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L'Italie entre les Alliés et les Allemands

Publié le 17/01/2022

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8 septembre 1943 - Au début du mois de septembre tout le monde sait-hormis les Italiens-que l'Italie, à bout de souffle, se prépare à sortir du conflit, et peut-être même à tourner casaque. Mussolini, arrêté le 25 juillet après le célèbre vote du grand conseil fasciste, est encore détenu. Le vieux maréchal Badoglio lui a succédé en proclamant : " la guerre continue ! " Mais, le 3 septembre à Cassibile, sous une tente kaki, devant la " mer couleur de vin " de la Sicile, le générale italien Castellano, qui a joué un rôle dans la chute du Duce, signe une convention militaire ( " petit armistice " ) avec le général Smith, délégué d'Eisenhower , qui assiste à la très sommaire cérémonie. Durant tout le mois d'août, pour " assouplir " l'Italie et la décider à franchir le pas, ses villes, grandes et petites, ont été furieusement bombardées. La population n'en peut plus. Les Allemands, rendus furieux par l'arrestation de " l'ami du Führer ", ont déjà une demi-douzaine de plans dans leurs tiroirs pour prendre de vitesse l'allié qui décampe : de l'arrestation du roi, que Hitler exècre, à la libération de Mussolini, opération qui sera un succès. Les Italiens dans le secret sont terrifiés par la réaction qui suivra leur défection. Ils essaient donc de rassurer l'allié-ennemi à grand renfort de serments de fidélité. Le ministre plénipotentiaire du Reich, Rudolf Rahn, qui arrive à Rome le 30 août pour remplacer l'ambassadeur, rencontre Badoglio. Il le décrit dans ses Mémoires comme un " Pétain italien, portant comme celui-ci son grand âge avec une dignité placide (...) Il me dit avec un pathos ne traduisant pas un naturel véritable : " je suis l'un des trois maréchaux les plus âgés d'Europe, j'ai donné ma parole et je m'y tiendrai " ... " Le roi reçoit, lui aussi, Rahn. " Rappelez au Führer, proclame-t-il, que l'Italie ne capitulera jamais ! ". Elle est en train de le faire en s'empêtrant dans une confusion de plans et de calendrier. Les Alliés, méfiants au-delà de toute expression à l'égard de Rome, ont dit à Castellano qu'un débarquement et la proclamation de l'armistice auraient lieu simultanément. Le débarquement aura lieu à Salerne, au sud de Naples. Les Italiens ne l'attendent pas avant le 12 septembre. Il faut maintenant informer le pays que l'armistice est conclu. Mais, le 8 septembre, la déclaration d'Eisenhower est soudain connue. La démentir ? On y songe. Impossible. C'est décidé, Badoglio annoncera la nouvelle. A 19 h 30, le maréchal se rend donc en civil à la radio et y prononce l'allocution qui sera diffusée tous les quarts d'heure. Confuse tragédie Que dit-il? " Le gouvernement italien, reconnaissant l'impossibilité de poursuivre une lutte inégale contre l'écrasante puissance adverse et afin d'épargner à la nation de nouveaux malheurs plus graves encore, a demandé un armistice au général Eisenhower. Il a été accepté. En conséquence, tout acte d'hostilité contre les forces alliées doit cesser partout de la part des forces italiennes. En revanche, elles réagiront à des attaques éventuelles quelle qu'en soit la provenance ". L'allusion vise évidemment les Allemands. Il est urgent de mettre le roi, détenteur de la légitimité, à l'abri de la contre-offensive nazie. Toutefois, ce repli prend l'allure d'une fuite générale, précipitée, éperdue. Avec la famille royale, tout le monde lève le pied : l'état-major général autour du général Ambrosio, les chefs d'état-major des trois armes, la plupart des ministres. Dans la nuit du 8 au 9 septembre, les fuyards s'embarquent sur la corvette Baionetta pour gagner Brindisi. La continuité de l'Etat est donc assurée, mais dans quelles conditions ! Personne n'a laissé de consignes. Quatre-vingts divisions italiennes, abandonnées, vont être balayées en trois jours par la fureur allemande. Car le Reich a les moyens de punir la " trahison " : disposant de six divisions seulement dans l'Italie le 25 juillet, il en a fait depuis affluer dix-neuf de plus. Le haut commandement italien s'est tout simplement sabordé. Le 9 septembre, à 6 h 30 du matin, le général Utili lit à un certain nombre de ses pairs atterrés l'un des textes les plus piteux des annales militaires : " j'ai le douloureux devoir de déclarer la dissolution provisoire de l'état-major. Que chacun rentre chez soi, se mette en civil et veille à sa sûreté ". L'administration civile est en complète déshérence. Le ministre de l'intérieur Ricci, à qui Badoglio a confié l'intérim de la gestion de Rome, ne sait même pas si le roi est parti vers le nord ou vers le sud, n'a pas d'instructions écrites et ... passe la main. Le général Roatta renonce à faire défendre la capitale. L'armée, selon les lieux et les hommes, se débande, se défend ou se livre... Immense et confuse tragédie d'où l'héroïsme n'est pas absent. Laissés à eux-mêmes, les hommes de troupe cherchent à survivre. Par milliers, ils rejoignent les partisans qu'ils combattaient mais, parfois, s'en voient repoussés. La flotte, plus homogène et mieux commandée, se tire d'affaire. Sous drapeau noir, elle quitte la Spezia pour rejoindre les Alliés. Des deux millions d'hommes sous les drapeaux, six cent mille sont arrêtés et conduits en Allemagne dans les wagons à bestiaux de la déportation. Un sur cent seulement acceptera de servir dans l'armée de l'Etat républicain que Mussolini crée à Salo. Privée de ressort par vingt années de rhétorique mussolinienne, livrée à trop de chefs incompétents, épuisée, démoralisée, l'armée a été battue deux fois: par l'ennemi puis par l'allié. PAUL-JEAN FRANCESCHINI Le Monde du 18 septembre 1983

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