Devoir de Philosophie

Les Etats-Unis vont développer le bouclier antimissile

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

etats unis
1er mai 2001 Trois mois après son arrivée à la Maison Blanche, le président George W. Bush a formellement lancé, mardi 1er mai, un plan de défense antimissile qui fait table rase du traité ABM de 1972 et bouleverse la doctrine nucléaire de la guerre froide, plan auquel il affirme vouloir associer les alliés par un processus de consultations de haut niveau. Réitérant les engagements pris pendant la campagne électorale, M. Bush a confirmé, dans un discours prononcé devant la National Defense University à Washington, que son administration était déterminée à développer et déployer une forme de bouclier antimissile dans les meilleurs délais, afin de « contrer les différentes menaces du monde d'aujourd'hui ». Mais le président républicain est allé beaucoup plus loin que par le passé dans sa dénonciation du traité sur le non-déploiement de systèmes de missiles antibalistiques (ABM) conclu par Richard Nixon et Léonid Brejnev en 1972, un traité « qui ne reconnaît pas le présent ni ne nous oriente vers l'avenir », un traité qui « incarne le passé ». « Nous devons dépasser les contraintes du traité ABM, qui est vieux de trente ans, a poursuivi George W. Bush. Il perpétue une situation fondée sur la méfiance. Il néglige les percées fondamentales de la technologie de ces trente dernières années. Il nous empêche d'explorer toutes les options. Il faut le remplacer par un nouveau cadre qui reflète une coupure claire et nette avec l'héritage antagoniste de la guerre froide. » M. Bush semble avoir retenu la leçon du traité de Kyoto : contrairement à sa décision de renoncer à limiter les émissions de gaz carbonique, abruptement imposée aux partenaires européens sans la moindre consultation et perçue aujourd'hui comme un faux pas majeur des cent premiers jours de la présidence Bush, l'initiative du bouclier antimissile est entourée d'un luxe de précautions diplomatiques. Pour la Russie, elle est accompagnée d'une offre de réduction unilatérale d'un nombre non précisé de têtes nucléaires, de la vision d'une nouvelle relation russo-américaine et d'une promesse de changer « la taille, la composition et le caractère de nos forces nucléaires ». Pour ménager les sensibilités de ceux qui voient dans le traité ABM le fondement de la stabilité Est-Ouest, le président américain a d'autre part téléphoné personnellement, samedi, au premier ministre japonais Koizumi, puis lundi au secrétaire général de l'OTAN Lord Robertson, au premier ministre du Canada Jean Chrétien, au chancelier Schröder, au président Chirac, à Tony Blair et enfin, mardi, à Vladimir Poutine, pour les informer du contenu de son discours. « NOUVEAUX CONCEPTS » Dans ce discours, il a affirmé ne pas vouloir mettre les partenaires des Etats-Unis devant un fait accompli : il y aura « de vraies consultations, a-t-il promis. Nous ne présentons pas à nos amis et alliés des décisions unilatérales déjà bouclées. Nous allons écouter leurs points de vue et nous en tiendrons compte ». Pour ce faire, M. Bush dépêche dès la semaine prochaine en Europe et en Asie une délégation conduite par les numéros deux du département d'Etat, Richard Armitage, du Pentagone, Paul Wolfowitz et du Conseil de sécurité nationale (NSC) de la Maison Blanche, Steve Hadley. « C'est une délégation de très haut niveau, relève Phil Gordon, ancien expert des relations transatlantiques au NSC de l'administration Clinton, aujourd'hui directeur du Center on United States and France à la Brookings Institution. Cette fois-ci, George W. Bush présente les choses de manière beaucoup plus acceptable pour les alliés. Et il fait bien de s'abstenir de donner les détails de son plan avant le départ de son équipe pour l'Europe. » Le président Bush est resté en effet remarquablement vague sur les contours de ce qu'il se contente pour l'instant d'appeler « un nouveau cadre de défense antimissile », évitant soigneusement les termes plus contraignants de « traité » ou d'« accord ». Partant du principe que « la dissuasion de la guerre froide ne suffit plus », M. Bush rappelle qu'à ses yeux, la principale menace n'émane plus aujourd'hui des milliers de missiles balistiques soviétiques, « mais d'un petit nombre de missiles aux mains des Etats les moins responsables de la planète ». Il faut, explique-t-il, « de nouveaux concepts de dissuasion qui reposent sur des forces à la fois offensives et défensives ». Il évoque un ambitieux programme de systèmes basés sur terre ou sur mer, capables d'intercepter des missiles en plein vol ou après leur retour dans l'atmosphère, la possibilité « à court terme de déployer une capacité initiale contre des menaces limitées » et souligne aussi « les avantages substantiels de l'interception de missiles au début de leur vol, particulièrement dans la phase de lancement », ce qui implique le déploiement de missiles « basés en mer ou sur des avions ». « Nous avons encore du travail à faire pour déterminer la forme définitive que prendront ces défenses. Nous sommes conscients des difficultés technologiques que cela pose », précise-t-il. De fait, le président Clinton avait mis en avant l'ampleur des obstacles technologiques lorsque, il y a exactement huit mois, il avait annoncé qu'il laissait à son successeur la décision de déployer un bouclier antimissile. L'actuel secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, considéré comme le plus chaud partisan du bouclier antimissile, n'est pas fondamentalement en désaccord avec ce point de vue lorsqu'il explique, comme il l'a fait mardi devant la presse, que ce système « n'a pas besoin d'être parfait à 100 % et ne le sera certainement pas au début ». « Quiconque pense que l'on peut avoir un système parfait et entièrement développé dès le début sous-estime les difficultés » technologiques, a-t-il ajouté. Pour Phil Gordon, « l'important pour cette administration, politiquement, est de pouvoir mettre quelque chose sur les rails », même incomplet, afin de pouvoir revendiquer au moins le début du déploiement d'une idée chère au coeur de Ronald Reagan. Le débat est donc lancé, à la fois aux Etats-Unis et entre les Etats-Unis et leurs partenaires, sur l'opportunité de ce programme, son coût (dont M. Bush n'a pas dit un mot), ses délais et la nature de la menace. Un débat qui est d'ailleurs loin d'être bouclé, selon certains experts, au sein de l'administration elle-même. SYLVIE KAUFFMANN Le Monde du 3 mai 2001

Liens utiles