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LES HOMMES DE LA RENAISSANCE

Publié le 01/10/2018

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Malgré quoi, on attend ici le reproche cent fois dit, si digne d'une meilleure cause : que la Renaissance, ailleurs, osa trop, dans les pensées ou dans les formes littéraires. Permettons-nous, pour auJourd' hui, d'ignorer s'il advient, sur les voies de l'esprit, que l'homme ait trop d'audace : on le surprend si souvent en des dispositions tout opposées, que de sa hardiesse on trouverait, non pas un abus, mais une excuse, en la démesure. C'est dire au moins que la hardiesse ne se mesure pas, et qu'un vrai prince ne recompte pas sa monnaie. On n'avance pas, qu'on ne soit sûr d'avancer trop loin, pour tels ou tels yeux. Avec, pour d'autres, le prestige de tous les aventuriers téméraires, qu'ils soient des sables ou des livres, intrépides d'énergies dispensées en sueurs ou en études blanches, avec au bout le succès ou l'échec, car ce n'est plus ce qui importe. Tout ce qui fait que nous ne repenserons Jamais à Rabelais, à Ronsard, à bien d'autres, sans une forme de ce sourire de l'âme, Juste au bord de l'émotion, où l'affection se résume. La Renaissance considérée comme un siècle d'audace et de timidité. Chacun de ces termes représente une idée acquise dès longtemps, pour les uns; bien paradoxale pour les autres. Je sais bien en tout cas ce qui dès lors, pour certains regards, lui manquerait. Ni plus ni moins : cet exact contrôleur des poids et des mesures qu'agite si volontiers, en son œuvre, le cher Giraudoux. Mais peut-être, en un Périgourdin assez notoire, Michel Eyquem de Montaigne, ne fut-elle pas si loin de le trouver. TOUTE chose a son ombre en même temps que sa figure : en même temps, l'important est là. Et le monde n'a pas, d'un coup, changé de face. Mais qui Juge un âge avec le léger recul de quatre cents fois une année, et s'efforce d'en voir l'efficacité ultérieure, peut porter son regard sur la vaillance des capitaines plus que sur les manières des soldats. Voir dans la Renaissance une nouveauté, ce n'est pas refuser de la voir ancienne, aussi bien par ses origines que par ce qui nous fait différents de ce qu'elle fut. C'est seulement reconnaître qu'elle en appelle à nous, de plusieurs verdicts divers par leur objet et par leur date. Dolet n'est vraiment grand que le Jour de son supplice; mais ce Jour-là, quels que fussent ses torts, on a le droit de dire qu'il en appelait à la postérité : on ne veut pas croire qu'elle se récuse. On brûle encore, au xv1e siècle, un bon nombre de corps humains, vifs ou préalablement étranglés. (lui sut Jamais tout à fait au juste, qui saura pourquoi l'on brûlait? C'est, plus d'une fois, dans la corifusion et la hâte, sinon l'imposture, qu'une société se défend. On a brûlé, du moins, et brûlé pour opinion : dès lors, quand bien même apparaîtraient comme médiocres ou pernicieux la fécondité de l'exemple et ses résultats, la peine suffit à prouver, elle suffit à faire date. La sottise serait de voir la Renaissance suivant les commodités d'une imagerie d'Epinal. La fatuité, de ne pas trouver sous l'image la plus humble un reflet d'une plus haute valeur. Le moindre écolier a retenu de ses livres de classe que, pour fabriquer l'émail, Bernard Palissy brûla ses chaises : des millions de Français, Palissy est certainement plus souvent connu que Ronsard ou Maurice Scève. Mais ne méprisons pas cet exemple trivial : aux temps où l'importance de la trouvaille apparaît comme résolument démodée, toute l'importance de l'effort peut être enfin reportée sur la qualité de la recherche, indépendamment de son résultat. On en peut, alors, prendre prétexte, pour une généralisation plus ambitieuse. A l'élaboration d'un livre de sonnets qu'on lit encore, ou de deux gros volumes de commentaires sur la langue latine, qu'on ne lit plus, le poète ou l'humaniste sacrifiait ses heures, à longueur de nuit et de jour, et tout comme Palissy : allégrement, et sans compter. On ne voit pas, dans l'histoire du monde, d'âge plus fervent, plus dévoué aux fils inconnus qu'il ne se suppose lui-même que dans l'imprécise prévision de possibles populations à venir. Le dévouement est beau, dès qu'on travaille, sans autre intérêt véritable, pour des esprits dont on sait ne devoir jamais rien savoir. Se tuer pour qui l'on ne connaît pas: sacrifice expiatoire ou lente usure des nuits de veille, la mission impose un respect. On trouve, dans le labeur d'un Erasme et des gens de sa trempe, quelque chose de forcené, d'affreux peut-être, à quoi l'intention féconde donne une majesté. Q.ui fera jamais la proportion, des heures de travail inconnu exigées ainsi par la rédaction de ces Adages que nul au fond ne lut jamais intégralement, à ce que l'auteur lui sacrifiait: et, aussi, à ce que leur lecture put éveiller furtivement, où que ce fût, d'intelligence? Ce labeur de l'humaniste renaissant, il y entre toujours - Calvin n'est ici qu'un exemple - une obstination peineuse, outre-nature. Mais la tâche est presque toujours pour dire une con.fiance dans l'homme, dans la lumière et dans la gloire, dans le Jour chaque jour renaissant, dans la fraîcheur des aurores mêmes qui se lèveront longtemps après. On serait injuste de considérer l'humaniste comme anormalement séparé du monde, ou comme un être d'une curieuse, voire coupable indifférence à l'égard de tout ce que, dans les caprices ou les ferveurs de l'instant, les phrases imprimées ne consacreront jamais, et qui trouve sa valeur dans cette absence ou ce refus. Erasme, ou le culte résolu de l'esprit, par principe. Machiavel, ou l'attention portée aux réalités déplaisantes, sur lesquelles l'esprit doit trouver sa victoire. Michel-Ange, ou la pierre soumise, comme le tableau ou la plume, à l'absurdité réglée de l'esprit, tout comme un cheval à son maître. Rabelais, ou l'esprit asservissant jusqu'à son contraire, qui est le rire ou le comique. Scève, ou l'esprit qui se fait poème. Ronsard, ou le poème qui se fait esprit. Montaigne, ou l'esprit juge de son reste ... Sept auteurs : une nouvelle pléiade que l'on vous présente. Sept rayons de la Renaissance, dans l'équilibre contrasté d'une sagesse très hardie. Q.u'on ose dire, après eux, que l'esprit n'est pas l'ouvrier de sa demeure. Songeant à lafoule qu'ils dominent, que l'on ose dire, contradictoirement, que ce peut être sans neuf deffaites pour dix efforts ... Plutôt aimerais-je espérer quelque rassemblement d'opinions autour d'une nouvelle devise. Tout ce qu'ils ont fait, eux-mêmes mieux que d'autres~· tout ce qu'ont fait les gens de la Renaissance - si peu, ou tant, comme vous voudrez - ils l'ont fait, ils savaient le faire toujours en quelque façon, qu'on y songe bien, à notre place. Ce siècle a dépensé bien plus d'esprit chrétien que d'autres qu'on trouve mieux en cour. Tu as versé telle goutte de sang pour moi ... 

« pas cette modestie.

Elle révèle un esprit doué de l'intelligence (et cela, dès avant l'échec) de se supposer des limites et d'admettre des initiateurs.

Malgré quoi, on attend ici le reproche cent fois dit, si digne d'une meilleure cause : que la Renaissance, ailleurs, osa trop, dans les pensées ou dans les formes littéraires.

Permettons-nous, pour auJourd' hui, d'ignorer s'il advient, sur les voies de l'esprit, que l'homme ait trop d'audace : on le surprend si souvent en des dispositions tout opposées, que de sa hardiesse on trouverait, non pas un abus, mais une excuse, en la démesure.

C'est dire au moins que la hardiesse ne se mesure pas, et qu'un vrai prince ne recompte pas sa monnaie.

On n'avance pas, qu'on ne soit sûr d'avancer trop loin, pour tels ou tels yeux.

Avec, pour d'autres, le prestige de tous les aventuriers téméraires, qu'ils soient des sables ou des livres, intrépides d'énergies dispensées en sueurs ou en études blanches, avec au bout le succès ou l'échec, car ce n'est plus ce qui importe.

Tout ce qui fait que nous ne repen­ serons Jamais à Rabelais, à Ronsard, à bien d'autres, sans une forme de ce sourire de l'âme, Juste au bord de l'émotion, où l'affection se résume.

La Renaissance considérée comme un siècle d'audace et de timidité.

Chacun de ces termes repré­ sente une idée acquise dès longtemps, pour les uns; bien paradoxale pour les autres.

Je sais bien en tout cas ce qui dès lors, pour certains regards, lui manquerait.

Ni plus ni moins : cet exact contrôleur des poids et des mesures qu'agite si volontiers, en son œuvre, le cher Giraudoux.

Mais peut-être, en un Périgourdin assez notoire, Michel Eyquem de Montaigne, ne fut-elle pas si loin de le trouver.

TOUTE chose a son ombre en même temps que sa figure : en même temps, l'important est là.

Et le monde n'a pas, d'un coup, changé de face.

Mais qui Juge un âge avec le léger recul de quatre cents fois une année, et s'efforce d'en voir l'efficacité ultérieure, peut porter son regard sur la vaillance des capitaines plus que sur les manières des soldats.

Voir dans la Renaissance une nouveauté, ce n'est pas refuser de la voir ancienne, aussi bien par ses origines que par ce qui nous fait différents de ce qu'elle fut.

C'est seulement reconnaître qu'elle en appelle à nous, de plusieurs verdicts divers par leur objet et par leur date.

Dolet n'est vrai­ ment grand que le Jour de son supplice; mais ce Jour-là, quels que fussent ses torts, on a le droit de dire qu'il en appelait à la postérité : on ne veut pas croire qu'elle se récuse.

On brûle encore, au xv1e siècle, un bon nombre de corps humains, vifs ou préalablement étranglés.

(lui sut Jamais tout à fait au juste, qui saura pourquoi l'on brûlait? C'est, plus d'une fois, dans la corifusion et la hâte, sinon l'imposture, qu'une société se défend.

On a brûlé, du moins, et brûlé pour opinion : dès lors, quand bien même apparaîtraient comme médiocres ou pernicieux la fécondité de l'exemple et ses résultats, la peine suffit à prouver, elle suffit à faire date.

La sottise serait de voir la Renaissance suivant les commodités d'une imagerie d'Epinal.

La fatuité, de ne pas trouver sous l'image la plus humble un reflet d'une plus haute valeur.

Le moindre écolier a retenu de ses livres de classe que, pour fabriquer l'émail, Bernard Palissy brûla ses chaises : des millions de Français, Palissy est certainement plus souvent connu que Ronsard ou Maurice Scève.

Mais ne méprisons pas cet exemple trivial : aux temps où l'importance de la trouvaille appa­ raît comme résolument démodée, toute l'importance de l'effort peut être enfin reportée sur la qualité de la recherche, indépendamment de son résultat.

On en peut, alors, prendre prétexte, pour une géné­ ralisation plus ambitieuse.

A l'élaboration d'un livre de sonnets qu'on lit encore, ou de deux gros volumes de commentaires sur la langue latine, qu'on ne lit plus, le poète ou l'humaniste sacrifiait ses heures, à longueur de nuit et de jour, et tout comme Palissy : allégrement, et sans compter.. »

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