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Kabila, le noceur qui« aimait trop les femmes et l'alcool »

Publié le 17/01/2022

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16 janvier 2001 L'HOMME qui a été abattu d'une rafale tirée dans le dos était, à la fois, un maquisard historique, un combattant nationaliste, un trafiquant d'or, un preneur d'otages, le tombeur de Mobutu et un dictateur ubuesque, pire que son prédécesseur. Anti-impérialiste impénitent, ayant traversé la guerre froide dans un bain de formol, sa silhouette ronde a fait le tour du monde, quand il a accédé au pouvoir dans l'ex-Zaïre, en mai 1997 à la tête d'un soulèvement populaire qui s'est vite révélé n'être qu'un attroupement de badauds autour des forces combattantes du Rwanda. Mais Laurent-Désiré Kabila s'est vite émancipé de ses tuteurs du « pays des mille collines ». Après avoir payé le prix du sang pour son entrée victorieuse dans Kinshasa, en camouflant l'élimination organisée de quelque 200 000 réfugiés hutus rwandais, traqués sur plus de 1 500 km à travers la forêt, la marionnette s'est animée et n'en a plus fait qu'à sa tête. L'été 1998 a marqué le second avènement de Kabila, nouveau roi du Congo. Après avoir « fêté » le premier anniversaire de sa prise de Kinshasa dans un stade national à moitié vide, au cours d'une cérémonie boudée par les présidents du Rwanda et de l'Ouganda, ses grands alliés de l'Est, le « Mzee » - le « vieux » en langue swahili - a tourné casaque : il a déclaré la guerre aux « agresseurs », à ces mêmes Rwandais et Ougandais qui l'avaient fait chef de l'Etat. Depuis, le Congo-Kinshasa est un champ de bataille régional. Contre ses anciens « frères d'armes », qui ont réédité le scénario d'une rébellion créée de toute pièce pour le renverser, Kabila a mobilisé les troupes de l'Angola et du Zimbabwe pour défendre son régime. La Namibie, le Burundi, le Soudan, de loin, et, un moment, le Tchad s'en sont également mêlés. Au point que la sous-secrétaire d'Etat américaine chargée de l'Afrique, Susan Rice, a parlé d'une « première guerre mondiale africaine ». La formule a caché une multiplicité de « petites » guerres au Congo, dont celle que Kabila a menée contre son peuple. Car, avec lui, l'arbitraire a régné comme jamais auparavant. Du temps de Mobutu, le budget de l'Etat n'était qu'une apparence, un jeu d'écritures. Sous Kabila, il n'y a plus eu de budget du tout ! Durant le long règne de Mobutu, la corruption avait été érigée en système. Pendant les quatre années au pouvoir de son successeur, la « cleptocratie » a été démocratisée : les pots-de-vin ont été versés à tous les échelons, à fonds perdus, sans garantie de contre-partie. Président « autoproclamé », investi des pleins pouvoirs, Kabila a promis des élections mais il a interdit les partis au profit de « comités de base », et amputé les libertés les plus élémentaires. Personne, à commencer par ses ministres, n'était à l'abri d'un abus de pouvoir, d'une arrestation, voire d'une exécution. Paranoïaque, il a multiplié les officines de renseignements et les polices politiques rivales. Au bout du compte, ce sont les seuls « services » que son Etat policier a rendus aux citoyens. Mais la « guerre imposée » a justifié tout, au nom d'un patriotisme dévoyé. D'autant que les accords de Lusaka, signés à l'été 1999 dans la capitale zambienne, ont établi un lien indissoluble entre la démocratisation de son régime et le départ des forces étrangères. En guise de paix, ce fut un contrat de dictature. Qui était Laurent-Désiré Kabila ? Derrière le masque impénétrable de bouddha noir, l'homme a disparu. A la chute de Mobutu, le nouveau maître de Kinshasa s'installait au Palais de marbre, sur les hauteurs de la capitale, là où il vient d'être assassiné. Les Kinois le guettaient, à l'affût de la moindre nouvelle sur lui, sa famille. Or sans la petite bananeraie aménagée derrière le palais, comme sur les collines du Rwanda, ils n'auraient sans doute jamais appris que l'épouse du « Mzee » était tutsie. Des nombreux enfants de Kabila, seul Joseph, né en 1972 et « commandant » dans les nouvelles Forces armées congolaises (FAC), est connu du grand public. Du « cousin » Gaëtan Kakudji, ministre de l'intérieur et candidat à la succession de Kabila, nul ne connaît la filiation le rattachant au président disparu. « Qui ne sait celer ne sait régner » aurait pu être la devise de Kabila. Des années de clandestinité et de réclusion dans un minuscule territoire « libéré », il avait gardé un goût immodéré du secret. Né le 27 novembre 1939 à Manono, dans le nord de la riche province minière du Katanga, Laurent-Désiré Kabila a, de tout temps, été mêlé à l'histoire cahoteuse de son pays. Après des études en Allemagne de l'Est, il est élu, en 1960, député sur une liste « tribale », celle des Lubas du Katanga : les « Balubakat ». Partisan du premier ministre, Patrice Lumumba, il rejoint l'insurrection armée après l'assassinat, le 17 janvier 1961 , du héros de l'indépendance. Début 1964 , il est dans le maquis de Pierre Mulule, dans l'ouest du Congo. Quelques mois plus tard, il intègre les Simbas, les « lions », de Gaston Soumialat, dans l'est, limitrophe du Rwanda. D'avril à décembre 1965 , c'est ici qu'il reçoit Ernesto « Che » Guevara, venu allumer des focos, des foyers de rébellion, au coeur de l'Afrique. On sait les mots durs que l'idole révolutionnaire a réservés au noceur qui aimait, à ses yeux, « trop les femmes et l'alcool ». Une fois le « Che » reparti, Kabila s'accroche dans les collines de Hewa Bora, près de la frontière burundaise. Mi-maquis, mi-réduit de contrebande, son fief ne sera pris par l'armée de Mobutu qu'en 1985 . Dès cette époque, davantage qu'un « chef rebelle » au sens romantique du terme, Kabila est un entrepreneur politique sans scrupules. Pas militaire dans l'âme, au demeurant peu courageux, il cultive ses affaires - une flotte de pêche et des maisons closes en Tanzanie, la libération en échange d'une rançon de 250 000 francs de quatre chercheurs occidentaux kidnappés... - et ses relations avec les chefs d'Etat de la région. Ainsi devient-il l'obligé de trois présidents ougandais successifs - Idi Amin Dada, Milton Obote et Yoweri Museveni - mais, aussi, du colonel John Garang, le leader de la rébellion au Sud-Soudan, et de... Mobutu. L'irréductible opposant rencontre le dictateur en 1989, à Gbadolite, le « Versailles dans la jungle », sans états d'âme. De la même manière, à la demande de Yoweri Museveni et de Paul Kagamé, l'homme fort du Rwanda, il accepte en octobre 1996 de prendre la tête de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL). Pour s'y imposer, il n'hésite pas à éliminer André Kisase Ngandu, le chef du seul mouvement armé anti-Mobutu, le Conseil national de résistance. Mais, comme les Rwandais et Ougandais se proposent comme bailleurs de troupes et de fonds... Le renversement de Mobutu, condamné de toute façon par un cancer de la prostate, a été un « deal » : pour sa marche triomphale sur Kinshasa, Kabila a livré les réfugiés hutus aux soldats tutsis auxquels il a promis son pays, par ailleurs, comme butin de guerre à partager. Quand il est revenu sur cet engagement, un an plus tard, Paul Kagamé a revendiqué, dans le Washington Post, la victoire sur Mobutu pour ses troupes. Kabila ne pouvait alors que se soumettre au « commandant » James Kabarehe ou démettre son chef d'état-major général rwandais. Il a opté pour la seconde solution, la moins mauvaise, à condition de trouver de nouveaux alliés, moins gourmands. Aspirant à un rôle de gendarme dans la région, l'Angola et le Zimbabwe ont joué ce rôle. Leurs contingents expéditionnaires se trouvent aujourd'hui en porte-à-faux. Car le Congo s'est transformé en une peau de léopard, dont chaque tache était le fief d'un chef de guerre, qu'il soit « envahisseur », commandant rebelle plus ou moins téléguidé ou « force amie invitée par le gouvernement ». Au moment de la disparition de Kabila, le seul héritage valable de Mobutu a ainsi été dilapidé : l'intégrité territoriale et l'unité nationale n'existent plus. En définitive, quelle trace Laurent-Désiré Kabila laissera-t-il dans l'histoire de son pays ? Pour beaucoup, celle d'un liquidateur, dans tous les sens du mot.

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