Devoir de Philosophie

Johann Wolfgang von Goethe - CONVERSATIONS AVEC ECKERMANN : Fragments de la quatrième partie

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

goethe
Le second Faust de Goethe fut écrit en grande partie du temps où j'étais moi-même à Weimar, et où ayant été en contact journalier avec Goethe, je puis fort bien me considérer comme un témoin oculaire. La période où ce poème fut rédigé s'étend de l'année 1823, où j'arrivai à Weimar, jusqu'au mois de mars 1832, où Goethe termina le Faust et put le considérer comme achevé. Ce fut sa dernière oeuvre, et elle est empreinte de la grande sagesse du vieux Goethe. Les débuts de ce drame remontent au temps de Schiller, et Goethe se félicitait encore, sur le tard, d'avoir pu lire à Schiller une grande partie d'Hélène. Si Goethe se félicitait d'avoir pu lire son poème à Schiller, combien plus Schiller et d'autres avaient-ils des raisons de se féliciter de l'avoir entendu lire, car Goethe était un lecteur admirable, surtout lorsqu'il s'agissait de rendre une oeuvre telle que le Faust où il avait mis toute son âme. Sa voix déjà était extraordinaire : tantôt c'était un chuchotement, tantôt c'était comme le roulement du tonnerre, passant ainsi par toute la gamme des sons que nous fait entendre la nature. Puis c'était soudainement tout autre chose, le ronflement des vieillards par exemple, qu'il tâchait d'imiter fidèlement, en émettant des sons horribles qui sortaient de sa gorge avec un effort visible. Mais ensuite il réapparaissait dans toute sa grandeur, lorsque prenant l'accent de la tragédie grecque, il prononçait des paroles émouvantes. Pourtant ce qu'on aimait le mieux, c'était l'entendre lire les passages où sa voix, sans être entraînée par aucune passion, suivait la marche lente de la parole, comme par exemple, dans Hélène, lorsqu'il est question du cri des grues, dont le son parvenant de très haut aux oreilles du voyageur, le force à regarder en l'air. Si le son de la voix caractérise éminemment une personnalité, il n'est pas moins intéressant d'étudier son écriture. Goethe avait écrit la première partie du Faust, comme il me l'a raconté il y a de cela quelques années, sur du papier à lettres, évitant par la suite d'y faire la moindre rature, de sorte que le manuscrit était un vrai modèle de propreté. Sa belle écriture claire, Goethe l'a gardée toute sa vie. Elle n'a rien de pédant, rien de cette raideur que lui donneraient l'effort et la préoccupation constante de bien former chaque lettre. Elle ne trahit à aucun moment le souci d'être correcte et propre et ne paraît jamais endimanchée : l'écriture de Goethe, d'une aisance parfaite, se refuse à toute contrainte. (On a retrouvé encore un fragment d'un entretien de Goethe avec Eckermann sur Faust, qui aurait eu lieu au moment où Goethe lui remit les premières scènes de la seconde partie) : " Voici donc le début ! Vous me connaissez, et vous ne serez pas étonné en le lisant : il est tempéré comme ce que j'ai écrit jusqu'ici. On dirait que se recouvrant d'un voile, tout s'est apaisé. Quand on songe à la fin de la première partie et au sort terrible de Gretchen qui ne pouvait manquer de se répercuter dans l'âme de Faust et de l'ébranler profondément, que pouvais-je faire d'autre que de faire perdre conscience à mon héros et de le considérer comme anéanti, pour faire jaillir de cette mort apparente une vie nouvelle ? Je me vis obligé alors d'avoir recours à des esprits bienfaisants et puissants, tels que la légende nous les représente sous la forme d'elfes. Il n'y a plus que pitié et profonde compassion. Pas de tribunal ; personne ne tient plus à savoir s'il l'a mérité ou ne l'a pas mérité, comme le font ceux qui parmi les hommes s'érigent en juges. Les elfes ne connaissent rien de pareil. Il leur importe peu de savoir s'il s'agit d'un saint ou d'un pécheur qui a succombé à l'esprit du mal ; " saint ou pécheur, ils pleurent le malheureux ". Et ainsi ils continuent à lui apporter l'apaisement et le calme et ne songent à autre chose que de le plonger dans un sommeil profond et vivifiant, pour qu'il oublie les horreurs du passé : " Et baignez-le d'abord dans la rosée du Léthé. "

Liens utiles