Devoir de Philosophie

L'hebdomadaire de la collaboration

Publié le 22/02/2012

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7 février 1941 - Je suis partout qui reparaît en février 1941, après huit mois d'interruption, a déjà une longue histoire. Le " grand hebdomadaire de la vie mondiale ", dont le titre veut souligner l'intérêt tout neuf du public pour les nouvelles de l'étranger, sort pour la première fois le 29 novembre 1930. Il se veut une publication sérieuse, dirigée par un ancien secrétaire de Charles Maurras : Pierre Gaxotte. Mais, à côté des traditionnelles rubriques d'économie ou de vie internationale, le journal laisse une grande place aux échos de la " vie parisienne ", aux " couloirs " de la Chambre, et surtout à la littérature. Avec Candide, il est l'un des titres de la presse Fayard, d'un nationalisme plutôt conservateur. Tandis que, dans la rue, la possibilité d'un fascisme à la française apparaît - au moins le temps d'un coup de feu, le 6 février 1934 - c'est le Front populaire que les Français envoient à la Chambre deux ans plus tard. Pour l'équipe de Je suis partout, le pays paraît aller à contre-courant du grand mouvement de régénération fasciste qui noircit la carte de l'Europe. Autre conséquence de la victoire de la gauche en 1936 : Fayard lâche un titre dont il désapprouve certaines tendances et qui d'ailleurs, oscillant entre 40 000 et 80 000 exemplaires, n'est pas encore une affaire qui marche... Le journal est sauvé in extremis par l'intervention de cercles royalistes, puis de fonds privés. En fait, il va désormais fonctionner sous la direction d'une coopérative de rédacteurs que ces fervents de l'anti-bolchevisme nomment par dérision " le soviet ". C'est dans ce contexte que Robert Brasillach en devient le rédacteur en chef, le 21 juin 1937. La dérive politique va s'accentuer. D'abord dans le sens d'un antisémitisme de plus en plus virulent. Le passage aux affaires de Léon Blum en 1936 et en 1938 a réveillé en France une tendance à peu près assoupie depuis l'affaire Dreyfus. A Je suis partout, ce réveil est brutal, aussi bien chez les partisans d'un antisémitisme d'Etat d'inspiration maurrassienne - qui sera en gros celui du régime de Vichy - que chez les antisémites " racistes " admirateurs des lois de Nuremberg. Deux numéros spéciaux sont consacrés aux juifs en 1938 et en 1939. Mais, en cette fin des années 30, l'antisémitisme va de pair avec un certain style de pacifisme : refus de toute guerre idéologique, de toute bataille pour la démocratie. Comme Déat dans l'OEuvre refusera de mourir pour Dantzig, Je suis partout rejette toute idée de guerre pour " l'inviable Tchécoslovaquie " ou " le maçon Bénès ". Un pacifisme qui ne va pas sans une bonne dose d'américanophobie. Ces " littéraires " convoquent les mânes d'Alfred Jarry pour faire d'Ubu-roi le modèle du président Roosevelt. Enfin, ultime tendance de cette radicalisation idéologique de l'hebdomadaire : la multiplication des attaques ad hominem. En 1939 paraît une " liste des principaux complices judéo-français et français du complot international contre la paix ". Déjà, le journal de Gaxotte et de Brasillach a tourné au libelle. Après la débâcle, profitant du repli en zone sud d'un nombre appréciable de ses concurrents, Je suis partout voit ses tirages grimper en flèche, pour atteindre les 300 000 exemplaires à la fin de l'Occupation. Ses rédacteurs deviennent les tyranneaux redoutés de la vie parisienne. Au point de symboliser l'archétype de la figure du " collabo ", comme Alain Laubreaux, surnommé alors le " dictateur des théâtres ". En fait, Je suis partout exerce de facto un magistère politico-littéraire sur la zone nord. Brasillach lui-même a repris son siège de rédacteur en chef dès avril 1941. Libéré à la demande de Vichy, lui aussi se lance dans l'appel au meurtre, déguisé ou non. Il demande que l'on traite la question juive sans aucun " sentimentalisme ". Mais, ce qui se profile en réalité derrière sa recherche d'une collaboration " française ", c'est toujours ce rêve disparu d'un fascisme national, dont il n'est nullement sûr que même les occupants aient réellement voulu. La chute de Mussolini en juillet 1943, signe avant-coureur du renversement de la marée au détriment de l'Axe, des conflits de plus en plus âpres avec Charles Lesca, l'administrateur général du journal, dont il supporte mal l'autoritarisme, amènent Brasillach à rompre avec une équipe dont les itinéraires vont se perdre l'année suivante dans les sentiers bourbeux de Sigmaringen. Entre-temps, nombre de journalistes auront rejoint les mouvements politiques de la collaboration active des Doriot et des Déat, la Légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF) ou la Waffen SS. D'autres s'engagent dans la Milice, dans laquelle certains voient enfin - tandis que la Libération est proche - se réaliser cet embryon de parti unique qui aura toujours manqué au fascisme français. Le dernier numéro sort le 16 août 1944... quelques jours avant la libération d'un Paris où cette équipe n'aura plus jamais sa place. Brasillach ne suit pas les " ultras " en Allemagne. Arrêté, il est transféré à Fresnes et fusillé avant la fin de la guerre, le 7 février 1945.

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