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Le Front national se banalise aux yeux de l'électorat de droite

Publié le 17/01/2022

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15 mars 1998 - La confirmation par le Front national, lors des élections régionales, des scores qu'il avait atteints aux législatives de 1997 et à la présidentielle de 1995, son incrustation durable dans le paysage politique français, le rôle d'arbitre de plus en plus évident qu'il est en mesure de jouer entre droite et gauche, le trouble manifeste qu'il a suscité, lors de l'élection des présidents de région, chez les militants et dirigeants locaux du RPR et de l'UDF : tout laissait craindre un effritement de l'attitude de rejet de l'extrême droite par les Français. Le sondage effectué, à intervalles réguliers, depuis 1983, par la Sofres pour RTL et Le Monde témoigne, cette année, que ces craintes ne sont pas fondées. L'opinion publique reste hostile au mouvement de Jean-Marie Le Pen. En effet, quatre Français sur cinq (79 %) sont en désaccord avec les idées défendues par le FN, et trois sur cinq (61 %, en hausse de 3 points par rapport à 1997) se déclarent " tout à fait en désaccord " . Comme en 1997, l'influence du FN ne s'exerce que sur un Français sur cinq : 20 % des personnes interrogées se déclarent tout à fait ou assez d'accord avec ses idées. De même, les trois quarts des personnes interrogées (73 %) considèrent le FN comme un danger pour la démocratie. A l'exception du pourcentage record de 1997 (75 %), c'est le degré de défiance le plus élevé depuis une quinzaine d'années. Pour rassurants qu'ils soient, ces résultats globaux ne gomment pas, cependant, les multiples signes de banalisation du FN aux yeux d'une part notable des Français et, en particulier, de l'électorat du RPR et de l'UDF. Ainsi, pour 42 % des personnes interrogées, le FN est " une formation politique comme les autres " , contre 53 % qui sont d'avis contraire. Plus de la moitié des employés (52 %) et des commerçants, artisans et industriels (53 %) estiment que le mouvement d'extrême droite est un parti comme les autres. C'est également le cas de 54 % des électeurs du RPR et de 49 % de ceux de l'UDF. De même, le rejet, en général, des idées du FN par 79 % des personnes interrogées doit être nuancé. Trois des thèmes favoris de Jean-Marie Le Pen recueillent en effet un taux d'approbation sensiblement supérieur : 30 % des Français (et, parmi eux, 44 % des électeurs du RPR) sont d'accord avec sa " défense des valeurs traditionnelles " ; 29 % (en hausse de 3 points en un an) sont également d'accord avec ses prises de position sur la sécurité et la justice et, parmi eux, 39 % des électeurs du RPR ; enfin, 24 % des personnes interrogées déclarent partager les positions de M. Le Pen sur l'immigration. Les critiques contre la " classe politique " et contre le RPR et l'UDF commencent à constituer de solides terrains de la propagande frontiste avec, respectivement, 20 % et 15 % d'approbation. Le troisième symptôme de banalisation de l'extrême droite aux yeux de l'opposition de droite ressort du jugement porté sur les prises de positions du FN. L'ensemble des personnes interrogées les déclarent justes (10 %), excessives (39 %) ou inacceptables (48 %), et l'électorat de droite ne se distingue pas de l'ensemble de l'opinion publique sur le premier qualificatif. En revanche, il est beaucoup plus nombreux à juger les thèses du FN plus excessives qu'inacceptables. Ainsi, 53 % des sympathisants du RPR (en hausse de 4 points en un an) et 51 % de ceux de l'UDF (en hausse de 10 points en un an) retiennent le qualificatif " d'excessif " ; à l'inverse, 32 % seulement des sympathisants du RPR (en baisse de 4 points) et 37 % de ceux de l'UDF (en baisse de 7 points) qualifient les positions du FN d'inacceptables. Autrement dit, un tiers seulement des sympathisants RPR-UDF récusent fondamentalement les thèses de M. Le Pen. Bruno Mégret conforté Quatrième symptôme de cette porosité croissante des électeurs de droite aux idées de l'extrême droite : 34 % des électeurs du RPR (en hausse de 11 points en un an) et 32 % de ceux de l'UDF (en hausse de 6 points) ne considèrent pas le FN comme un danger pour la démocratie. Ainsi, un tiers des sympathisants du RPR et de l'UDF ne jugent pas que le mouvement d'extrême droite constitue un risque pour la démocratie. Ils n'étaient qu'un quart à partager ce jugement, en mars 1997, lors de la précédente enquête de la Sofres. De la même manière, il n'y a plus, cette année, que 21 % des électeurs de l'UDF (en baisse de 17 points) et 28 % de ceux du RPR (en baisse de 2 points) pour estimer que le FN est l'adversaire principal de l'opposition RPR-UDF. La gauche est désormais l'adversaire principal pour 63 % des sympathisants UDF et 55 % de ceux du RPR. Il est vrai qu'entre-temps la gauche a gagné les législatives et est revenue au pouvoir, mais l'on mesure bien, sur ce point, les frustrations provoquées, à droite, par l'échec de la dissolution. Ces constatations sont évidemment de nature à conforter la stratégie de Bruno Mégret, dont on a pu constater l'efficacité redoutable au moment de l'élection des présidents de région : en donnant au programme du FN des allures plus respectables et en faisant mine d'estomper les points les plus controversés de son programme - comme la préférence nationale, qui reste pourtant au coeur de son projet -, le mouvement d'extrême droite est en mesure de déstabiliser cette bonne moitié de l'électorat de droite, pour qui les positions du FN n'ont pour principal défaut que d'être " excessives " . GERARD COURTOIS Le Monde du 28 avril 1998

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