Devoir de Philosophie

L'enfant emblématique de la Palestine

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

1er octobre 2000 Il s'appelait Mohamad El Dirah, n'avait que douze ans, et, telle Kim Phuc, cette fillette vietnamienne immortalisée par l'objectif d'un correspondant de guerre lorsqu'elle fuyait les bombardements de napalm qui venaient de la dévorer, il sera vraisemblablement, demain, l'enfant emblématique de la Palestine, celui dont la mort a soulevé d'indignation un pays, tout entier levé contre ce qu'un haut fonctionnaire de Ramallah appelle « l'assassinat d'un innocent, un crime de guerre ». Filmée en direct par une équipe de France 2 dont les images ont fait le tour du monde, la mort bouleversante de Mohamad mettra dans l'embarras l'armée israélienne, accusée d'être à l'origine des coups de feu mortels. Interrogé, dimanche 1er octobre, un proche collaborateur militaire du ministre de la sécurité intérieure, Shlomo Ben Ami, affirmait que les autorités israéliennes étaient disposées à créer une commission d'enquête pour déterminer l'origine des tirs qui ont tué Mohamad, mais qu'il leur fallait pour cela l'improbable collaboration des Palestiniens. Alors que ceux-ci affirmaient que les coups de feu mortels avaient été tirés par les Israéliens, ces derniers, qui avaient d'abord laissé entendre que la victime, prise entre deux feux, avait été touchée par un tir d'origine indéterminée, se sont finalement montrés plus catégoriques. Dimanche, le commandant de la région sud, où se trouve Netzarim, le général Yomtov Sami'a, a assuré qu'après étude de la séquence diffusée par les télévisions le tir mortel ne pouvait venir que des Palestiniens. CAMERAMAN CHEVRONNÉ Le visionnage de tout le film, qui indique clairement la disposition des protagonistes, comme le témoignage précis de Talal Abou Rahmeh, qui a tourné la scène, ne permettent pas d'en être convaincu. Cameraman chevronné de France 2, ayant « couvert », durant et depuis l'Intifada, des dizaines de manifestations violentes, Talal Abou Rahmeh se trouvait, samedi 30 septembre, en compagnie de son preneur de son, au carrefour de Netzarim, dans la bande de Gaza. L'endroit est le théâtre d'affrontements chroniques entre manifestants palestiniens et soldats israéliens déployés en nombre pour protéger Netzarim, enclave israélienne en territoire sous contrôle de l'Autorité palestinienne. Depuis le début des derniers incidents, vendredi, les heurts y ont été particulièrement sévères. « Les jeunes lançaient des pierres, et les soldats israéliens répliquaient sporadiquement par des tirs, raconte Talal. Soudain, ça s'est mis à tirer de partout, Israéliens comme Palestiniens. J'ai juste eu le temps de plonger derrière une camionnette. C'est alors que j'ai vu en face de moi, de l'autre côté de la rue, un homme et un jeune garçon tapis derrière un bloc de béton [en réalité, il s'agissait d'une poubelle en fer]. Un cameraman de l'agence Reuters était avec eux. Au bout de quelques instants, ce dernier a réussi à s'enfuir, attirant sur le bloc de béton une grêle de balles. » « UNE GRÊLE DE BALLES » « L'homme et l'enfant sont restés bloqués derrière, plaqués l'un contre l'autre pour ne pas être touchés. L'enfant s'est mis à crier et à pleurer. Le père criait en direction des Israéliens, comme s'il leur demandait d'arrêter. Puis il a tenté de téléphoner avec son portable. Il y a eu d'autres coups de feu, des balles venues du côté israélien qui visaient délibérément le bloc de béton. Plusieurs hommes ont été touchés dans la rue. Un ambulancier du Croissant-Rouge palestinien, qui tentait d'arriver, a été touché à son tour, mort. Et puis il y a eu une rafale ; ça venait d'en haut, du côté israélien, on le voit bien dans le film. L'homme derrière le bloc et son fils ont été touchés. On ne pouvait rien faire. Au moindre mouvement, une grêle de balles s'abattait sur nous. Charles [Enderlin, le correspondant de France 2 à Jérusalem] n'arrêtait pas de m'appeler sur mon portable. Je filmais, mais j'ai cru que j'allais y passer à mon tour. Je lui ai demandé de prendre soin de mes enfants. La fusillade a duré 45 minutes. Quand elle s'est arrêtée, l'enfant était vraisemblablement déjà mort. » La famille a plus tard expliqué que, quittant le camp de réfugiés d'El Braj, où les El Dirah résident, Jamal, le père, qui voulait acheter une voiture d'occasion, avait emmené son fils avec lui. Le carrefour, que l'on ne peut contourner, était alors plus ou moins calme. Lorsqu'ils sont revenus dans l'après-midi, tentant de retraverser l'inévitable carrefour pour regagner le camp, leur taxi a été pris dans les tirs, les forçant à se réfugier derrière le bloc fatal où Mohamad est mort. Les médecins de l'hôpital de Gaza où Mohamad et son père ont été ensuite transportés n'ont pas retrouvé de balles dans leurs corps, traversés de part en part. Grièvement blessé mais survivant, le père de Mohamad est aujourd'hui hospitalisé. Son fils a été enterré dimanche, porté telle une bannière ensanglantée par des milliers de manifestants.

Liens utiles