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La Guinée est entraînée dans le conflit régional ouest-africain

Publié le 17/01/2022

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10 décembre 2000 Un bonnet en toile de jute sur sa maigre tête, ses pieds crevassés abrités dans des sandales de plastique, Mohammed Bayoh, 62 ans, frotte sa barbichette. « La brousse a avalé les autres. Personne ne peut savoir combien en ressortiront », raconte-t-il. C'est de réfugiés sierra-léonais comme lui dont parle le vieillard. Depuis huit ans, Mohammed passe sa vie dans des camps en Guinée forestière, à 700 kilomètres de la capitale, Conakry, une région limitrophe de la Sierra Leone et du Liberia, d'où de nombreuses incursions armées ont été lancées depuis septembre. Début décembre, coup sur coup, deux villes guinéennes ont été attaquées, Guékédou et Kissidougou, au prix de plus de 200 morts. Dans la panique, tout un chapelet de camps aménagés entre ces deux localités distantes de 80 kilomètres ont été dispersés par la force. Quelques 350 000 hommes, femmes et enfants ont disparu dans la nature. Depuis deux semaines, on est sans nouvelles de la plupart d'entre eux. « Mon camp a été attaqué le 6 décembre. Tout le monde a couru dans tous les sens », se souvient Tamba Gbaïka, 35 ans. Le tiers environ des fugitifs de Guékédou-Sayani, soit 2 000 à 3 000 personnes, s'est retrouvé à Baradou, un autre camp, avant qu'il ne soit à son tour pris sous le feu de même que celui, tout proche, de Kat-Kama, de l'autre côté de la route goudronnée. « En tout, on aurait dû être près de 50 000. Mais on est très loin du compte », constate Tamba Gbaïka, installé depuis 1998 en Guinée. Où sont passés les autres réfugiés ? « Ils ont été capturés par le Front révolutionnaire uni », le RUF, croit-il. Le mouvement rebelle sierra-léonais, connu pour sa cruauté , les aurait pris en otage et ramenés de l'autre côté de la frontière. « Ils les battent, ajoute Tamba. Ils les mutilent. C'est ce qu'ils appellent du 'recrutement actif". C'est horrible. » Il n'existe aucune certitude concernant le sort de ceux portés disparus dans cette savane fertile où cohabitent baobabs et palmiers. Dans le grenier de la Guinée, en cette saison de récoltes, ils peuvent sans grande difficulté subsister de maraudage ou de la cueillette de fruits sauvages. UNE GUERRE SANS MERCI « Nous avons marché sept jours pour arriver ici », se souvient Tamba Joe, un quadragénaire. Il fait partie d'un groupe de 24 rescapés. « Mais beaucoup d'autres sont morts, affirme-t-il. Les rebelles ont tiré dans le tas et, après, d'autres sont morts en chemin, surtout des vieux et des enfants. Il faisait chaud, le jour, et froid, la nuit. » A la fin de la semaine dernière, 20 000 réfugiés sont parvenus jusqu'à Kissidougou. Ils ont été transférés dans le camp de Massakoundou, à 9 kilomètres à l'ouest de la ville. Ce camp existe depuis de nombreuses années. Dans des maisons en terre cuite coiffées de toits en chaume plus de 35 000 personnes se serrent, pour le moment sans trop de problèmes. « Les nouveaux venus ont pris les cases de ceux qui ont fui d'ici, explique le chef du camp, Sako Kabbah. Comme les autres se cachent dans les villages alentour, ils vont revenir et il y aura des bagarres ». Le manque de nourriture est la première urgence. Le 19 décembre, après deux semaines d'interruption dans l'approvisionnement de la région, six camions chargés de vivres du Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR) ont atteint Kissidougou. La route de Guékédou a été également rouverte à la circulation et des concentrations de réfugiés ont été repérées par le HCR. « C'est bien, très bien, murmure Mohammed Bayoh. Mais, plus que de nourriture, nous avons besoin de sécurité. Il faut nous rapatrier. » Depuis le début des attaques, en septembre, les Guinéens et les réfugiés sierra-léonais sont d'accord sur ce point. Après des années dans des camps, les réfugiés clament que « s'il faut mourir, autant mourir chez nous ». Ils ont peur. De plus en plus souvent les Guinéens les assimilent aux rebelles. Le 9 septembre, dans un discours prononcé au Palais du peuple à Conakry, le président Lansana Conté s'en est violemment pris aux « étrangers qui se sont installés à demeure chez nous et qui nous remercient en apportant la guerre ». Au lendemain de ces propos incendiaires , quelque 10 000 étrangers ont été raflés dans la capitale, puis enfermés et maltraités pour beaucoup d'entre eux. Sous la pression internationale, ils ont été relâchés. Cependant, lorsque les rebelles sierra-léonais ont réussi, en octobre, une percée dans la région de Forécariah, distante seulement d'une centaine de kilomètres de Conakry, le gouverneur local s'est débarrassé, sans ménagement, des 32 000 réfugiés placés sous sa tutelle. Certains auraient été victimes d'exactions. Le fardeau que constitue les réfugiés pour la Guinée est considérable. Au total, 400 000 Sierra-Léonais, auxquels s'ajoutent 130 000 Libériens, sont les hôtes durables de l'un des pays les plus pauvres du monde. Tant que cette charge s'accompagnait, en contrepartie, d'une rente humanitaire, personne ne s'en plaignait. Mais depuis que l'équation Réfugiés = rebelles = guerre est devenue une ritournelle, les réfugiés sont devenus des boucs émissaires. Dans une guerre sans merci, ils sont pris pour cible des deux côtés. « Traîtres », aux yeux du RUF, ils passent pour être « l'ennemi infiltré » chez les Guinéens. « L'armée guinéenne combat de loin, à coups de mortiers et à partir de ses hélicoptères », fait observer un diplomate occidental à Conakry. Quand un attroupement est repéré en brousse, croyez-vous qu'elle fait la distinction entre les 'bandits armés' et les réfugiés ? » L'armée guinéenne est équipée depuis peu de quatre MI -24 - des « forteresses volantes » d'origine ukrainienne - pilotés par des mercenaires de ce pays. Le bilan menace d'être lourd. Assis à la terrasse de sa résidence, le préfet de Kissidougou, Mamadou Kamara, espère que les habitants vont revenir dans sa ville fantôme. « Sur 87 000 personnes, les deux tiers ont fui le 10 décembre », résume-t-il , avant de raconter le déluge de tirs, du plus profond de la nuit jusque dans la matinée, dont il a été le témoin. Dans la région, quelque 100 000 Guinéens en fuite ou, provisoirement, accueillis par des « parents au village », s'ajoutent aux réfugiés en errance. Dans la vaste cour de la préfecture, des véhicules 4×4 conduits par des civils et équipés de mitrailleuses ou de pièces d'artillerie se mêlent aux camions militaires et aux soldats du commandant de la place, le colonel Baïlo. « Ce sont nos unités anti-insurrection », affirme un officier guinéen sous couvert d'anonymat. « C'est l'Ulimo », soutiennent, pour leur part, d'autres sources locales, invoquant l'acronyme anglais du Mouvement uni de libération, un groupe rebelle qui combat Charles Taylor, le président du Liberia. Ce dernier, par ses alliés du RUF interposés, a porté la guerre en Guinée en riposte à la déstabilisation dont il estime être l'objet « à l'instigation du gouvernement américain ». Actionné de près ou de loin, ce jeu de dominos en Afrique de l'Ouest est payé au prix fort en Guinée par les civils, otages d'enjeux qui les dépassent.

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