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L'horizon bleu de M. Chirac

Publié le 17/01/2022

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16 juin 2002 SEPT JOURS n'auront pas suffi à la gauche pour remobiliser son électorat et inverser, même partiellement, la tendance du premier tour. Largement distancés au soir du premier tour des élections législatives, le 9 juin, le PS et ses alliés subissent la défaite annoncée, moins d'un mois après la déroute de Lionel Jospin. Comme prévu, l'échec frappe aussi le Front national, qui marque le pas depuis l'accession de son chef au second tour de l'élection présidentielle - comme si le choc du 21 avril s'était retourné contre lui. Le triomphe de l'UMP, lui, scelle la victoire de Jacques Chirac, mais aussi celle du « fait majoritaire », élément constitutif de la vie politique française depuis 1962 : la règle selon laquelle le Parlement sécrète toujours une majorité, parfois opposée au président de la République, mais qui permet la mise en oeuvre d'un projet et assure la stabilité du régime. Pour la première fois depuis 1978, majorités présidentielle et parlementaire coïncident désormais à droite. Outre la dynamique du succès, le scrutin du 16 juin révèle un large report des voix d'extrême droite sur les candidats de l'UMP, qui ouvre au camp chiraquien la perspective d'une domination durable. Perceptible dans de nombreuses circonscriptions, cet effet mécanique alourdit le poids de la défaite de Jean-Marie Le Pen. Alors que le président du Front national s'était lui-même assigné l'objectif de peser sur le second tour en y maintenant un maximum de candidats et en imposant, dès lors, des accords à la droite républicaine, les électeurs ont confirmé la volonté de rejet qu'ils avaient exprimée au premier tour. Ainsi, dans aucune des 37 circonscriptions où l'un de ses représentants était en lice (dont 9 affrontements triangulaires), l'extrême droite n'est apparue en mesure de l'emporter - le meilleur score du FN étant recueilli par le maire d'Orange (Vaucluse), Jacques Bompard : 42,37 % des suffrages exprimés. Les résultats de dimanche apportent, à cet égard, un démenti cinglant aux prévisions alarmistes qu'avait suscitées la performance de M. Le Pen le 21 avril. Alors que la transposition de son score présidentiel sur les circonscriptions législatives avait laissé envisager que le Front national puisse s'installer en arbitre autoritaire des scrutins nationaux à venir - les « projections » publiées par Le Monde prévoyant son maintien dans 319 circonscriptions et envisageant même une victoire de la gauche (nos éditions des 24 avril et 9 mai) -, la réalité électorale apparaît aux antipodes de ces prédictions. Il apparaît sans conteste que M. Le Pen a subi par deux fois le contrecoup de son irruption surprise au second tour de la présidentielle et de la frayeur générale qu'elle avait suscitée. Cela, aucune mathématique ne pouvait l'anticiper. Dimanche soir, la politique a pleinement repris ses droits. Plus révélateur encore de la neutralisation du Front national amorcée le 9 juin : dans certains de ses bastions électoraux - au premier rang desquels figurent les Alpes- Maritimes, l'Alsace et les Bouches-du-Rhône - l'élimination de ses candidats au soir du premier tour a laissé le champ libre aux candidats de la majorité présidentielle, provoquant un « vote utile » en faveur de ces derniers, à rebours des consignes lancées par M. Le Pen. A Mulhouse (Haut-Rhin), l'ancien ministre (PS) Jean-Marie Bockel, comme à Arles (Bouches-du-Rhône) le président (PS) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Michel Vauzelle, ont, d'évidence, été victimes de cette fluidité inédite des sympathisants de l'extrême droite. Les voix acquises par le FN le 9 juin ont servi d'appoint décisif, une semaine plus tard, à leurs adversaires de l'UMP, sans forcément que ceux-ci aient ouvertement fait campagne dans ce but. avenir conforté La stratégie jusqu'au-boutiste de M. Le Pen semble ici trouver sa limite. La victoire de l'UMP est paradoxalement acquise à ses dépens, mais grâce au renfort de ses électeurs. Les résultats du premier tour des législatives avaient mis en évidence la démobilisation sensible de l'électorat du Front national, qui avait contribué à l'augmentation du nombre des abstentionnistes. Les chiffres du second tour montrent qu'au terme d'une longue campagne électorale sur le thème de la lutte contre l'insécurité, initiée par M. Chirac en personne le 14 juillet 2001, les candidats de la droite ont rallié à eux les suffrages de l'extrême droite pour battre la gauche, amplifiant le mouvement déjà perceptible lors des élections cantonales et municipales du mois de mars 2001. Ainsi se dessine, pour la nouvelle majorité chiraquienne, un avenir conforté : bloqués en deçà de 45 %, soit à distance du seuil d'une victoire possible, les candidats du FN constituent, dans leurs circonscriptions, autant de réserves de voix potentielles, propres à faire pencher la balance du côté de la droite. Au bout de la longue séquence électorale qui vient de s'achever, M. Le Pen aura, en définitive, savouré peu de temps le goût du succès : le meilleur score qu'il ait réalisé en quatre candidatures présidentielles n'empêche pas le Front national d'être absent de la nouvelle Assemblée ; et la « revanche » dont le chef de l'extrême droite avait rêvé à voix haute offre à son adversaire de toujours - M. Chirac - un horizon en bleu. Sans atteindre les proportions de la grande « Chambre bleue » de 1993 (472 députés RPR et UDF), issue d'un vote de rejet du mitterrandisme finissant, la nouvelle majorité acquise au chef de l'Etat (369 élus UMP, 22 élus UDF et 3 divers droite) dépasse légèrement celle du général de Gaulle après les événements de mai 1968 (387 élus UDR et centristes), consacrant la prééminence présidentielle sur le scrutin législatif. Comme en 1981 et - dans une moindre mesure - en 1988, le président de la République obtient des Français la majorité parlementaire qu'il leur avait demandée. Dans le droit fil du vote du 9 juin, le résultat de dimanche atteste ainsi la recherche d'une cohérence institutionnelle, après trois périodes de cohabitation qui ont divisé l'exécutif durant neuf des seize dernières années. Pour autant, l'heure n'est pas à la bipolarisation que paraissait annoncer ce retour aux fondements de la Ve République. Le maintien, in extremis, d'un groupe communiste et d'un groupe UDF dans le nouvel hémicycle assure encore la pérennité de ce que le consitutionnaliste Maurice Duverger appelait le « quadrille bipolaire ». Au sein de la droite, François Bayrou voit récompensée son obstination à faire exister un courant différent en dehors de l'UMP. A l'instar de sa performance à l'élection présidentielle, sa représentation au Parlement sera modeste, mais elle permet à M. Bayrou de se poser, à long terme, en alternative au chiraquisme omnipotent. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : même si ses membres se sont arrogé, durant l'entre-deux-tours, le label « majorité présidentielle », le groupe UDF sera inutile à la majorité de M. Raffarin ; davantage que l'émanation d'un parti centriste, il constitue, dès à présent, un carré d'opposants à M. Chirac à l'intérieur de la droite. M. Bayrou postule que ses rangs grossiront au fil des ans. A gauche, le schéma est inverse. Si le Parti communiste réussit, in extremis, à sauvegarder son groupe malgré la défaite de Robert Hue, c'est parce que les socialistes lui ont apporté une aide décisive. Les efforts de François Hollande pour parvenir à des candidatures uniques PS-PCF ont favorisé la survie de la représentation communiste à l'Assemblée. Derrière ce sauvetage en trompe l'oeil, la fragilité de l'ex-gauche plurielle demeure. Le PS, qui perd nombre de ses figures, se trouve privé d'alliés assez forts pour lui permettre d'offrir, dans un délai rapproché, la perspective d'une alternance. Après ses deux défaites consécutives, le voici prisonnier du théorème énoncé par Tocqueville : « Il est de l'essence même des gouvernements démocratiques que l'empire de la majorité y soit absolu ; car, en dehors de la majorité, dans les démocraties, il n'y a rien qui résiste. » HERVE GATTEGNO ET ANNE-LINE ROCCATI Le Monde du 18 juin 2002
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« Sans atteindre les proportions de la grande « Chambre bleue » de 1993 (472 députés RPR et UDF), issue d'un vote de rejetdu mitterrandisme finissant, la nouvelle majorité acquise au chef de l'Etat (369 élus UMP, 22 élus UDF et 3 divers droite)dépasse légèrement celle du général de Gaulle après les événements de mai 1968 (387 élus UDR et centristes), consacrant laprééminence présidentielle sur le scrutin législatif.

Comme en 1981 et - dans une moindre mesure - en 1988, le président de laRépublique obtient des Français la majorité parlementaire qu'il leur avait demandée.

Dans le droit fil du vote du 9 juin, le résultatde dimanche atteste ainsi la recherche d'une cohérence institutionnelle, après trois périodes de cohabitation qui ont divisél'exécutif durant neuf des seize dernières années. Pour autant, l'heure n'est pas à la bipolarisation que paraissait annoncer ce retour aux fondements de la Ve République.

Lemaintien, in extremis, d'un groupe communiste et d'un groupe UDF dans le nouvel hémicycle assure encore la pérennité de ce quele consitutionnaliste Maurice Duverger appelait le « quadrille bipolaire ». Au sein de la droite, François Bayrou voit récompensée son obstination à faire exister un courant différent en dehors de l'UMP.A l'instar de sa performance à l'élection présidentielle, sa représentation au Parlement sera modeste, mais elle permet à M.Bayrou de se poser, à long terme, en alternative au chiraquisme omnipotent.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit : même si sesmembres se sont arrogé, durant l'entre-deux-tours, le label « majorité présidentielle », le groupe UDF sera inutile à la majorité deM.

Raffarin ; davantage que l'émanation d'un parti centriste, il constitue, dès à présent, un carré d'opposants à M.

Chirac àl'intérieur de la droite.

M.

Bayrou postule que ses rangs grossiront au fil des ans. A gauche, le schéma est inverse.

Si le Parti communiste réussit, in extremis, à sauvegarder son groupe malgré la défaite deRobert Hue, c'est parce que les socialistes lui ont apporté une aide décisive.

Les efforts de François Hollande pour parvenir àdes candidatures uniques PS-PCF ont favorisé la survie de la représentation communiste à l'Assemblée.

Derrière ce sauvetage entrompe l'oeil, la fragilité de l'ex-gauche plurielle demeure.

Le PS, qui perd nombre de ses figures, se trouve privé d'alliés assezforts pour lui permettre d'offrir, dans un délai rapproché, la perspective d'une alternance.

Après ses deux défaites consécutives, levoici prisonnier du théorème énoncé par Tocqueville : « Il est de l'essence même des gouvernements démocratiques que l'empirede la majorité y soit absolu ; car, en dehors de la majorité, dans les démocraties, il n'y a rien qui résiste.

» HERVE GATTEGNO ET ANNE-LINE ROCCATI Le Monde du 18 juin 2002 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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