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La galaxie Haider Notre avenir

Publié le 17/01/2022

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haider
3 octobre 1999 L'avenir de l'Union européenne, donc notre avenir, se joue en Autriche. Cette conviction, notre conviction, peut paraître grandiloquente, démesurée, hors de propos : après tout, le FPÖ, le parti de Jörg Haider, contre lequel des milliers de manifestants se rassemblent, samedi 19 février à Vienne, n'est pas parvenu au gouvernement par l'intimidation ; son chef n'a, pendant la campagne électorale, molesté aucune candidate socialiste ; bref, il est moins violent que Jean-Marie Le Pen. Et si une partie des Autrichiens a voulu, en le soutenant, protester simplement contre la sclérose d'un système politique qui permet à quelques-uns de se répartir les postes et les places, n'ont-ils pas fait oeuvre utile ? Enfin, qu'allons nous faire dans cette galère autrichienne, quand un peu plus loin, à Grozny, les hommes de Poutine massacrent les Tchétchènes, comportement qui vaut à ce dernier d'être salué, à la télévision russe, comme un "patriote" par le ministre français des affaires étrangères ? S'agissant de la Tchétchénie, nos journalistes sont aux premières loges : leurs comptes rendus accablants sont désormais corroborés par les témoignages qui commencent à parvenir aux organisations humanitaires. Autant il peut paraître légitime de reconnaître à la Russie, dans une zone de fracture de la planète, le droit de défendre ses intérêts stratégiques, autant il doit être clair que la manipulation brutale du sentiment national russe, et la violence inouïe qui l'accompagne, fait peser sur la jeune et fragile "démocratie" russe, donc sur nous-mêmes, des menaces qui sont peut-être déjà irrattrapables. Mais l'attitude européenne en cette matière, dont nous avons dénoncé la faiblesse, ne saurait en aucun cas, à nos yeux, justifier un quelconque attentisme à l'égard de l'extrême droite autrichienne. Car r, c'est refuser de voir, c'est minimiser, au nom d'une sorte d'échelle de Richter de l'indignation sélective qui voudrait qu'un malheur plus grand ailleurs nous interdise de réagir ici. Car c'est d'ici et maintenant qu'il s'agit. L'Autriche, c'est l'Europe. L'Europe, c'est nous. Et nous ne pouvons accepter qu'un apprenti sorcier autrichien mette en péril les fondements mêmes de l'idée européenne. Et si la France et la Belgique sont en pointe face à Haider, c'est que l'une et l'autre sont en présence de mouvements qui, s'ils s'approchaient du pouvoir, devraient être combattus de la même façon. Mais ce que la droite libérale française a évité, la droite autrichienne l'a fait, renouant en cela avec une tradition politique autrement plus dangereuse que les travers des gouvernements socialistes et conservateurs qui se sont partagé le pouvoir après-guerre. Il faut donc craindre pour l'Europe, et réagir à la mesure de cette crainte. Car le phénomène Haider n'est limité ni à une petite province autrichienne, ni à un des plus petits membres de l'Union. Il est un triste exemple pour l'ensemble du monde allemand. Il compte des sympathisants singulièrement puissants en Allemagne, avec le Bavarois Stoiber, au point de justifier l'alarme du chancelier fédéral, certes social-démocrate, mais surtout inquiet pour la démocratie chrétienne. Comme un malheur n'arrive jamais seul, l'effet Haider survient au moment où la CDU traverse la plus grave crise de son histoire, qui atteint, à travers la mise en cause de l'héritage Kohl, son fondement même, c'est-à- dire son adhésion sans arrière-pensée à l'Union européenne. La polémique qui se développe en Allemagne autour de Haider traduit la tentation de voir émerger une droite dure, anti-européenne. Personne ne prétend que la période que nous vivons, riche de transformations puissantes, sera plus facile à traverser qu'une autre. Il se produit en Autriche la même chose qu'ailleurs en Europe : le passage d'un mode de production à une autre, d'une économie à une autre, dite "nouvelle", sur fond de mondialisation. Dans ce contexte, les esprits sont troublés, parce que les situations relatives des catégories sociales sont en mouvement, les points de repère sont troublés d'autant plus que les clivages d'hier ont, depuis 1989 au moins, en partie disparu. Ces bouleversements affectent le pacte social sur lequel tous nos pays se sont reconstruits, et affaiblissent les partis de centre gauche et de centre droit qui en étaient, peu ou prou, les garants. De ce point de vue, nous sommes tous fragiles. Et nous devons savoir qu'à tout moment cette mutation vertigineuse peut mal tourner, quel que soit notre degré de prospérité : l'Autriche n'est-elle pas en situation de quasi-plein emploi ? Il est donc facile aux démagogues de tous poils, qu'ils s'appellent Le Pen ou Haider, peut-être demain Stoiber, d'exciter les peurs, d'en appeler aux corporatismes, et de jouer sur le rejet de l'autre. En Autriche, vu par Haider, le danger vient des Hongrois ou des Slaves des Balkans, qui étaient pourtant chez eux à Vienne il n'y a pas si longtemps, au temps de l'Empire austro-hongrois. Ainsi continue de se propager la sinistre aspiration à une région, à un pays ethniquement pur. Bien sûr, Haider ne menace pas les libertés, à ce jour. Il est trop intelligent pour figer des positions de discrimination, dans un premier temps. Il n'hésite pas à se replier, à "s'excuser". Mais, hélas pour ceux que tente l'attentisme, ou l' "appeasement", comme disaient les Anglais avant 1939, chaque fois qu'il le peut, dès que nous avons le dos tourné, il défend l'héritage du IIIe Reich ! Il n'a pas, comme l'extrême droite italienne, abjuré le fascisme. Il a au contraire renoué avec le passé nazi d'une petite formation qui s'était pourtant, avant lui, convertie à la démocratie libérale. Fût-ce par le biais de la dénonciation de Churchill comme criminel de guerre. Ce faisant, il ravive des plaies qui ne concernent pas que le seul monde allemand, mais qui sont celles de l'Europe tout entière. Et l'on serait coupable de "diaboliser" Haider, et ainsi de le favoriser ? Mais n'est-il pas lui-même, et le vote en sa faveur n'est-il pas d'abord une injure faite à tous ceux qui ont souffert, souffrent encore du souvenir de cette barbarie ? C'est sur le refus partagé de cette barbarie, de toute dictature, c'est sur le refus de l'orgueil de race que l'Union européenne s'est construite et doit continuer de se construire. Il se peut que l'on accepte un jour de "rapatrier " la PAC, la politique agricole commune, mais on ne peut accepter sans péril d'entamer si peu que ce soit le pacte fondamental des Européens, leur Constitution non écrite. Ce en quoi la France peut se reconnaître dans les propos de Jacques Chirac ou l'attitude de Martine Aubry. Pour autant que l'on considère l'Europe comme une construction politique, donc éthique, et non comme un marché, fût-il unique. C'est pourquoi il est encore temps d'isoler Haider, et de traiter l'Union européenne avec le respect qu'elle mérite. JEAN-MARIE COLOMBANI Le Monde du 21 février 2000

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