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MICHELET (1798-1874). La France à vol d'oiseau

Publié le 17/01/2022

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Michelet, fils d'un modeste imprimeur, eut une enfance pénible et laborieuse. Soutenu par une énergique volonté, il devint docteur ès lettres, agrégé, professeur au collège Sainte-Barbe, et enfin titulaire de la chaire d'histoire du Collège de France; en même temps, il était chef de la division historique aux Archives. Son premier ouvrage fut une Histoire romaine (1828). Puis il publia, de 1833 à 5844, les six premiers volumes de son Histoire de France (des origines à François Ier); son talent est alors en parfait équilibre.

Les approches de la révolution de 1848 commencent à troubler sa quiétude. Il publie, en 1846, le Livre du peuple; et il s'avise qu'il ne saurait comprendre l'histoire de la monarchie absolue, s'il n'a pas auparavant étudié. la Révolution. Il interrompt donc son Histoire de France à François Ier, et il publie, de 1847 à 1853, son Histoire de la Révolution, oeuvre de foi et de propagande, plutôt qu'oeuvre de science. — D'ailleurs, tout contribuait à rompre cet équilibre dont il jouissait la veille. Le coup d'État de 1851 l'avait chassé de sa chaire du Collège de France et de sa place aux Archives. Quand Michelet reprend, en 1855, la suite de son Histoire, il en veut à la monarchie des persécutions de Louis-Napoléon Bonaparte; il a perdu la sérénité et le sang-froid; il a seulement conservé et exagéré ses qualités de poète et de visionnaire. Les derniers volumes de l'Histoire de France paraissent de 1855 à 1867. Puis, Michelet écrit différents ouvrages descriptifs et poétiques : l'Oiseau, l'Insecte, la Mer, la Montagne, etc. Il meurt à Hyères, en 1874.
Michelet a donné lui-même sa formule. Pour lui, l'histoire doit être la résurrection de la vie intégrale du passé. Il veut combiner la méthode de Thierry et celle de Guizot; "ce livre, dit-il en 1833, est un récit et un système".
Son style est romantique : il est imagé, vivant, poétique, mais souvent touffu, exagéré, emphatique.


La France à vol d'oiseau (1833).


Michelet attache une grande importance à la géographie, au sens général du mot. Avant d'entreprendre le récit des faits, il décrit le sol de la patrie, province par province, il en établit les caractères physiques, ethnographiques et intellectuels.
Montons sur un des points élevés des Vosges, ou, si vous voulez, du Jura. Tournons le dos aux Alpes. Nous distinguerons (pourvu que notre regard puisse percer un horizon de trois cents lieues) une ligne onduleuse, qui s'étend des collines boisées du Luxembourg et des Ardennes aux ballons des Vosges ; de là, par les coteaux vineux de la Bourgogne, aux déchirements volcaniques des Cévennes, et jusqu'au mur prodigieux des Pyrénées. Cette ligne est la séparation des eaux; du côté occidental, la Seine, la Loire et la Garonne descendent dans l'Océan ; derrière s'écoulent la Meuse, au nord; la Saône et le Rhône, au midi. Au loin, deux espèces d'îles continentales : la Bretagne, âpre et basse, simple quartz et granit, grand écueil placé au coin de la France pour porter le coup des courants de la Manche ; d'autre part, la verte et rude Auvergne, vaste incendie éteint, avec ses quarante volcans. Les bassins du Rhône et de la Garonne, malgré leur importance, ne sont que secondaires. La vie forte est au nord. Là s'est opéré le grand mouvement des nations. L'écoulement des races a eu lieu de l'Allemagne à la France dans les temps anciens. La grande lutte politique des temps modernes est entre la France et l'Angleterre. Ces deux peuples sont placés front à front, comme pour se heurter : les deux contrées, dans leurs parties principales, offrent deux pentes en face l'une de l'autre; ou, si l'on veut, c'est une seule vallée dont la Manche est le fond. Ici, la Seine et Paris; là, Londres et la Tamise. Mais l'Angleterre présente à la France sa partie germanique; elle retient derrière elle les Celtes de Galles, d'Écosse et d'Irlande. La France, au contraire, adossée à ses provinces de langue germanique (Lorraine et Alsace), oppose un front celtique à l'Angleterre. Chaque pays se montre à l'autre par ce qu'il a de plus hostile....
En latitude, les zones de la France se marquent aisément par leurs produits. Au nord, les grasses et belles plaines de Belgique et de Flandre, avec leurs champs de lin, de colza et de houblon„ la vigne amère du Nord. De Reims à la Moselle commence la vraie vigne et le vin ; tout esprit en Champagne, bon et chaud en Bourgogne, il se charge, s'alourdit en Languedoc, pour se réveiller à Bordeaux. Le mûrier, l'olivier paraissent à Montauban; mais ces enfants délicats du Midi risquent toujours sous le ciel inégal dé la France.... En longitude, les zones ne' sont point marquées....
On l'a dit, Paris, Rouen, Le Havre sont une même ville dont la Seine est la grand'rue. Éloignez-vous au midi de cette rue magnifique, où les châteaux touchent aux châteaux, los villages aux villages; passez de la Seine-Inférieure au Calvados, et du Calvados à la Manche : quelles que soient la richesse et la fertilité de la contrée, les villes diminuent de nombre, les cultures aussi ; les pâturages augmentent. Le pays est sérieux; il va devenir triste et sauvage. Aux châteaux altiers de la Normandie vont succéder les bas manoirs bretons. Le costume semble suivre le changement d'architecture. Le bonnet triomphal des femmes de Caux, ceux qui annoncent si dignement les filles des conquérants de l'Angleterre, s'évase vers Caen, s'aplatit dès Villedieu ; à Saint-Malo, il se divise, et figure au vent tantôt les ailes d'un moulin, tantôt les voiles d'un vaisseau. D'autre part, les habits de peau commencent à Laval. Les forêts qui vont s'épaississant, la solitude de la Trappe, où les moines mènent en commun la vie sauvage, les noms expressifs des villes, Fougères et Rennes (Rennes veut dire aussi fougère), les eaux grises de la Mayenne et de la Vilaine, tout annonce la dure contrée.


(Histoire de France, II, Flammarion, éditeur.)


QUESTIONS D'EXAMEN


I. — L'ensemble. — Nature du morceau : un tableau. — Tableau de la France, vue à vol d'oiseau. 1° De quel point élevé Michelet contemple-t-il la France? 2° Peut-il tout voir, dans le vaste panorama qu'il a sous les yeux? 3° Que distingue-t-il et qu'indique-t-il surtout? (les traits saillants de la ligne de séparation des eaux; — les îles continentales : la Bretagne et l'Auvergne; — la Manche, fond de la vallée qui sépare la France de l'Angleterre; — les cultures dominantes); 4° Comment apparaissent Paris, Rouen et Le Havre, vus de loin? 5° Cependant, il est une partie du tableau où les détails figurent à côté des grandes lignes : laquelle? Quels détails y sont indiqués? 60 Quelle impression générale vous laisse ce tableau?
II. — L'analyse du morceau. — Distinguez les différentes parties du morceau : a) Les parties saillantes de l'orographie de la France; b) L'importance de la région du Nord; c) Ses productions végétales; d) L'aspect du pays situé au sud de la Seine, grand'rue de la ville que ferment Paris, Rouen et Le Havre); 2° Quelle est celle de ces parties qui vous paraît la plus intéressante? Pourquoi? 3° Pour quelles raisons Michelet dit-il que la vie forte est au nord ? 4° Comment appelle-t-il le houblon? le mûrier et l'olivier? 5° Pourquoi l'aspect de la Normandie diffère-t-il de celui de la Bretagne? 6° Pensez-vous qu'il soit utile de connaître la géographie d'un pays pour en étudier l'histoire?
III. — Le style; — les expressions. — 1° Montrez que le style, dans ce morceau, est imagé (deux peuples placés front à front...; le mûrier et l'olivier, enfants délicats du Midi...). — Certaines images caractérisent admirablement une région (la Bretagne, grand écueil placé au coin de la France...; l'Auvergne, vaste incendie éteint; avec ses quarante volcans...; la Seine, une grand'rue...; images exactes, expressives, qui se fixent aisément dans la mémoire); 20 Montrez aussi que le style est clair et précis; insistez sur la propriété des termes, et tout particulièrement sur celle des qualificatifs (une ligne onduleuse, — la verte et rude Auvergne, -- le houblon, vigne amère du Nord..., etc.); 3° Justifiez l'emploi de l'expression : îles continentales, appliquée à la Bretagne et à l'Auvergne; 4° Quel est le sens des expressions suivantes : ciel inégal, châteaux altiers, bonnet triomphal?
IV. — La grammaire. — 1° Indiquez la composition des mots adossée, inégal, — le contraire de hostile; 2° Trouvez les mots de la même famille que front. — 3° Distinguez les propositions contenues dans la première phrase du dernier alinéa (On l'a dit...); nature et fonction de la dernière.
Rédaction. — Essayez de montrer que l'on comprend mieux l'histoire d'un pays quand on en connaît la géographie. — Prendre comme exemple l'Ile-de-France et l'Auvergne.
  

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