dans Le Monde du testament posthume de Jean-Claude Méry, lorsque le sénateur de la Vienne, imperturbable, accompagne à Rouillac (Charente) un président assailli par les journalistes. L'éternel second couteau, qui a grandi dans l'ombre de MM. Monory, Giscard et Chirac, saura-t-il se défaire suffisamment de la tutelle d'Alain Juppé pour imprimer sa marque sur la conduite de la politique gouvernementale ? « Mon ambition est collective et mon projet n'est pas personnel «, se défendait récemment M. Raffarin. Les projecteurs, ne lui en déplaise, sont désormais braqués sur lui. JEAN-BAPTISTE DE MONTVALON (AVEC PIERRE CHERRUAU A BORDEAUX IVAN DRAPEAU A ANGOULEME, FRANCOIS GROSRICHARD, NATHALIE GUIBERT, BEATRICE JEROME ET HENR TINCQ) Le Monde du 8 mai 2002

Jean-Pierre Raffarin (né en 1948). Homme politique français. Premier ministre de 2002 à 2005.

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