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La première mort de l'Indochine française

Publié le 17/01/2022

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9 mars 1945 - Le régime colonial auquel est asséné le coup de grâce était en sursis depuis cinq ans. Dès juin 1940, alors que la métropole s'effondre et que le conflit sino-japonais voisin fait planer la menace d'une intrusion chinoise au Tonkin, le Japon cogne à la porte. Il contraint le gouverneur général Catroux, sans moyens suffisants ni appui extérieur, à fermer la frontière tonkinoise aux convois d'essence et de matériel destinés aux Chinois et à en accepter le contrôle. Le gouvernement de Vichy révoque Catroux et le remplace par l'amiral Decoux. Mais le problème ne change pas, et il faut même concéder davantage. Par le protocole Darlan-Kato de juillet 1941, la France accorde au Japon l'utilisation d'aérodromes et le stationnement de troupes sur tout le territoire. Elle accepte le principe d'une défense commune contre un éventuel agresseur. Par des conventions économiques, Tokyo se voit reconnaître le statut de la nation la plus favorisée et octroyer des fournitures de riz et de matières premières. L'Indochine est ainsi englobée dans la " sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale ", sous hégémonie nippone. A ce prix, le Japon s'engage à respecter la souveraineté française sur la colonie. Chargé de préserver cette souveraineté, l'amiral Decoux mesure vite sa marge de manoeuvre. Elle est étroite. En septembre 1940, alors que les pourparlers sont en train d'aboutir, l'armée japonaise force le passage à Lang-Son. Cet excès de précipitation, sanctionné par Tokyo, révèle la faiblesse de l'armée d'Indochine, contrainte de se rendre ou de s'enfuir. Des soldats indigènes désertent, phénomène inquiétant lorsqu'on ne compte que 12 000 Européens sur un effectif total de 62 000 hommes. Les communistes provoquent des troubles, il est vrai vite réprimés. Le voisin thaïlandais revendique des territoires au Cambodge et au Laos, et il attaque. Il est contenu sur terre, sa flotte est sévèrement battue à Koh-Chang. Mais le Japon intervient en sa faveur et lui fait obtenir satisfaction. Quelques mois plus tard, la guerre éclate dans le Pacifique. Le blocus isole la colonie. L'amiral Decoux parie sur la neutralité. Une neutralité bien particulière qui consiste d'un côté à résister au maximum aux pressions japonaises, et de l'autre à faire valoir sa propre fidélité au gouvernement de Vichy. Le pari sera perdu. Pour l'heure, le régime qui s'instaure est une sorte de ménage à trois où chacun, le colonisateur, le colonisé, l'hôte importun, trouve son compte dans un modus vivendi qui n'exclut pas nombre d'arrière-pensées. La communauté française-40 000 personnes-se rallie dans sa grande majorité à la politique du gouverneur général, par conviction, nécessité ou résignation. Le poids des réalités s'impose. Elle ne sont pas d'ailleurs toutes à déplorer. On ne souffre pas physiquement, et, surtout, c'est la paix au milieu d'un monde à feu et à sang. L'amiral Decoux est un homme à la fois autoritaire et diplomate, obstiné et sûr de ses choix. Peu soucieux de plaire, il n'est guère aimé mais respecté. Son engagement dans la Révolution nationale vichyste est sans faille, ostentatoire et quelque peu excessif, surtout durant les premiers temps. Il crée une " légion " de zélateurs du régime, " épure " l'administration des juifs et des francs-maçons, sévit sans faiblesse contre toute dissidence, vitupère avec violence les gaullistes. En 1942, haut commissaire de Vichy pour le Pacifique, il envisage une expédition militaire avec couverture navale nippone contre la Nouvelle Calédonie passée à la France libre. C'est Vichy qui l'en dissuade. Au demeurant le japonais, intrus et non pas vainqueur, n'est pas le " boche ". Ce " jaune " qu'on n'aime pas laisse l'autorité coloniale s'exercer dans toute sa plénitude. Gîte et couvert assurés, disposant de bases pour ses avions qui bombardent la Malaisie, et de bateaux pour le transport de ses marchandises, le Nippon fait l'économie d'une occupation véritable, avec tous ses problèmes, quitte à mettre en veilleuse son grandiose projet de libération de l'Asie par le Soleil-Levant. Pour rester fidèle à cet idéal, des activistes officiers, agents subalternes, gendarmes de la Kempeitai ne manquent pas une occasion d'exciter les sentiments raciaux et nationalistes des " frères jaunes " opprimés. Sur un plan moins élémentaire, des nationalistes vietnamiens, intellectuels non communistes ou partisans du prince Cuong De, prétendant au trône qui vit au Japon, sont encouragés à se liguer. Traqués par une sûreté française très vigilante, ils trouvent refuge auprès de la Kempeitai. Decoux proteste et les autorités japonaises consentent à mettre une sourdine à cet activisme excessif, non sans poursuivre propagande et recrutement d'agents locaux en vue d'actions ultérieures. Jusqu'à nouvel ordre, en tous cas, la colonie reste la colonie. La répression est tombée lourdement sur les communistes insurgés de 1940. C'est une modeste base qu'installe Nguyen Ai Quoc, devenu Ho Chi Minh dans la région de Cao Bang limitrophe de la Chine. Il y crée le Vietminh en attendant le moment favorable à une entrée en lice. Pour l'ensemble des 25 millions d'autochtones, le climat est à la paix. Les prix du riz et du caoutchouc sont stables, de grands travaux assurent l'embauche. Afin de contrebalancer le poids de la présence nippone et d'assourdir le chant des sirènes panasiatiques, Decoux favorise l'instruction des 80 % d'analphabètes, facilite l'accès de la fonction publique aux élites locales, égalise leurs traitements à titres identiques. Avec son goût du faste et son sens du symbole, il va même jusqu'à flatter les patriotismes lao, khmer et vietnamien. Tout cela ne va pas, évidemment, sans l'exaltation de la " France tutélaire " personnifiée par un maréchal dont on souligne les vertus " confucéennes ". D'Alger, le général de Gaulle commence à regarder vers l'Indochine. Le chef de la France libre songe au rétablissement de l'empire dans son intégralité et juge " indigne et dérisoire d'observer jusqu'au bout à l'égard des japonais une complaisante passivité ". L'intention est ferme, les réalités abruptes. De Gaulle n'a pas les moyens d'agir seul. Il dépend des Alliés, et, en Extrême-Orient, surtout des Américains, aussi bien pour le transport et le matériel que pour les décisions militaires. Or Roosevelt qui a été sourd en 1940 et 1941 aux appels de Catroux et de Decoux, est opposé à un retour de la France coloniale en Indochine. Irréalisme C'est donc avec le seul soutien de la Grande Bretagne, autre puissance coloniale, qu'un premier élément du corps expéditionnaire part à Ceylan, siège du South East Asia Command de lord Mountbatten. Mais c'est à l'intérieur de l'Indochine que de Gaulle, tenu à l'écart et dans l'ignorance de la stratégie anglo-américainne, juge capital d'organiser une résistance dans l'éventualité d'un débarquement allié ou d'une agression japonaise. Il désigne à cet effet le général Mordant, chef hiérarchique de l'armée d'Indochine comme délégué général du Comité de la France libre. Mordant n'est guère l'homme de la situation. Il se montre hésitant, peu efficace. On le dit rancunier, jaloux de l'amiral Decoux, qu'il déteste et qui le lui rend bien. Après l'installation du gouvernement provisoire à Paris, Decoux demande confirmation de ses pouvoirs. De Gaulle le juge trop vichyssois pour mener le mouvement de résistance mais lui ordonne de rester à son poste et de donner le change aux japonais. L'amiral fait acte d'obédience. Un conseil de l'Indochine est secrètement constitué avec deux têtes, Decoux servant de camouflage à Mordant, chef clandestin. C'est " atteler un dragon et un tigre à un char de fumée " dirait le proverbe chinois. Le plan d'opérations mis au point dans la perspective d'un coup de force nippon considéré comme plus probable qu'un débarquement allié baigne dans l'irréalisme. L'armée doit " en cas d'agression ", se dégager pour éviter l'écrasement et se replier dans les zones de guérilla dans les régions montagneuses imaginées comme autant de Vercors. En application du plan, on expédie sur le terrain quelques éléments, on parachute des matériels, on établit des liaisons radio, qui permettent d'ailleurs quelques bombardements efficaces. Après l'avènement à Paris du gouvernement gaulliste, les japonais n'ont plus confiance dans l'administration Decoux et envisagent une prise en main de la colonie. Lorsque la bataille des Philippines s'avère perdue pour eux en décembre 1944, ils craignent un débarquement et remanient leur dispositif. Des troupes de Chine et de Birmanie arrivent en renfort pour former la 38e armée. Au début de 1945, ils disposent de 60 000 hommes. Ils organisent aussi les auxiliaires vietnamiens en unité spéciale le Yasu Butaï, à des fins de propagande, de renseignement et de sabotage. En janvier, de violentes attaques aériennes contre leurs convois maritimes leur font croire à l'imminence d'une opération alliée. En février, la Conférence suprême sur la conduite de la guerre décide de déclencher le coup de force et d'accorder l'indépendance aux Etats indochinois. Le 9 mars, l'ambassadeur Matsumoto remet à Decoux un ultimatum lui enjoignant de placer administration et forces armées sous commandement japonais. Decoux essaye de temporiser, mais l'opération Mei est déjà déclenchée. Chez les français, c'est la surprise. L'armée n'est pas en état d'alerte. Submergées, les garnisons capitulent presque toutes rapidement. La quasi-totalité des chefs militaires sont capturés. A Saïgon, Matsumoto peut déclarer à son entourage " Tout s'est passé comme si rien ne s'était passé! " L'opération Mei aura duré la moitié du temps envisagé par ses auteurs. Il y a eu cependant des résistances et des combats héroïques, comme à Dong-Dang, où tout s'est achevé par un massacre au sabre et à la baïonnette. A Lang-Son, le général Lemonnier est tué. Decoux, Mordant et leurs collaborateurs sont internés, l'armée parquée dans les " camps de la mort lente ". Les civils sont regroupés dans des périmètres surveillés. Certains sont torturés, mis en cage, décapités. Pour les Français s'ouvraient le temps de l'humiliation et, pour les Vietnamiens, dans le drame et la confusion, un conflit de trente ans.

« Afin de contrebalancer le poids de la présence nippone et d'assourdir le chant des sirènes panasiatiques, Decoux favorisel'instruction des 80 % d'analphabètes, facilite l'accès de la fonction publique aux élites locales, égalise leurs traitements à titresidentiques. Avec son goût du faste et son sens du symbole, il va même jusqu'à flatter les patriotismes lao, khmer et vietnamien. Tout cela ne va pas, évidemment, sans l'exaltation de la " France tutélaire " personnifiée par un maréchal dont on souligne lesvertus " confucéennes ". D'Alger, le général de Gaulle commence à regarder vers l'Indochine.

Le chef de la France libre songe au rétablissement del'empire dans son intégralité et juge " indigne et dérisoire d'observer jusqu'au bout à l'égard des japonais une complaisantepassivité ".

L'intention est ferme, les réalités abruptes. De Gaulle n'a pas les moyens d'agir seul.

Il dépend des Alliés, et, en Extrême-Orient, surtout des Américains, aussi bien pour letransport et le matériel que pour les décisions militaires.

Or Roosevelt qui a été sourd en 1940 et 1941 aux appels de Catroux etde Decoux, est opposé à un retour de la France coloniale en Indochine. Irréalisme C'est donc avec le seul soutien de la Grande Bretagne, autre puissance coloniale, qu'un premier élément du corpsexpéditionnaire part à Ceylan, siège du South East Asia Command de lord Mountbatten.

Mais c'est à l'intérieur de l'Indochineque de Gaulle, tenu à l'écart et dans l'ignorance de la stratégie anglo-américainne, juge capital d'organiser une résistance dansl'éventualité d'un débarquement allié ou d'une agression japonaise.

Il désigne à cet effet le général Mordant, chef hiérarchique del'armée d'Indochine comme délégué général du Comité de la France libre. Mordant n'est guère l'homme de la situation.

Il se montre hésitant, peu efficace.

On le dit rancunier, jaloux de l'amiral Decoux,qu'il déteste et qui le lui rend bien.

Après l'installation du gouvernement provisoire à Paris, Decoux demande confirmation de sespouvoirs.

De Gaulle le juge trop vichyssois pour mener le mouvement de résistance mais lui ordonne de rester à son poste et dedonner le change aux japonais.

L'amiral fait acte d'obédience.

Un conseil de l'Indochine est secrètement constitué avec deuxtêtes, Decoux servant de camouflage à Mordant, chef clandestin.

C'est " atteler un dragon et un tigre à un char de fumée " dirait leproverbe chinois. Le plan d'opérations mis au point dans la perspective d'un coup de force nippon considéré comme plus probable qu'undébarquement allié baigne dans l'irréalisme.

L'armée doit " en cas d'agression ", se dégager pour éviter l'écrasement et se replierdans les zones de guérilla dans les régions montagneuses imaginées comme autant de Vercors. En application du plan, on expédie sur le terrain quelques éléments, on parachute des matériels, on établit des liaisons radio, quipermettent d'ailleurs quelques bombardements efficaces.

Après l'avènement à Paris du gouvernement gaulliste, les japonais n'ontplus confiance dans l'administration Decoux et envisagent une prise en main de la colonie. Lorsque la bataille des Philippines s'avère perdue pour eux en décembre 1944, ils craignent un débarquement et remanient leurdispositif.

Des troupes de Chine et de Birmanie arrivent en renfort pour former la 38 e armée.

Au début de 1945, ils disposent de 60 000 hommes.

Ils organisent aussi les auxiliaires vietnamiens en unité spéciale le Yasu Butaï, à des fins de propagande, derenseignement et de sabotage. En janvier, de violentes attaques aériennes contre leurs convois maritimes leur font croire à l'imminence d'une opération alliée.En février, la Conférence suprême sur la conduite de la guerre décide de déclencher le coup de force et d'accorderl'indépendance aux Etats indochinois.

Le 9 mars, l'ambassadeur Matsumoto remet à Decoux un ultimatum lui enjoignant de placeradministration et forces armées sous commandement japonais.

Decoux essaye de temporiser, mais l'opération Mei est déjàdéclenchée. Chez les français, c'est la surprise.

L'armée n'est pas en état d'alerte. Submergées, les garnisons capitulent presque toutes rapidement.

La quasi-totalité des chefs militaires sont capturés.

A Saïgon,Matsumoto peut déclarer à son entourage " Tout s'est passé comme si rien ne s'était passé! " L'opération Mei aura duré la moitiédu temps envisagé par ses auteurs.

Il y a eu cependant des résistances et des combats héroïques, comme à Dong-Dang, où touts'est achevé par un massacre au sabre et à la baïonnette.

A Lang-Son, le général Lemonnier est tué. Decoux, Mordant et leurs collaborateurs sont internés, l'armée parquée dans les " camps de la mort lente ".

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