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L'origine de la conscience morale

Publié le 25/07/2010

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conscience

"LE ROI RICHARD. - Qu'on me donne un autre cheval !... Qu'on bande mes blessures ! Aie pitié, Jésus !... Doucement... ce n'était qu'un rêve. O lâche conscience, comme tu me tourmentes ! Ces lumières brûlent bleu... C'est maintenant le moment funèbre de la nuit : des gouttes de sueur froide se figent sur ma chair tremblante. Comment ! est-ce que j'ai peur de moi-même ? Il n'y a que moi ici ! Richard aime Richard et je suis bien moi. Est-ce qu'il y a un assassin ici ? Non... Si, moi ! Alors fuyons... Quoi ! me fuir moi-même ?... Bonne raison ! Pourquoi ? De peur que je ne châtie moi-même... Qui ? Moi-même ! Bah ! je m'aime moi !... Pourquoi ? Pour un peu de bien que je me suis fait à moi-même ? Oh non ! hélas ! je m'exécrerais bien plutôt moi-même pour les exécrables actions commises par moi-même. Je suis un scélérat !... Mais non, je mens, je n'en suis pas un. Imbécile, parle donc bien de toi-même... Imbécile, ne te flatte pas. Ma conscience a mille langues, et chaque langue me raconte une histoire et chaque histoire me condamne comme scélérat. Le parjure, le parjure, au plus haut degré, le meurtre, le meurtre cruel, au plus atroce degré, tous les crimes, poussés au suprême degré, se pressent à la barre criant tous : Coupable ! coupable ! Ah ! je désespérerai. Pas une créature ne m'aime ! Et, si je meurs, pas une âme n'aura de pitié pour moi !... Et pourquoi en aurait-on, puisque moi-même je ne trouve pas en moi-même de pitié pour moi-même ? Il m'a semblé que les âmes de tous ceux que j'ai assassinés venaient à ma tente, et que chacune provoquait la vengeance de demain sur la tête de Richard !"    Shakespeare, Richard III, Acte V, Scène III, trad. F.-V. Hugo.    "Le contenu de notre conscience est tout ce qui fut régulièrement exigé de nous sans raison pendant nos années d'enfance, par des personnes que nous respections ou craignions. C'est donc à partir de la conscience qu'est excité ce sentiment du devoir ("je dois faire ceci, laisser cela") qui ne demande pas : pourquoi dois-je ? - Dans tous les cas où il fait quelque chose avec "parce que" et "pourquoi", l'homme agit sans conscience ; ce qui ne veut pas encore dire contre sa conscience. - La croyance aux autorités est la source de la conscience ; celle-ci n'est donc pas la voix de Dieu dans le coeur de l'homme, mais la voix de quelques hommes dans l'homme".    Nietzsche, Humain, trop humain (1878), II, Le voyageur et son ombre, § 52, Trad. Robert Rovini, Folio essais (2000), p. 207.    "On est en droit de récuser une capacité de différenciation originelle, pour ainsi dire naturelle, concernant le bien et le mal. Souvent le mal n'est pas du tout ce qui est pour le moi nuisible ou dangereux, au contraire il est même quelque chose qui est par lui souhaité, qui lui procure du contentement. Ici, se manifeste donc une influence étrangère ; c'est elle qui détermine ce qui doit s'appeler bien et mal. Étant donné que son propre sentiment n'aurait pas conduit l'homme sur la même voie, il faut qu'il y ait un motif pour se soumettre à cette influence étrangère ; ce motif est facile à découvrir dans son désaide et sa dépendance par rapport aux autres et on ne saurait mieux le désigner que comme angoisse devant la perte d'amour. S'il perd l'amour de l'autre dont il est dépendant, il vient aussi à manquer de la protection contre toutes sortes de dangers, s'exposant avant tout au danger de voir cet autre surpuissant lui démontrer sa supériorité sous forme de punition. Le mal est donc au début ce pour quoi on est menacé de perte d'amour ; c'est par angoisse devant cette perte qu'il faut éviter le mal. Ainsi donc il importe peu que l'on ait déjà fait le mal ou qu'on veuille simplement le faire ; dans les deux cas, le danger ne survient que lorsque l'autorité découvre la chose et dans les deux cas elle se comporterait de la même façon.  On appelle cet état " mauvaise conscience ", mais à vrai dire il ne mérite pas ce nom, car à ce stade la conscience de culpabilité n'est manifestement qu'angoisse devant la perte d'amour, angoisse " sociale ". Chez le petit enfant elle ne peut jamais être quelque chose d'autre, mais même chez beaucoup d'adultes le changement se limite à ceci que la communauté plus vaste des hommes vient en lieu et place du père ou des deux parents. Aussi se permettent-ils régulièrement de commettre le mal qui leur promet des agréments pour peu qu'ils soient sûrs que l'autorité n'en apprendra rien ou ne pourra rien leur faire, et ils n'ont d'angoisse que celle d'être découverts. C'est avec cet état que la société contemporaine doit généralement compter. "    Freud, Le Malaise dans la culture, 1930, trad. P.Cotet, R. Lainé, J. Stute-Cadiot, PUF, 2002, p. 67-68.    "L'une des manières, dont on a évité la nécessité de faire appel aux règles extérieures de conduite a été la croyance à la « conscience «, qui a eu une importance particulière dans la morale protestante. On a supposé que Dieu révélait à chaque cœur humain ce qui est bien et ce qui est mal, de sorte que, pour éviter le péché, nous n'avons qu'à écouter la voix intérieure. Cette théorie présente cependant deux difficultés : en premier lieu, la conscience ne dit pas la même chose à tout le monde ; en second lieu, l'étude de l'inconscient nous a permis de comprendre les causes matérielles des scrupules de conscience.  En ce qui concerne les expressions différentes de la conscience : la conscience de George III d'Angleterre lui disait qu'il ne devait pas accorder de droits civiques aux catholiques, sans quoi il se serait parjuré en prononçant le serment du sacre, mais ses successeurs n'ont pas eu les mêmes scrupules. La conscience conduit les uns à condamner l'exploitation des pauvres par les riches, pratiquée par les capitalistes. Elle dit à l'un qu'il doit défendre son pays en cas d'invasion, tandis qu'elle dit à l'autre que toute participation à la guerre est coupable. Pendant la guerre de 1914-1918, les dirigeants britanniques, dont peu avaient étudié la morale, furent très embarrassés par l'existence de la conscience, et furent conduits à des décisions singulières, par exemple qu'un homme pouvait avoir des scrupules de conscience quand il s'agissait de se battre lui-même, mais non quand il s'agissait de travailler aux champs de manière à permettre l'appel d'un autre homme sous les drapeaux. Ils pensaient aussi que, si la conscience pouvait désapprouver toute guerre, elle ne pouvait pas, à défaut de cette position extrême, désapprouver la guerre alors en cours. Ceux qui, pour une raison quelconque, pensaient qu'il ne fallait pas se battre, étaient obligés de définir leur position d'après cette conception assez primitive et peu scientifique de la « conscience «.  La diversité des expressions de la conscience devient toute naturelle quand on en comprend l'origine. Dans la première jeunesse, certaines catégories d'actes rencontrent l'approbation, d'autres la désapprobation ; et, par le processus normal d'association des idées, le bien-être et le malaise s'attachent peu à peu aux actes eux-mêmes, et non plus seulement à l'approbation ou à la désapprobation qu'ils suscitent. À mesure que le temps passe, nous pouvons oublier complètement notre première éducation morale, mais certaines sortes d'actions continuent à nous donner un sentiment de gêne, tandis que d'autres nous procurent une exaltation vertueuse. Par introspection, ces sentiments nous paraissent mystérieux, puisque nous avons oublié les circonstances qui les ont causés à l'origine : il est donc naturel de les attribuer à la voix de Dieu dans notre cœur. Mais, en réalité, la conscience est le produit de l'éducation, et peut chez la plupart des hommes, être dressée à approuver et à désapprouver au gré de l'éducateur. S'il est donc juste de vouloir libérer la morale des règles extérieures, on ne peut guère y parvenir de façon satisfaisante à l'aide de la notion de « conscience «."    Russell, Science et religion, 1935, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio essais, pp. 167-169.      "Ainsi, on aboutit à une situation qui peut paraître paradoxale : dans la mesure même où se précisent la transformation, la réglementation, le refoulement et la dissimulation de la vie pulsionnelle au sein de la société, la fonction du conditionnement retombe sur la seule famille, sur le père et la mère. Il est vrai que dans l'enceinte familiale, le mécanisme du conditionnement n'a guère subi de changements par rapport aux époques antérieures : il n'est pas l'aboutissement d'une vue synthétique du problème ou d'une planification consciente fondée sur les conditions de la vie et la situation particulière de l'enfant ; le conditionnement se fait par une sorte d'automatisme, par un enchaînement de réflexes ; les attitudes pulsionnelles d'origine sociale et les habitudes des parents déclenchent, dans l'enfant, des attitudes pulsionnelles et des habitudes conformes ou contraires à l'orientation que les parents entendent donner au conditionnement. L'interpénétration des habitudes des parents et des enfants, par laquelle l'économie pulsionnelle de ces derniers se forme et s'individualise n'est absolument pas déterminée par des éléments "rationnels". Des comportements et des propos, entachés pour les parents de sensations de honte et de malaise, se transmettent aux enfants par le moyen de manifestation de déplaisir et de pressions plus ou moins fortes, si bien que les normes sociales de la pudeur et de la sensibilité aux expériences pénibles se reproduisent peu à peu dans les enfants".    Norbert Elias, La civilisation des moeurs (1939), Trad. P. Kamnitzer, Presses Pocket, pp. 414-415.

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