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Le Japon cherche à restaurer sa crédibilité par son assistance financière à la région

Publié le 17/01/2022

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17 novembre 1998 - Souvent contraint d'adopter un profil bas dans les réunions internationales, le Japon peut se prévaloir devant son opinion d'un succès diplomatique en ayant obtenu, à Kuala Lumpur, le renvoi du dossier sur la libéralisation des échanges commerciaux dans neuf secteurs, dont celui des produits forestiers et de la pêche, aux négociations dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Les Japonais n'ont fait en réalité que différer la résolution du problème. Mais Tokyo, qui risquait de se trouver isolé, a eu la satisfaction d'avoir été soutenu dans sa résistance aux pressions américaines par la Chine et par la Corée du Sud. Les dissensions américano-nipponnes peuvent être perçues comme un affrontement "d'arrière-garde" entre globalisation et protectionnisme. Sur la pêche et les forêts, le Japon défend des secteurs bénéficiant du soutien de puissants lobbies. La sur-représentation parlementaire des campagnes explique l'importance politique du vote des pêcheurs. Plus gravement, placé sous le signe de l'affrontement entre Américains et Japonais, le sommet de Kuala Lumpur donne l'impression que, en l'absence d'une entente entre les Deux Grands de la région, il est difficile de formuler une réponse collective à la crise. La coopération américano-nipponne en matière d'assistance financière à la région (un plan de 10 milliards de dollars) n'a pas dissipé cette impression. Allant plus loin, le quotidien Asahi Shimbun s'interrogeait, mardi, sur la signification même de la notion d'Asie- Pacifique au-delà de son acception purement géographique et soulignait l'absence d'une vision commune des causes et des leçons des crises asiatiques. Arrière-pensées Les Japonais sont conscients des arrière-pensées et de la fragilité du soutien de certaines capitales de la région dans leur résistance aux Américains sur la question des pêches et des forêts. Il n'y a en rien un "front" asiatique (ne serait-ce que parce que plusieurs pays exportateurs de produits de la mer et de bois demandent une plus grande ouverture du marché nippon). Au Japon même, des commentateurs critiquent la position de leur gouvernement sur cette question, tout en condamnant la manière dont Washington a cherché à imposer un accord avant que cette question ne soit discutée au sein de l'OMC avec les Européens. Les Japonais semblent cependant avoir regagné, à Kuala Lumpur, la confiance de leurs partenaires asiatiques en prenant l'initiative d'assistances financières multilatérales à la région. La réunion de Kuala Lumpur marque ainsi une évolution de la nature des questions discutées au sein de l'APEC. A l'origine créé afin de favoriser les échanges commerciaux, le forum tend, sous l'effet de la crise, à étendre la coopération de ses Etats membres au domaine monétaire et financier. L'assistance proposée conjointement par les Etats-Unis et par le Japon aux pays en difficulté de la région est un exemple de cette évolution. L'"initiative Miyazawa" (plan d'aide financier de 30 milliards de dollars proposé le mois dernier par le ministre des finances japonais lors de la rencontre avec ses homologues à Washington dans le cadre du G 7) en est un autre. Cette initiative est significative de la volonté du Japon de restaurer, dans la région, une crédibilité qui a été entamée à la fois par les critiques dont il est l'objet de la part des Etats-Unis - ceux-ci lui reprochant d'aggraver la crise régionale par sa réticence à stimuler son économie -, par la montée en puissance de la Chine et par l'affaiblissement du yen au cours de l'été. L'accueil favorable fait au plan Miyazawa par les partenaires industrialisés du Japon est révélateur d'un changement de climat. Durant l'été 1997, lorsque le Japon avait proposé, pour faire face à la crise asiatique, la création d'un fonds régional de 100 milliards de dollars (sorte de Fonds monétaire asiatique), il avait été renvoyé dans ses foyers par les Américains, qui estimaient qu'il y aurait interférence avec le Fonds monétaire international (FMI). La Chine, qui y voyait une ombre à son prestige, s'y était également opposée. Cette fois, le Japon paraît avoir convaincu tout le monde. Le projet reçoit un accueil enthousiaste dans la région, déçue ou irritée par les effets des "remèdes" du FMI. M. Miyazawa s'est fait lui-même l'écho de ces critiques en déclarant récemment : "Le FMI a entamé sa crédibilité lorsqu'il a assorti son programme d'aide de mesures de réformes de structure qui n'étaient ni nécessaires ni appropriées." Selon le doyen de l'institut de la Banque asiatique de développement à Tokyo, Jesus P. Estanislao, cité par le Japan Economic Journal, "la récession en Asie est d'abord un problème régional en raison de la profonde interdépendance des économies, et la solution doit être régionale. Le plan Miyasawa, qui peut être à l'origine d'un Fonds monétaire pour l'Asie de l'Est, est bienvenu". La démarche du Japon a un but immédiat : se "repositionner" en Asie et, faute de pouvoir aider les pays de la région en important leurs produits en raison de sa propre récession, leur apporter une assistance financière. L'initiative pourrait aussi contribuer, à terme, à donner au yen une meilleure assise régionale, l'une des préoccupations des milieux financiers japonais étant le risque de voir se constituer un "bloc euro" face à un "bloc dollar" au moment où le Japon lui-même est économiquement affaibli. PHILIPPE PONS Le Monde du 18 novembre 1998

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