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Le pouvoir de faire le mal rend la tentation presque invincible.

Publié le 22/02/2012

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Qu'on ne pratique la justice que malgré soi, par impuissance de commettre l'injustice, nous ne pourrions mieux le montrer qu'en imaginant le cas suivant. Donnons au juste et à l'injuste la liberté de faire ce qui leur plaît; puis suivons-les et voyons où la passion les mène l'un et l'autre. Nous prendrons le juste sur le fait, s'engageant sur la même voie que l'injuste, pour avoir plus, ce que toute nature poursuit comme un bien, mais que par la loi on ramène de force au respect de l'égalité. Cette faculté dont je parle ferait bien l'affaire, si leur était donné le même pouvoir que reçut autrefois, dit-on, Gygès, l'ancêtre du Lydien. Il était berger au service du roi qui régnait alors en Lydie. Après un violent orage et un tremblement de terre, le sol s'était fendu et une ouverture béante s'était formée à l'endroit où il paissait son troupeau. Les yeux pleins d'étonnement, il descendit dans le trou et vit, entre autres prodiges rapportés par la légende, un cheval d'airain, creux, percé de petites portes, à travers lesquelles, en passant la tête, il aperçut un cadavre qui, selon toute apparence, dépassait la taille humaine. Celui-ci n'avait rien d'autre qu'un anneau d'or à la main, dont Gygès s'empara avant de sortir. A l'assemblée ordinaire que tenaient les bergers pour faire au roi le rapport mensuel sur l'état des troupeaux, Gygès se rendit avec son anneau. Ayant pris place parmi les autres, il tourna par hasard le chaton de la bague vers lui, à l'intérieur de sa main; alors il devint invisible à ses voisins et l'on parla de lui comme s'il était parti. E tonné, il mania de nouveau sa bague pour tourner le chaton en dehors, et ainsi redevint visible. Voyant cela, il mit encore à l'épreuve son anneau pour voir s'il avait bien ce pouvoir : ainsi arriva-t-il qu'en tournant le chaton à l'intérieur il devenait invisible; à l'extérieur, visible. Sûr de lui, il s'arrangea aussitôt pour faire partie de la délégation qui se rendait auprès du roi. Arrivé au palais, il séduisit la reine, puis grâce à elle put attaquer le roi, le tuer et s'emparer du trône. Si donc il y avait deux anneaux comme celui-là et que le juste reçût l'un, l'injuste l'autre, quelle est l'âme de diamant qui s'en tiendrait à la justice et résisterait avec courage à la tentation de toucher au bien d'autrui, quand il pourrait impunément prendre au marché ce qu'il voudrait, pénétrer dans les maisons pour violer qui lui plairait, tuer les uns, briser les fers des autres et tout faire à l'égal d'un dieu parmi les hommes? Se comportant ainsi, rien ne le distinguerait de l'injuste, et ils tendraient tous deux au même but. Et certes on pourrait voir là une grande preuve que personne n'est juste volontairement, mais par contrainte, la justice n'étant pas un bien individuel, puisque partout où l'on se croit capable de commettre l'injustice. on la commet. Tout homme en effet croit que l'injustice est individuellement plus profitable que la justice, et il pense vrai selon le partisan de l'opinion que j'expose. Car si quelqu'un, disposant d'un tel pouvoir, ne consentait jamais à commettre l'injustice et à toucher au bien d'autrui, il paraîtrait à ceux qui le connaîtraient comme le plus malheureux et le plus insensé des hommes; ils le loueraient certes en présence les uns des autres, mais pour se tromper mutuellement dans la crainte d'être eux-mêmes victimes de l'injustice. PLATON.

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