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L'armistice : sanglant matin du pays calme

Publié le 22/02/2012

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27 juillet 1953 - Sur le front de Corée, à la fin d'avril 1953. Une puissante offensive des Chinois et des Nord-Coréens, la mieux montée depuis le début de la guerre, a crevé le front au nord de Séoul. Pour les Américains et leurs alliés des Nations unies, la situation a été presque désespérée pendant quatre jours, et c'est le cinquième seulement que les journalistes ont été autorisés à monter au front. Circulant en jeep, je tombe à 5 kilomètres derrière la ligne de feu sur des troupes éreintées qui battent en retraite et s'installent pour la nuit dans la plaine et les collines, sans vraies défenses, comptant sur la protection de l'aviation, car la bataille continue. Elle a mal commencé. Notre aviation n'avait rien vu, tant le camouflage de l'ennemi est habile. L'offensive, lancée le 22 avril, la nuit, a ouvert une période dramatique, trois jours et trois nuits de combats ininterrompus, où malgré les furieux bombardements aériens, les Chinois, au prix de pertes énormes, ont un moment submergé nos troupes sous leur marée humaine. Mais pour des raisons inconnues, le commandement ennemi n'a pas su ou pas pu jeter à temps de nouvelles forces dans la brèche du front, et l'héroïsme des troupes alliées, spécialement des Britanniques et des Belges, a sauvé la situation. Les hommes me racontent ce qu'ils ont vécu. Un Américain : " Il y avait une vallée dans laquelle les Chinois se déversaient en masse. Par compagnies entières, ils ont été littéralement écrabouillés par notre artillerie. Les suivants sont arrivés à l'entrée de la vallée, ils ont vu la boucherie et ils sont entrés dedans. Ils marchaient par-dessus les cadavres des copains, ça a fait une couche de plus. Ça ne faisait rien, il en venait d'autres encore, qui voyaient ça, et y passaient à leur tour. " Un officier de chars : " Ils nous ont attaqués par vagues, armés seulement de méchants fusils et de grenades. Ils ont fini par être sur nous. Ils grimpaient sur nos tanks, ils essayaient de trouver des ouvertures, ils voulaient forcer leurs grenades dans les périscopes ou crever les prismes d'observation. D'un tank à l'autre, nous nous sommes mitraillés les uns les autres pour nous débarrasser de ces fourmis. " Cette guerre se déroule non dans un décor de tragédie mais dans un merveilleux paysage où le printemps coréen fait planer une note de sérénité et d'absurdité à la fois. Les vergers sont en fleurs au milieu des ruines d'un petite ville anéantie qui a déjà changé cinq fois de main, et demain ce sera la sixième, car nous la laisserons aux Chinois : l'heure est à la défense élastique. Séoul attend maintenant la bataille. Sur de vastes espaces, la ville n'est plus que cendres, et ce qui reste semble avoir été dévasté par un séisme. Les derniers civils ont fui la cité fantôme. Un grand orage d'artillerie secoue la nuit : les batteries installées en pleine ville crachent sans arrêt vers le front proche, que leur indique un collier permanent de fusées orange retombant lentement au-dessous des étoiles immobiles. Le 28, les Chinois continuent à avancer, soldats et coolies, ces derniers venus de Mandchourie en deux mois de marche. C'est le 29 avril, au sud d'Uijongbu, à une quinzaine de kilomètres devant Séoul, qu'ils vont être arrêtés. Nous sommes sur une colline, d'un état-major américain, des troupes et quelques journalistes. A ceux-ci, quand les choses vont mieux, on montre tout et on arrêterait presque la bataille pour leur faire un briefing. Devant nous un horizon de montagnes hérissées de pitons d'où " ils " descendent par une large vallée de terres rousses et de rizières sèches, route historique des invasions. A 2 kilomètres, des bois de conifères barrent le terrain, dernier obstacle entre eux et nous. Ils doivent y être arrivés et seront bientôt sur nous quand se déclenche au-dessus de nos têtes le carrousel aérien. L'arrosage au napalm commence sur des Chinois invisibles. (Pour nous, journalistes, le mot napalm est encore un mot nouveau.) Toute une colline là-bas craque, flambe et roussit. Les avions à réaction plongent les uns derrière les autres, les bombes infernales explosent en ballons de flammes qui s'étalent sur le terrain et renvoient dans le ciel pur d'énormes champignons de fumée noire. Les " jets " rebondissent, virent sur l'aile à la verticale comme pour un film de Hollywood, replongent en crachant le feu de toutes leurs mitrailleuses, rockettent, napalment : pas d'aviation chez l'ennemi, pas même de tirs antiaériens. Notre artillerie vient maintenant encager la zone d'opération, dont elle achève bientôt de faire un enfer. Au-dessus, la montagne aussi flambe et fume, les obus par-dessus nos têtes vont frapper les pitons sur nos flancs et presque en arrière de nos lignes, sur des pentes où sont repérées des infiltrations. Ce soir-là, la nuit sera tout à fait tranquille, comme si les " Chinks ", comme disent les GI, avaient disparu. Le lendemain au lieu de la ruée que Séoul attendait, on pique-nique dans les collines fleuries d'azalées sauvages. Une marée humaine Que les communistes pourraient recommencer plus tard sans nouveaux moyens de combat et dans les mêmes conditions paraît une hypothèse absurde. Eh bien, si ! le deuxième round éclate trois semaines plus tard sur le front oriental. Pour la deuxième fois des milliers d'hommes sans tanks ni avions ouvrent une brèche dans notre front, mais la formidable puissance de feu des alliés et leur tactique élastique finissent par endiguer la marée humaine. Après la bataille, au sud d'Inje les cadavres sur les pentes des montagnes chauves marquent la limite de l'avance ennemie : des centaines et des centaines de cadavres en rangs serrés, des amoncellements de corps, des bouillies noires de morts, les napalmés. On en vient à penser que cet échec pourrait être une démonstration voulue, à la chinoise, adressée à l'allié russe. Car la politique de Staline en Corée est décidément d'un cynique réalisme : épingler l'Amérique sur un front asiatique détestable, mais éviter une guerre générale, et employer pour cela les Chinois, sans leur donner les moyens de gagner. Il est bon que Mao ne devienne pas trop fort, et excellent que la guerre dure pour les Etats-Unis en Corée, comme pour la France en Indochine, les Anglais en Malaisie, les Néerlandais en Indonésie... Et voilà la guerre de Corée à la fois stabilisée sur le trente-huitième parallèle qui coupe en deux la péninsule, et assurée de durer indéfiniment. Cela est nouveau : car la guerre, commencée en juin 1950 par les Coréens du Nord communiste avec l'aide et la bénédiction de Staline, a d'abord été une guerre de mouvement. MacArthur d'abord ignominieusement refoulé au Sud, puis glorieusement remonté jusqu'au Yalou, frontière de la Chine, puis rejeté en dessous de Séoul par l'entrée en guerre des Chinois innombrables, MacArthur fulmine. Il veut, pour en sortir, porter le combat en Chine même, en commençant par des bombardements. C'est risquer la troisième guerre mondiale. Truman stoppe cette aventure: il limoge MacArthur. Coup de théâtre à la fin de juin. Jacob Malik, ambassadeur soviétique aux Nations unies, propose des conversations pour un cessez-le-feu, qui s'ouvrent d'abord à Kaesong en territoire nord-coréen, puis à Panmunjom sur le 38e parallèle entre les deux Corées. On n'attendra pas longtemps pour comprendre qu'on est devant une vieille ruse tactique de la guerre à la chinoise: négocier quand on a besoin de souffler, et continuer bientôt le combat tout en parlant de paix. Ce qui convient fort bien à Staline aussi. Les combattants savent, eux, que cette guerre n'a pas de fin. Elle est installée. Elle a construit son univers à part, un monde d'horreurs, d'absurdités et d'héroïsme. Lorsqu'on quitte le paradis du Japon, prospère et joyeux, pour la Corée, on se retrouve sur la planète de la guerre. Les plus enlisés dans le malheur sont les hommes du bataillon français. Eux seuls ont été laissés sans " rotation ", c'est-à-dire sans permissions à l'arrière ou au Japon. Ils se sont pourtant couverts de gloire, sous le commandement du général Monclar. Mais à Paris, où on a déjà assez de mal avec l'Indochine, le bataillon de Corée est impopulaire, ou négligé. Sur la planète de la guerre, reste-t-il seulement une Corée ? Dans une bande de territoire de 200 à 300 kilomètres de profondeur, presque plus un Coréen en vue. Plus de cinquante villes ont disparu. Au Nord, côté communiste, nos bombes, disent les aviateurs, ne soulèvent plus que de la poussière et n'allument plus aucun incendie. Tout est rasé jusqu'au Yalou, et sept millions de Nord-Coréens vivent sous terre. Au Sud, il faut beaucoup descendre pour retrouver quelques cités intactes, comme Fusan, d'ailleurs dans un état de misère, de saleté et de surpopulation épouvantable. Le soldat chinois est plus que jamais fanatique. La grande nouveauté, pour nous, c'est de découvrir peu à peu l'importance et la puissance du fabuleux réseau de communications et de fortifications souterraines de l'ennemi. C'est la réponse de la Chine à l'aviation américaine : les Chinois enterrés tiennent même sous les plus violents bombardements. Sur de vastes étendues, les montagnes et les collines sont truffées de tunnels. Dans les tranchées peu profondes, des puits étroits descendent dans un " métro " aux galeries interminables, avec logements, soutes à munitions ou à réserves, garages de camions ou même de locomotives, silos pour pièces d'artillerie, etc. Au sortir du deuxième hiver, un événement historique secoue le monde : Staline est mort ! Et comme par enchantement, avant un mois, c'est un soudain dégel dans les conversations de Panmunjom, où les Chinois se montrent tout à coup conciliants. Certes, il faudra encore trois mois de palabres, d'incidents et d'accusations mutuelles avant d'aboutir, mais on y arrivera. Panmunjom : dans la plaine jaune et les collines, le " rond de l'armistice ", étroit terrain neutre où les généraux des deux bords se chamaillent quotidiennement et interminablement dans une espèce de cabane. Les Américains ont découvert qu'ils pouvaient, à coups de bulldozers, faire grimper leurs chères jeeps et leurs camions jusqu'en haut des montagnes. Du coup, ils ont déjà désappris à marcher et grimper : c'est la route qui est venue rejoindre les hommes sur les crêtes. Par des lacets ahurissants, les véhicules à quatre roues motrices se hissent en rugissant jusqu'au sommet. Quand on redescend, on traverse de formidables zones militaires avec des camps immenses, des dépôts, des positions d'artillerie lourde, on circule sur des routes géantes que des centaines de coolies coréens réparent à mesure que les camions les défoncent. Fantastique aussi, la logistique américaine qui ravitaille et qui sert les forces de l'avant. Il y a dix Américains à l'arrière pour un au front. L'intendance est d'une importance et d'un perfectionnement incroyables. Un colonel me fait visiter une des plus belles nouveautés de son secteur : la blanchisserie régimentaire. A cheval sur un torrent abondant, il a installé un curieux monstre kaki, vaste édifice de toile, compliqué et fumant de vapeur. A un bout, en amont, trois cents hommes se présentent, ils se mettent tout nus. D'énormes machines s'emparent de leurs vêtements, et dans le torrent dont elles font bouillir les eaux, les lavent, pendant que les hommes se douchent. A la sortie en aval, on rhabille toute la compagnie de vêtements bien repassés. Le 27 juillet, enfin, à Panmunjom, le général Harrisson et le général nord-coréen Nam Il signent l'accord d'armistice. Dix-huit exemplaires mais pas un sourire, pas une poignée de mains. Revenant de Panmunjom, je me rends à un aérodrome entre le front et Séoul. C'est la ruée des GI qui veulent rentrer immédiatement aux Etats-Unis. Un formidable pont aérien venant de la côte ouest fonctionne déjà. Des quadrimoteurs monstrueux atterrissent littéralement les uns derrière les autres. Ils restent posés chacun trois minutes, le temps d'avaler entre trois et quatre cents hommes. Je cours dans l'herbe vers l'un d'eux. Tout petit sous l'énorme coque, je lève le nez vers la cabine de pilotage et fais de la main et du pouce le signe classique du piéton qui voudrait une place à bord. De là-haut le pilote me crie : " Where do you go ? " Je réponds : " Tokyo ! " Il crie : " Come up, boy ! And to California if you like ! " Je rentrerai sans autre cérémonie au paradis japonais. Pour la première fois de ma vie, j'ai fait de l'avion-stop. ROBERT GUILLAIN Le Monde du 31 juillet-8 janvier 1983

« sans leur donner les moyens de gagner.

Il est bon que Mao ne devienne pas trop fort, et excellent que la guerre dure pour lesEtats-Unis en Corée, comme pour la France en Indochine, les Anglais en Malaisie, les Néerlandais en Indonésie...

Et voilà laguerre de Corée à la fois stabilisée sur le trente-huitième parallèle qui coupe en deux la péninsule, et assurée de durerindéfiniment. Cela est nouveau : car la guerre, commencée en juin 1950 par les Coréens du Nord communiste avec l'aide et la bénédictionde Staline, a d'abord été une guerre de mouvement.

MacArthur d'abord ignominieusement refoulé au Sud, puis glorieusementremonté jusqu'au Yalou, frontière de la Chine, puis rejeté en dessous de Séoul par l'entrée en guerre des Chinois innombrables,MacArthur fulmine.

Il veut, pour en sortir, porter le combat en Chine même, en commençant par des bombardements.

C'estrisquer la troisième guerre mondiale. Truman stoppe cette aventure: il limoge MacArthur. Coup de théâtre à la fin de juin.

Jacob Malik, ambassadeur soviétique aux Nations unies, propose des conversations pour uncessez-le-feu, qui s'ouvrent d'abord à Kaesong en territoire nord-coréen, puis à Panmunjom sur le 38 e parallèle entre les deux Corées.

On n'attendra pas longtemps pour comprendre qu'on est devant une vieille ruse tactique de la guerre à la chinoise:négocier quand on a besoin de souffler, et continuer bientôt le combat tout en parlant de paix.

Ce qui convient fort bien à Stalineaussi.

Les combattants savent, eux, que cette guerre n'a pas de fin.

Elle est installée.

Elle a construit son univers à part, un monded'horreurs, d'absurdités et d'héroïsme. Lorsqu'on quitte le paradis du Japon, prospère et joyeux, pour la Corée, on se retrouve sur la planète de la guerre.

Les plusenlisés dans le malheur sont les hommes du bataillon français.

Eux seuls ont été laissés sans " rotation ", c'est-à-dire sanspermissions à l'arrière ou au Japon.

Ils se sont pourtant couverts de gloire, sous le commandement du général Monclar.

Mais àParis, où on a déjà assez de mal avec l'Indochine, le bataillon de Corée est impopulaire, ou négligé. Sur la planète de la guerre, reste-t-il seulement une Corée ? Dans une bande de territoire de 200 à 300 kilomètres deprofondeur, presque plus un Coréen en vue.

Plus de cinquante villes ont disparu.

Au Nord, côté communiste, nos bombes, disentles aviateurs, ne soulèvent plus que de la poussière et n'allument plus aucun incendie.

Tout est rasé jusqu'au Yalou, et sept millionsde Nord-Coréens vivent sous terre.

Au Sud, il faut beaucoup descendre pour retrouver quelques cités intactes, comme Fusan,d'ailleurs dans un état de misère, de saleté et de surpopulation épouvantable. Le soldat chinois est plus que jamais fanatique.

La grande nouveauté, pour nous, c'est de découvrir peu à peu l'importance et lapuissance du fabuleux réseau de communications et de fortifications souterraines de l'ennemi.

C'est la réponse de la Chine àl'aviation américaine : les Chinois enterrés tiennent même sous les plus violents bombardements.

Sur de vastes étendues, lesmontagnes et les collines sont truffées de tunnels.

Dans les tranchées peu profondes, des puits étroits descendent dans un" métro " aux galeries interminables, avec logements, soutes à munitions ou à réserves, garages de camions ou même delocomotives, silos pour pièces d'artillerie, etc. Au sortir du deuxième hiver, un événement historique secoue le monde : Staline est mort ! Et comme par enchantement, avantun mois, c'est un soudain dégel dans les conversations de Panmunjom, où les Chinois se montrent tout à coup conciliants.

Certes,il faudra encore trois mois de palabres, d'incidents et d'accusations mutuelles avant d'aboutir, mais on y arrivera.

Panmunjom :dans la plaine jaune et les collines, le " rond de l'armistice ", étroit terrain neutre où les généraux des deux bords se chamaillentquotidiennement et interminablement dans une espèce de cabane. Les Américains ont découvert qu'ils pouvaient, à coups de bulldozers, faire grimper leurs chères jeeps et leurs camions jusqu'enhaut des montagnes.

Du coup, ils ont déjà désappris à marcher et grimper : c'est la route qui est venue rejoindre les hommes surles crêtes.

Par des lacets ahurissants, les véhicules à quatre roues motrices se hissent en rugissant jusqu'au sommet.

Quand onredescend, on traverse de formidables zones militaires avec des camps immenses, des dépôts, des positions d'artillerie lourde, oncircule sur des routes géantes que des centaines de coolies coréens réparent à mesure que les camions les défoncent. Fantastique aussi, la logistique américaine qui ravitaille et qui sert les forces de l'avant.

Il y a dix Américains à l'arrière pour unau front.

L'intendance est d'une importance et d'un perfectionnement incroyables.

Un colonel me fait visiter une des plus bellesnouveautés de son secteur : la blanchisserie régimentaire.

A cheval sur un torrent abondant, il a installé un curieux monstre kaki,vaste édifice de toile, compliqué et fumant de vapeur.

A un bout, en amont, trois cents hommes se présentent, ils se mettent toutnus.

D'énormes machines s'emparent de leurs vêtements, et dans le torrent dont elles font bouillir les eaux, les lavent, pendant queles hommes se douchent.

A la sortie en aval, on rhabille toute la compagnie de vêtements bien repassés. Le 27 juillet, enfin, à Panmunjom, le général Harrisson et le général nord-coréen Nam Il signent l'accord d'armistice.

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