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La reconversion de l'industrie américaine

Publié le 17/01/2022

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26 septembre 1949 - Il y a une bataille que les Américains en 1944 étaient sûrs de perdre: celle de la reconversion économique qui suivrait la fin de la guerre. Tous, chefs d'Etat et économistes éclairés, capitalistes et marxistes, annonçaient pour les Etats-Unis une crise bien pire que celle qui avait suivi la première guerre mondiale en 1921-1922. Il n'en a rien été. Ces prévisions n'ont pas eu le temps de se réaliser. Dès décembre 1945, le président Truman annonce la fin de la reconversion industrielle proprement dite : 93 % des usines sont déjà transformées; réfrigérateurs et automobiles commencent d'affluer sur les marchés de consommation. Toutefois, cette déclaration optimiste cache une réalité un peu différente. Malgré des contrôles de prix, l'inflation est alimentée par la pénurie persistante de toutes sortes de biens. Les arrêts de travail, au départ pour protester contre la suppression des heures supplémentaires dans les usines qui travaillaient pour la guerre, s'amplifient avec la hausse des prix. Les plus touchés par l'élévation constante du coût de la vie sont les non-syndiqués et les " cols blancs ". Ces troubles n'affectent pas profondément l'économie. Dans l'ensemble, le pays profite d'une période de prospérité inattendue. Le taux de chômage reste bas (4 % de l'ensemble de la population active en 1946), le revenu individuel progresse régulièrement, et la production industrielle retrouve, dès 1950, son niveau remarquable de 1945. Le dynamisme de l'Etat n'est pas fortuit. La demande des particuliers a instantanément pris le relais des commandes de l'Etat, soutenue par l'épargne importante que des travailleurs surpayés des industries de guerre avaient accumulée en période de pénurie. Désormais, les industriels, en majorité républicains, profitant de l'énorme demande et du soutien de l'opinion publique, veulent retrouver leur liberté de mouvement. Ils réclament l'abolition des contrôles de prix imposés en temps de guerre, et des pratiques syndicales jugées déloyales, héritées du New Deal. Brandissant le slogan " Had enough ! " ( " Ça suffit ! " ), l'opposition conservatrice emporte, en 1946, la majorité dans les deux Chambres, pour la première fois depuis 1928. Le président démocrate Truman est incapable d'arrêter le mouvement. Son veto, opposé à la loi Taft-Hartley qui établissait des relations nouvelles entre patrons et ouvriers, est immédiatement contré par le Congrès. La loi rétablit donc, à l'avantage des industriels, l'équilibre social. Elle s'applique surtout à compliquer et à retarder le déclenchement de grèves. Plus rien ne doit freiner la production. Le risque devient désormais celui de la surproduction. Dès la fin de la guerre, les Etats-Unis écoulent leurs surplus vers l'Europe. Et surtout, en prêtant à leurs alliés de quoi se reconstruire, les Américains prévoient l'avenir. Les montants sont considérables. Trois milliards de dollars à la seule Grande-Bretagne en 1945; 18,6 milliards à l'ensemble de l'Europe en 1946, dans le cadre du fameux plan Marshall. Ces sommes, en principe destinées à empêcher l'Europe de sombrer dans le désordre, et-qui sait ?-le communisme, sont tout bénéfice pour l'industrie américaine. Elles lui assurent un client exsangue, aux besoins énormes, mais solvable à terme. Un autre bouleversement a fait mentir les Cassandres de la reconversion. Car nul ne s'attendait que l'après-guerre se transforme presque aussitôt en guerre froide. Assumer ses responsabilités mondiales en remplacement de la Grande-Bretagne épuisée et lutter contre le communisme menaçant impliquent, pour les Etats-Unis, des mesures immédiates. L'Amérique a beau démobiliser en 1945, cédant à la traditionnelle tentation isolationniste, jamais le budget de la défense ne retombe aux niveaux ridiculement bas de l'avant-guerre. La guerre de Corée relance les commandes dès 1950 et la montée en puissance du complexe militaro-industriel, qui va durablement changer le paysage économique et politique des Américains. Vainqueurs, n'ayant subi sur leur sol aucun dommage matériel, ils bénéficient d'un appareil de production intact. Les usines tournent désormais à plein, contre un taux d'utilisation de 75 % seulement en 1939. Il ne reste que 2 millions des 9 millions de chômeurs. La guerre a définitivement effacé les dernières traces de l'interminable convalescence qui a fait suite à la crise de 1929. Désormais responsable de la moitié du revenu mondial, contre un tiers avant-guerre, l'Amérique impose au monde un environnement économique qui lui soit favorable. Financièrement les accords de Bretton Woods consacrent la toute-puissance du dollar, tandis que les signataires du GATT s'engagent-sitôt reconstruits-à ouvrir leurs frontières commerciales. Les industries américaines vont donc bénéficier des débouchés qu'elles réclamaient pendant tout l'entre-deux-guerres. Les Etats-Unis, forts de leur puissance, ont facilement modelé le monde économique de l'après-guerre Il ne restera plus qu'à conserver cet avantage. DOMINIK BAROUCH Avril 1985

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