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La Dépêche - 28 Décembre 1880

Publié le 22/02/2012

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L'enseignement primaire L'enseignement primaire sera gratuit. Le projet de loi sur la gratuité voté par la Chambre des députés n'attend plus que la sanction du Sénat, qui la donnera. L'enseignement primaire sera obligatoire. Le projet de loi sur l'obligation ne rencontrera pas chez les sénateurs plus d'opposition que le projet de loi sur la gratuité. De six à treize ans, tout enfant recevra une instruction sérieuse, soit dans les écoles publiques, soit dans les écoles privées, soit dans sa famille. On conciliera ainsi le droit de la société, qui est l'obligation, avec le droit du père, qui est la liberté de choisir l'instituteur. Les autorités scolaires pourront accorder de larges exemptions lorsque le travail des enfants sera indispensable aux parents ; par exemple à la campagne, au moment de la moisson. En outre, à onze ans, l'enfant pourra passer un examen, qui, s'il est suffisamment instruit, le libèrera de ses deux dernières années d'étude. Les mesures appliquées aux parents qui n'obéiront pas à la loi de l'obligation sont très paternelles. Il faudra la révolte ouverte de leur part pour qu'ils soient condamnés à quelques jours de prison. Jusqu'ici, tout va bien. Dix ans de gratuité et d'obligation, et tous les Français sauront lire et écrire, comme savent lire et écrire tous les Suisses et les Allemands.Reste la laïcité qui, dans l'intention des auteurs de la loi, devait être votée en même temps que la gratuité et l'obligation. Ici, la déception complète. Rien de net, de précis, de décisif. La question reste en suspens. Il fallait, par un texte positif, interdire l'enseignement de la religion dans tous les établissements publics. Or, l'article 2, qui réglait cette interdiction a été rejeté, et la commision ne l'a pas remplacé par un autre. La nouvelle loi, dans la phrase « l'instruction morale et religieuse », efface le mot « religieuse ». Elle retire au curé, au pasteur et au délégué israélite le droit d'inspection et de surveillance qui avait pour garantie cette prescription. « L'entrée de l'école leur est toujours interdite ». Ayant supprimé ce mot et retiré ce droit, la commission a cru qu'elle avait fait assez, et, dans son désir de voir passer sa loi, elle n'a pas insisté pour faire davantage. Elle a eu tort, car la suppression de l'article 2 laisse le gouvernement maître unique et absolu de l'enseignement religieux dans les écoles. Quand la loi fait défaut, les circulaires du ministre remplacent la loi. Que demain un ministre, sinon tout à fait catholique, du moins ami du surnaturel, et croyant à l'influence bienfaisante de l'idée religieuse, consente aux leçons de religion dans les écoles, ces leçons seront données. Un autre ordre de l'administration suffira pour ouvrir, le jeudi et le dimanche, toutes les écoles de France aux curés. L'enseignement sera donc laïque ou non, selon la volonté du ministre de l'instruction publique. Comme le dit avec raison la Justice, en fait de laïcité, la loi nous donne la laïcité par omission. La liberté de conscience sera peut-être respectée : peut-être elle ne le sera pas, quant à la neutralité de l'école, chanson. La République française qui, sur les questions d'enseignement, est plus radicale que sur les autres, se plaint, elle aussi, de ne pas voir un texte précis consacrer la laïcité. Mais comme elle tient par-dessus tout à se montrer satisfaisante, elle fait ce raisonnement : « Quelque insuffisante que soit la loi votée par la Chambre des députés, le Sénat ne manquera pas de l'amender dans le sens religieux. La loi alors reviendra à la Chambre qui, ainsi, aura une occasion de la compléter en y inscrivant nettement la sécularisation de l'école ». C'est admirable, et voilà l'utilité du Sénat appliquée. Il fallait être rédacteur de la République française pour trouver cela. Tony Révillon.

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