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L'Irak entre guerre et paix : un héritage ingérable pour les Etats-Unis

Publié le 17/01/2022

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20 février 1998 - A l'évidence, l'après-guerre du Golfe, au printemps 1991, qui vit la communauté internationale établir le régime de souveraineté limitée imposé à l'Irak, a laissé un héritage impossible à gérer. Leader de la coalition alliée puis architecte en chef du carcan dessiné pour l'Irak, les Etats-Unis ne cessent, depuis sept ans, de se cogner à un problème récurrent appelé Saddam Hussein. Face à la résistance du président irakien, ils ont menacé et eu recours à la force. Ils l'ont fait et le font dans des circonstances pour le moins douteuses. Qu'on en juge. Le monde arabe, après tout éminemment concerné, est contre le recours à la force, ou dit être contre. En Israël, nombreux sont ceux qui pensent que l'image des Etats-Unis dans la région pourrait être durablement entamée et, donc, leur capacité à jouer les médiateurs dans le conflit avec les Palestiniens sérieusement érodée. Les pays de l'OTAN sont divisés : la Russie et la Chine sont contre. Même les milieux les mieux disposés à son égard observent que l'administration Clinton s'est placée dans la moins bonne des postures militaro-diplomatiques possible : avoir à mener une intervention à l'extérieur sans solide soutien diplomatique et, surtout, sans objectif bien défini. Pis : sans être capable de dire ce qu'elle fera " après " (une opération armée) si Saddam Hussein tenait toujours tête à la communauté internationale. Comment en est-on arrivé là ? Une partie de l'explication tient à la gestion par les Etats-Unis du système de sanctions appliqué à l'Irak au lendemain de la guerre qui, en 1991, vit les troupes de Saddam Hussein chassées du Koweït. Un " marché " truqué A l'unanimité, la communauté internationale juge alors qu'il faut empêcher le régime de Bagdad de se doter d'armes de destruction massive. A cette fin, l'ONU met en place une commission de surveillance et de contrôle, l'Unscom, et, parallèlement, un mécanisme de sanctions économiques. Le " marché " est le suivant : l'embargo sera levé dès lors que l'Unscom déclarera qu'il n'y a plus trace d'un tel arsenal en Irak ni l'intention d'en reconstituer un. Premier problème, qui se révélera dramatique : si l'Unscom met le parti Baas sous surveillance, les sanctions, elles, soumettent la population aux épreuves les plus dures. Deuxième accroc de départ : l'administration Bush puis l'administration Clinton laissent publiquement entendre que le régime de souveraineté limitée auquel l'Irak est assujetti a pour objectif véritable non pas de lui interdire de reconstituer son arsenal, mais le départ de Saddam Hussein. C'était sortir du " marché " originel et emprisonner le président irakien dans une dynamique de conflit " au finish ". L'erreur est d'autant plus sérieuse que l'Unscom, pour fonctionner, a besoin de Saddam Hussein. De fait, pour poser leurs caméras, effectuer leurs relevés, pour se rendre dans telle ou telle usine, les inspecteurs du désarmement ont besoin de l'accord tacite de Bagdad. Dès l'instant que Saddam Hussein peut penser, comme Washington l'y incite, qu'il n'y a pas pour lui de porte de sortie, autre que son départ ou sa chute, il n'a aucun intérêt à collaborer avec l'ONU. Même s'il n'avait rien à cacher ce qui, à l'évidence, n'est pas le cas, pourquoi rendrait-il la tâche facile à l'Unscom si, en contrepartie, il n'a pas la garantie de voir levé l'embargo ? Dès lors, Saddam Hussein n'aura de cesse de vouloir tester la détermination des Occidentaux, et d'abord des Etats-Unis. Il va multiplier les provocations : il empêche l'Unscom d'enquêter, il menace la vie des inspecteurs, il transforme chaque accroc en épreuve de force. Il ruse, triche à volonté avec le système des sanctions. Il veut briser le carcan qui lui est imposé, et c'est lui qui choisit le moment de l'affrontement et décide en faisant ou non marche arrière de l'ampleur qu'il veut lui donner. Solitaire superpuissance Face à cette guérilla, les Etats-Unis auraient pu juger capital de maintenir l'alliance arabo-européenne qu'ils avaient constituée avant la guerre de 1991. L'administration Clinton aurait pu avoir à coeur d'entretenir ce qui avait, dans le monde arabe, légitimé la politique irakienne de l'administration Bush : le processus de paix israélo-palestinien. Au lieu de quoi, les Etats-Unis voudront faire cavalier seul au Proche-Orient. Ils traiteront les partenaires européens comme des intrus dans la région. En laissant le gouvernement de Benyamin Nétanyahou abandonner la paix de Madrid et d'Oslo, ils dilapideront auprès de leurs amis arabes le capital de confiance accumulé en 1990-1991. A chaque " provocation " de Saddam Hussein, l'administration Clinton va, au contraire, abandonner le terrain politico-diplomatique pour n'avoir qu'une réponse : la menace de l'emploi de la force (qui fut parfois décidé, à petite dose). Peu importe que l'histoire du conflit avec l'Irak, et particulièrement la guerre de 1991, ait prouvé que Saddam Hussein n'était aucunement réceptif à la dissuasion : l'Irakien a des nerfs et des talents éprouvés. A de nombreuses reprises, l'administration va menacer le Baas irakien des foudres de l'US Airforce et de la Navy. D'autant plus fermement, semble-t-il, que Bill Clinton, dans ce domaine, a un problème d'image. Question : combien de fois la solitaire superpuissance de l'après-guerre froide peut-elle menacer d'avoir recours à la force sans finir par perdre en crédibilité si elle ne passe pas aux actes ? Un discours " machiste " s'est imposé à Washington quant à la manière de faire face à Saddam Hussein. Le président Clinton va se retrouver dans une situation où la propre rhétorique des Etats-Unis a transformé l'équation irakienne - après tout pas forcément un enjeu stratégique déterminant - en une situation où il y va de la parole et du crédit des Etats-Unis. Quand on ne l'a pas vraiment voulu, c'est une mauvaise situation. ALAIN FRACHON Le Monde du 28 février 1998

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