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Le rôle du milieu : comment la Province nourrit les passions.

Publié le 22/02/2012

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Province, terre d'inspiration, source de tout conflit! La Province oppose encore à la passion les obstacles qui créent le drame. L'avarice, l'orgueil, la haine, l'amour à chaque instant épiés, se cachent, se fortifient de la résistance qu'ils subissent. Contenue par les barrages de la religion, par les hiérarchies sociales, la passion s'accumule dans les coeurs. La Province est pharisienne. La Province croit encore au bien et au mal : elle garde le sens de l'indignation et du dégoût. Paris enlève à la passion tout son caractère : chaque jour Phèdre y séduit Hippolyte et Thésée lui-même s'en moque. La Province laisse encore à l'adultère son romanesque le mari, l'amant, le confesseur, l'enfant y demeurent les protagonistes de tragédies admirables. Les sodomites y doivent, pour vivre, recourir à plusieurs masques, s'envelopper d'un nuage ténébreux. Dans une ville de cent mille habitants, on n'en dénoncerait pas dix; de quelles ruses se doivent-ils aider et que l'assouvissement des passions y demeure périlleux! Mais à Paris, elles passent à visage découvert; elles ont jeté leurs couteaux et leurs masques; on ne les regarde même plus. ... Non seulement la Province seule sait encore bien haïr, mais ce n'est plus que chez elle qu'une haine survit à l'homme qui la nourrit et se transmet à ses enfants. ... Madame Bovary, ce n'est pas l'histoire d'une petite provinciale : tout provincial s'y retrouve. La Province française est peuplée de jeunes êtres consumés d'appétits inassouvis. Toutes ces ambitions refoulées, et dont le refoulement décuple la puissance, assurent plus tard aux provinciaux les premières places dans la politique, dans la littérature, dans les affaires. La Province est une pépinière d'ambitieux. De même qu'il faut que la meute jeûne avant la chasse, ces garçons échappés à leur Province n'atteindront plus jamais à contenter leur appétit.... La Province nous montre dans les êtres des passions vives et des barrages. ... La Province est peuplée d'emmurés, d'êtres qui n'imaginent pas que se puisse jamais réaliser leur désir. La Province condamne la plupart des femmes à la vertu. Combien, parmi elles, n'avaient pas la vocation de la vertu! Certaines femmes sont jugulées par leur Province, comme autrefois le furent au cloître des filles sans vocation. Naguère encore, toutes prisonnières du même cachot, elles se montraient impitoyables à celles qui s'évadaient. Il n'y a pas bien longtemps que, même dans une grande ville de Province, celle dont on disait : « C'est une femme qui fait parler d'elle s était une femme perdue. Nous avons vu des femmes rejetées par leur milieu, abreuvées d'opprobres, uniquement « parce qu'on parlait d'elles ». Des femmes, qui se glorifient d'une vertu qu'elles n'ont pas choisie, c'est leur unique consolation en ce monde d'accabler les amoureuses qui n'ont pas, non plus, choisi librement d'aimer et d'être aimées. Celles qui languissent loin de l'amour, le mépris qu'elles dispensent aux femmes perdues les aide à vivre. Des provinciales réussissent-elles à cacher leurs amours, tout en sauvegardant leur situation? Les confesseurs le savent. Que de combinaisons géniales, pour dépister les curiosités, pour duper toute une province! Que de vies provinciales, enserrées dans un réseau de mensonges que la mort même ne déchire pas! Donner le change à sa ville, quelle satisfaction pour une femme! Connaître ensemble les joies de la passion, et celles de la politique! FRANÇOIS MAURIAC.

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