Devoir de Philosophie

L'économie algérienne s'enfonce dans la sinistrose

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

28 avril 2001 Paradoxe des paradoxes ! Jamais l'Algérie n'a vécu sur un tel matelas de réserves en devises : 12,2 milliards de dollars à la fin janvier 2001, à r aux 700 millions de dollars de 1990. Et pourtant, jamais l'économie réelle, hors pétrole et gaz, n'a paru aussi « en panne » qu'aujourd'hui. Les ministres du président algérien Abdelaziz Bouteflika eux-mêmes n'hésitent plus à parler de « sinistrose » pour qualifier la situation des entreprises. Les derniers chiffres de l'indice de la production industrielle du secteur public, publiés par l'Office national des statistiques (ONS), sont consternants : sur les neuf premiers mois de l'année 2000, comparés à la période correspondante de 1999, l'indice calculé hors hydrocarbures a reculé de 0,3 %. Pis, celui des industries manufacturières a décliné de 1,4 %. Certaines branches sont totalement sinistrées ; l'industrie du bois et du papier : - 14 % ; l'industrie textile et la confection : - 9,9 % ; les industries agroalimentaires : - 6,0 %... Le marasme a eu tendance à s'accentuer, de trimestre en trimestre, pour culminer au troisième, avec un indice de la production manufacturière en recul de 3,4 % (comparé au troisième trimestre 1999). Le record des baisses étant remporté par la branche cuir et chaussure : - 29,9 % ! Depuis cette période, l'ONS n'a plus publié de chiffres, ce qui laisse supposer qu'ils sont, pour le moins, médiocres. CH'MAGE Dans une allocution récente, le président algérien a reconnu la baisse de la production industrielle du secteur public en 2000, mais a souligné la hausse (qu'il estime à 6,5 %) de la production industrielle du secteur privé. Le ministère du plan, lui, estime à - 5 % le recul de la production agricole en 2000. L'ampleur de l'excédent commercial de l'Algérie, en 2000, s'explique, pour partie, par l'atonie de la demande intérieure. En effet, les importations ont stagné, en dollars, au moment même où la valeur des exportations, sous l'impulsion de la hausse du prix du pétrole, opérait un bond de 75 %. Les douanes algériennes ne reconnaissent qu'une croissance de 56 % des exportations, mais elles semblent avoir minoré une partie des ventes d'hydrocarbures. Résultat : les achats de l'Algérie à l'étranger sont restés, en 2000, en dessous du chiffre des importations de l'année 1995 : 9,2 milliards de dollars contre 10,1 milliards de dollars. Pas par manque de moyens en devises, mais faute de demande. La consommation des ménages suit la courbe, descendante, du pouvoir d'achat moyen des Algériens, tandis que les entreprises parviennent, à peine, à acheter les matières premières et demi-produits nécessaires à la poursuite de leurs activités. Seuls les approvisionnements vitaux sont assurés. Comment créer des emplois dans de telles conditions ? Et comment répondre à l'impatience des jeunes - qui représentent la moitié de la population - alors que les trois quarts des chômeurs ont moins de trente ans ? C'est la même revendication de travail, de logements et d'espoir qui fait marcher les manifestants de Kabylie et les étudiants d'Alger. Cette grogne sociale se comprend d'autant mieux que l'Etat algérien a engrangé l'année dernière une « cagnotte substantielle » : l'excédent du budget a dépassé les 500 milliards de dinars, soit 6,64 milliards de dollars. Cette « cagnotte », après avoir été gardée secrète, a longtemps été « gelée » pour des raisons mal expliquées. Il a fallu cinq mois entre la première rédaction de la loi de finances 2001 (en novembre 2000), marquée par la poursuite de l'austérité budgétaire, et l'annonce, en avril 2001, d'un plan de relance qui reste encore bien flou. Ce plan qui couvre la période 2001-2004 prévoit l'injection de quelque 10 milliards de dollars de financements dans l'économie sur trois ans : soit 7 milliards de dollars de fonds publics algériens (525 milliards de dinars) et 3 milliards de dollars environ de financements extérieurs. Cette relance reste néanmoins très imprécise : il est question de l'allègement de la dette des communes et des agriculteurs, d'un programme d'urgence pour le Grand Sud, de travaux de modernisation des infrastructures. Mais rien ne permet d'assurer que ces injections financières seront converties en activités productives. Les entreprises du secteur public ont ainsi déjà englouti 17 milliards de dollars pour un assainissement d'autant plus hypothétique qu'elles sont toujours déficitaires et lourdement endettées. Parallèlement, les activités productives du secteur privé se heurtent à des taux d'intérêts excessifs : + 8 %, alors que l'inflation est tombée à 0,3 % ! INSÉCURITÉ Comment, en définitive, justifier cette incapacité d'impulser une vraie dynamique de croissance dans les secteurs qui ne dépendent pas directement du pétrole et du gaz ? Même le poids des entreprises publiques, qui accumulent les pertes et handicapent d'autant les grandes banques du pays, toutes publiques elles aussi, n'explique pas totalement la panne actuelle. Après tout, l'économie chinoise souffre de maux similaires, ce qui ne l'empêche pas, aujourd'hui, de dégager, dans d'autres secteurs, de fortes valeurs ajoutées. Faut-il incriminer l'insécurité qui rebute les investisseurs étrangers ? Elle joue sûrement un rôle dans l'attentisme ambiant. Mais comme l'explique l'ancien ministre réformateur de l'économie Ghazi Hidouci : « Je ne vois pas bien en quoi la question sécuritaire a pu empêcher les gens de travailler et de produire. Songez à la guerre de libération : ce fut une grande période de prospérité économique... » L'insécurité qui rebute les investisseurs porteurs de projets industriels est aussi d'ordre institutionnel et juridique. Depuis 1992, les gouvernements ont confectionné des règlements successifs dans le but, sans cesse affiché, d'ouvrir « l'économie algérienne au marché ». D'où la confusion qui règne aujourd'hui au niveau des textes, toujours en chantier. Les derniers projets de loi du gouvernement d'Ali Benflis, comme les ordonnances du président Bouteflika, n'échappent pas à cette règle. Pis, ils auraient même parfois tendance à favoriser un retour au dirigisme d'Etat, comme l'ordonnance présidentielle qui, au mois de mars, est venue amender la loi très libérale du 14 avril 1990 sur « la monnaie et le crédit », garante de l'indépendance de la Banque d'Algérie. Récemment, l'ancien premier ministre Ahmed Benbitour (remplacé par Ali Benflis en août 2000) s'interrogeait, dans un entretien accordé au journal Le Matin sur l'utilité de l'incessante révision des lois économiques : « Tout cela me laisse perplexe : quel obstacle a-t-on rencontré avec les lois en vigueur pour qu'on décide de l'élaboration de nouvelles lois ? » Les investisseurs, qu'ils soient algériens, français ou allemands se plaignent de cette incertitude juridique et du foisonnement des déclarations contradictoires : si rien n'est plus interdit, rien n'est formellement permis non plus. Ce qui favorise les comportements arbitraires. L'absence d'un véritable droit des affaires renvoie aux lacunes d'un Etat de droit en général. Faut-il s'en étonner, alors que l'Algérie vit sous l'état d'urgence depuis février 1992 ?

Liens utiles