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L'auto-génocide du ghetto de Lodz

Publié le 17/01/2022

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1er août 1944 - Au coeur de la Pologne soumise à la domination hitlérienne, et jusqu'en 1944, il a existé un petit Etat juif. Non seulement celui-ci n'était pas hostile à l'appareil nazi, mais il servait ses intérêts et son organisation interne, empruntant certains traits à la dictature du IIIe Reich. C'est à Lodz, alors la deuxième ville de Pologne, que les autorités allemandes, en 1939, invitèrent (si tant est que ce terme puisse être ici employé) les juifs à maintenir une communauté autonome et organisée. Lodz bénéficia de ce traitement singulier parce qu'il formait un centre industriel. Les Allemands avaient besoin de la production de cette " Manchester de l'Est ", dont les juifs, avec un tiers de la population, formaient l'un des groupes les plus entreprenants. Dans les premiers temps, les occupants s'efforcèrent de regrouper la communauté juive, dont une part importante avait fui la ville, dans un seul district. Puis le ghetto fut progressivement isolé de l'extérieur, jusqu'à l'interdiction pour quiconque qui n'était pas fonctionnaire allemand d'y entrer ou d'en sortir. Sur l'initiative des nazis, toute une organisation propre s'y mettait en place. Les autorités juives du ghetto créèrent leur monnaie, frappée de l'étoile de David et de la Ménorah, un système de distribution de la nourriture et des soins, des écoles, une presse, des postes, un appareil administratif et juridique et, enfin, une force armée. Régnait sur cet édifice l'un des membres sionistes de l'ancien conseil élu de la communauté, un ancien directeur d'orphelinat, Mordechai Chaim Rumkowski, un personnage assez extravagant d'après les témoignages, qui fit régner sur ses coreligionnaires une dictature féroce. Les conditions de vie dans le ghetto étaient terrible . La première année, 15 à 20 % seulement de la population put trouver du travail. Bien que les salaires fussent plus bas qu'à l'extérieur, les rationnements y étaient plus stricts et les prix plus élevés. La corruption était généralisée dans l'administration. Le nombre des décès dans le ghetto passa de 7 000 à 18 000 personnes de 1940 à 1942. Au début de l'établissement de cet Etat crépusculaire, les groupements sionistes participaient à l'animation des activités culturelles et sportives de la cité. Les militants communistes étaient paralysés par la récente signature du pacte germano-soviétique. Ce n'est que tardivement qu'une résistance se développa, sans jamais prendre un caractère vraiment organisé. Il y eut plusieurs grèves, en particulier parmi les poissonniers, les bouchers et les cochers, qui payèrent cher leur résistance aux autorités du ghetto. Car celles-ci furent bientôt investies d'un sinistre nouveau pouvoir : celui d'organiser, pour le compte des Allemands, les déportations. Avant même l'inauguration du ghetto, les Allemands avaient demandé à Rumkowski et au conseil du gouvernement qu'il avait désigné, d'organiser le départ de milliers de gens pour les entreprises de travail forcé, où les chances de survie étaient nulles. Pour chaque malheureux ainsi arrêté et déporté, 0,70 Reichsmark était versé au budget du ghetto. Un an après avoir isolé la cité juive, les nazis demandèrent dix mille personnes. La police et les pompiers arrêtèrent des milliers de leurs coreligionnaires, sous les prétextes les plus divers. Lodz servit aux Allemands de centre de regroupement d'une partie des juifs d'Europe centrale, préalable pour la plupart à la déportation. Cet afflux maintenait paradoxalement les partisans du compromis dans une position de force. L'argument était toujours le même : sacrifions une partie des nôtres pour sauver la plupart. La preuve que les Allemands veulent préserver le ghetto est qu'ils continuent à y amener de la main-d'oeuvre. Or les nazis se servirent précisément des nouvelles arrivées pour réclamer, en 1941, la déportation de mille personnes par jour. Ne fallait-il pas éviter la surpopulation du ghetto ? En peu de temps, soixante mille juifs furent ainsi arrêtés, toujours par l'administration et la police juives, remis aux Allemand et expédiés vers les camps de la mort. Le ghetto s'était alors amputé lui-même du tiers de ses habitants. Une fois enclenché, le processus continua jusqu'à la liquidation quasi complète du ghetto, ordonné en août 1944. Tout le monde fut déporté, policiers comme résistants, mouchards comme simples citoyens. La mort était leur destin commun. Rumkowski lui-même n'y échappa pas et, dit-on, fut dès son arrivée dirigé vers la chambre à gaz. Quand les armées soviétiques entrèrent dans le ghetto de Lodz, des deux cent cinquante mille personnes de 1939 il en restait mille.

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