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latifundio et minifundio

Publié le 12/02/2013

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1  PRÉSENTATION 

 

latifundio et minifundio, appellations respectives, dans l’Amérique latine du xixe siècle, de la grande concentration de terres (généralement peu productives et de culture extensive) pour la première, et, dans sa périphérie, de l’émiettement des lopins de subsistance où survit une population captive et misérable, à l’état de servage, pour la seconde.

 

Il est, du reste, possible d’affirmer que latifundio et minifundio, en articulation et en interdépendance, sont les deux visages d’une même institution qui règne encore de nos jours dans les campagnes latino-américaines. Ceci vaut aussi bien sur le plan de la propriété, qu’au niveau du régime socio-économique et de la vie politique.

 

2  ORIGINES DE L’ORGANISATION DE L’ESPACE LATIFUNDIAIRE 

 

À l’origine, latifundio et minifundio constituent une des institutions fondamentales de la période espagnole proprement coloniale (fin xvie-début xixe siècle). Elles permettent alors l’organisation de l’espace et le contrôle des hommes, de leur force de travail et de leurs productions.

 

Cette situation n’est en rien modifiée par la rupture opérée par les guerres d’indépendance, même si de nouveaux propriétaires peuvent alors remplacer les anciens, à la suite des victoires militaires ou des règlements de comptes inhérents au processus de décolonisation. On peut même confirmer, bien au contraire, qu’une telle institution s’est consolidée au cours des premières décennies de la vie indépendante et républicaine des nouveaux États, en dépit des mesures prises par leurs dirigeants, dans le cadre de la (très) lente constitution d’un nouveau système légal et d’un marché de la propriété.

 

3  LA « NÉO-LATIFUNDISATION « DU XIXE SIÈCLE 

 

Les lois approuvées au lendemain de l’indépendance suppriment, au nom du libéralisme et de la liberté des échanges, la législation coloniale de protection des terres octroyées par la couronne espagnole aux communautés d’Indiens. Les propriétaires terriens, anciens et nouveaux, en profitent pour accroître leurs haciendas et domaines — pas nécessairement pour des raisons économiques, et rarement par des moyens pacifiques. C’est la première vague de « néo-latifundisation « des économies latino-américaines.

 

La mise en application des mesures à l’encontre des propriétés de « mainmorte «, — celles de l’Église catholique et des ordres religieux, ou celles de corporations civiles, qui visent également à éliminer les charges d’Ancien Régime (censos, capellanías, obras pías, etc.) entravant la circulation et l’échange des propriétés — favorisent en premier lieu les grands propriétaires (Nouvelle-Grenade, 1849-1853 ; Mexique, 1856-1865). Les divers projets qui, dans plusieurs pays, cherchent l’élargissement sensible du nombre de possédants et la formation d’une « république de propriétaires « n’aboutissent pas.

 

Dans la seconde moitié du xixe siècle, l’incorporation définitive des économies latino-américaines aux marchés internationaux et leur orientation résolue vers l’agro-élevage d’exportation provoquent une nouvelle vague de spoliation et de concentration de terres, au détriment des Indiens et des petits propriétaires et exploitants (Colombie, 1858 ; Bolivie, 1867 ; Pérou, 1876). Il s’agit là de la seconde « néo-latifundisation « de l’agriculture latino-américaine du xixe siècle.

 

Il est rare que les procédés visant à augmenter la surface des haciendas soient réguliers et légaux. La « civilisation « par l’immigration européenne et la chasse aux Indiens barbares pour s’approprier leurs terres (Argentine, 1876-1887) justifient souvent, sur le plan idéologique, une entreprise qui a régulièrement conduit à des massacres à répétition.

 

4  ÉCONOMIE ET SOCIÉTÉ « LATIFUNDIAIRES « 

 

Le couple institutionnel latifundio-minifundio ne s’est pas seulement manifesté dans la course à l’appropriation des terres. Il définit également un système socio-économique et politique, dont l’Amérique latine rurale ne détient, hélas, pas l’exclusivité.

 

La rationalité du latifundio a eu ses défenseurs, bien entendu, mais elle s’est avérée néfaste pour l’économie des pays respectifs, parce qu’elle a immobilisé d’une manière généralement improductive des surfaces considérables de terres, et parce que les bénéfices des exportations effectuées n’ont favorisé qu’une minorité sociologique, généralement urbaine. Le minifundio a été le réservoir biologique d’une main d’œuvre à bon compte et corvéable à volonté, entraînée à vivre dans la misère et le mépris, assujettie et fixée géographiquement par l’endettement envers le propriétaire du domaine (l’enganche péruvien ou la tienda de raya mexicaine) : il a rendu inutile d’augmenter les salaires (lorsque le salariat a pu se développer) ou le pouvoir d’achat, au-delà d’une certaine limite vitale, et ôté tout espoir de voir se constituer un marché intérieur de producteurs et de consommateurs libres. Le racisme à l’encontre des populations indiennes a donc, indiscutablement, sa contrepartie sur le plan de l’économie. Ce sont quelques-uns des obstacles majeurs à la modernisation économique du continent latino-américain.

 

Par ailleurs, et ce n’est pas le moins important, l’hacienda et ses dépendances sont des lieux où, bien souvent à l’abri de la conjoncture économique et politique, le pouvoir du propriétaire devenu cacique peut s’exercer « en toute liberté «. Certaines haciendas ont pu créer un système réglementaire, une police, des milices, et même une monnaie propre, différents de ceux de l’État. En renouant avec l’« absolutisme local « de la période coloniale, le couple institutionnel latifundio-minifundio empêche donc incontestablement la démocratisation réelle de la vie politique latino-américaine.

 

Le xixe siècle latino-américain est ainsi le témoin du renforcement d’une institution qui a encore démontré, au xxe siècle, son énorme capacité de résistance aux réformes agraires successives.

 

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