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La liberté est irrépressible par la loi.

Publié le 22/02/2012

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Acceptons, pour un instant, l'hypothèse que le jugement pût être réprimé et les hommes tenus si étroitement en bride, qu'ils n'osent prononcer un mot que sur l'ordre de la souveraine Puissance. Jamais, en revanche, on n'obtiendra que toutes leurs pensées soient conformes aux volontés politiques officielles? Que se produirait-il donc? Les sujets poursuivraient quotidiennement des pensées sans rapport aucun avec leurs paroles; la bonne foi, si indispensable à la communauté publique, se corromprait. tandis que, sur les traces détestables de l'adulation et de la perfidie, la fourberie, la déchéance des meilleures coutumes de vie seraient encouragées. Au surplus, il faudrait entretenir de singulières illusions, pour escompter des hommes une si parfaite docilité — fût-ce en leurs paroles; plus, au contraire, on s'efforce de les priver de leur liberté d'expression, et plus leur résistance est acharnée. Or les sujets qu'on réduit ainsi à la lutte ne sont point de ces individus cupides, flatteurs, ni de ces lâches, pour qui le sort le plus beau consiste à contempler des pièces d'or dans une cassette et avoir le ventre bien rempli; ce sont des hommes qui ont trouvé, en leur culture, la pureté de leur vie et la noblesse de leur caractère, une haute libération intérieure. Les humains, pour la plupart, sont ainsi faits qu'ils ne supportent pas de voir traitées en délits des croyances dont la vérité ne fait pour eux aucun doute, ou qualifiés de crimes les mobiles dont ils se sentent personnellement portés à aimer Dieu et leur prochain. Traqués, ils en arrivent à dénoncer publiquement la législation de l'Etat et à ne plus reculer devant aucun acte hostile aux pouvoirs publics. A leurs yeux, désormais, il n'est plus honteux, mais beau, de provoquer des séditions et de mettre n'importe quelle violence au service de leurs convictions. Dès lors, voyons! si telle est la réaction de la nature humaine, que devient l'efficacité des lois dirigées contre les opinions? Elles atteignent non les scélérats, mais les individus épris de droiture; leurs mesures pratiques ne sont point destinées à mettre hors d'état de nuire les méchants, mais à exaspérer les gens de bien; de sorte que leur mise en vigueur créerait pour l'Etat un grand péril. De toute façon, ces lois sont absolument inopérantes. Ceux qui approuvent les opinions condamnées ne peuvent obéir; ceux qui les rejettent, au contraire, prétendent tirer de l'interdiction légale un privilège, ils se targuent de leur triomphe, à tel point que l'autorité politique — le voulût-elle ensuite — n'aurait plus le pouvoir de rapporter sa décision première. B. DE SPINOZA.

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