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Moscou ne remplit pas ses engagements dans la lutte contre le blanchiment

Publié le 17/01/2022

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d'argent 13 décembre 2000 Il n'y a plus d'« affaire Mabetex » en Russie. Le parquet général a décidé le 13 décembre, après vingt-six mois d'instruction, de clore « pour absence de délit » l'un des plus retentissants scandales financiers de l'ère Eltsine et de blanchir ses principaux figurants : les filles de l'ancien président russe et ancien intendant du Kremlin, Pavel Borodine. « Cent vingt-deux tomes de 250 pages chacun, tout ira à la poubelle », a expliqué le juge d'instruction, Rouslan Tamaïev. Personne ne doutait du fait que l'enquête Mabetex était depuis longtemps à demi-morte. Mabetex est le nom d'une société luganaise soupçonnée d'avoir corrompu des proches de Boris Eltsine en échange de marchés de construction à Moscou, et d'avoir aidé au recyclage en Suisse de l'argent de la « famille » présidentielle . Mais la désinvolture avec laquelle Moscou a choisi de claquer la porte au nez de la justice suisse qui, elle, continue d'enquêter, a suscité agacements et inquiétudes en Occident. En mai 1999, parallèlement à l'enquête russe, Genève avait ouvert une instruction pour blanchiment d'argent, ayant retrouvé la trace de millions de dollars versés par Mabetex et par Mercata, une société tessinoise de construction, sur des comptes genevois dont les ayants droit étaient Pavel Borodine et ses proches. Dès juillet 2000, le juge Daniel Devaud, chargé du dossier, faisait parvenir une commission rogatoire à Moscou d'où il ressortait, documents bancaires à l'appui, que M. Borodine (aujourd'hui secrétaire de l'Union Russie-Bélaruss) et sa famille avaient touché 25 millions de dollars sur les 61 millions de commissions versés par la société Mercata, en échange de la rénovation du Grand Palais du Kremlin et de la Cour des comptes. « DOCUMENTS TRÈS INSTRUCTIFS » Aujourd'hui, le juge Devaud, s'il ne se dit « pas vraiment surpris », exprime son amertume : « Les Russes ont classé l'affaire et la seule explication est d'ordre politique », a-t-il déclaré au Monde. « Il faut arrêter de faire passer les autorités suisses pour des benêts. S'il est normal que des hauts fonctionnaires de l'administration présidentielle russe touchent des commissions de plusieurs millions de dollars sur des comptes en banques suisses, qu'on nous le dise. Ce serait plus simple. Nous aimerions également savoir si M. Borodine bénéficie dans son pays d'une immunité spéciale », ajoute-t-il. Pour Bernard Bertossa, le procureur de Genève, la clôture de l'« affaire Mabetex » ne sera pas sans conséquence pour l'image de la Russie. « Comment accepter que les agents publics d'un Etat aient le droit de toucher des pots-de-vin, alors que cet Etat demande aujourd'hui des crédits à des organismes financiers internationaux ? », interroge-t-il. A Moscou, « il y a une justice pour les amis et une autre pour les opposants », ajoute-t-il, en allusion aux ennuis judiciaires de Vladimir Goussinski, le patron de Media-Most, le seul groupe de presse indépendant, devenu l'ennemi numéro un du parquet russe. Dans les milieux de la police fédérale de Berne, le ton est encore plus alarmiste. « Rouslan Tamaïev (l'enquêteur russe) affirme qu'il n'a pu verser à son dossier les documents bancaires fournis par la Suisse, car il s'agissait de photocopies. C'est absurde. Personne ne l'empêchait en Suisse de faire authentifier ces documents », s'agace un policier. Dans un exercice de diplomatie, le procureur fédéral, Valentin Roschacher, a toutefois assuré que l' « entraide judiciaire » russo-suisse se poursuivait sur d'autres dossiers. Il regrettait cependant que sur l'« affaire Mabetex », les Russes n'aient pas exploité des « documents très instructifs » transmis par Berne. Ailleurs, on commence également à mesurer les conséquences du classement à Moscou du scandale Mabetex. Contacté par Le Monde, Pierre Moulette, secrétaire du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI, un organisme qui dépend de l'Organisation pour la coopération et le développement économique, OCDE), estime qu'il est « dommage que la partie suisse extrêmement déterminée à faire avancer les choses (en matière de lutte contre le blanchiment) n'ait pas rencontré l'aide escomptée côté russe ». En juin, le GAFI avait dressé pour la première fois la liste des pays « non coopératifs » en matière de lutte contre l'argent sale. Avec quatorze autres Etats, la Russie avait été sommée de faire des progrès avant juin 2001, sous peine de se voir imposer des « contre-mesures » économiques. Parmi les critères retenus contre la Russie, figurait la « mauvaise volonté évidente pour répondre de manière constructive à l'assistance mutuelle légale » entre Etats. Moscou s'est-elle pliée aux autres recommandations du GAFI ? Lors de sa visite en France fin octobre, Vladimir Poutine disait vouloir coopérer avec cet organisme et affirmait préparer « un certain nombre de textes législatifs dans ce sens ». « De nombreux centres off-shore figurant sur notre liste, ainsi d'autres pays comme Israël, ont fait des efforts concrets en adoptant de nouvelles législations. Mais à part un exercice intense de rédaction, la Russie ne bouge apparemment pas. Il n'y a pas de contacts directs entre le secrétariat exécutif du GAFI et les autorités russes depuis deux ans. Or il faudrait un engagement politique sur ces questions », constate pour sa part Pierre Moulette,. A Moscou, le jour où l'inspecteur Tamaïev classait l'« affaire Mabetex », le ministre des finances, Alexeï Koudrine, annonçait de son côté qu'un projet de loi contre le blanchiment d'argent serait enfin déposé en mai 2001 devant la Douma (Chambre basse du Parlement). Au même moment, le chef de la police des impôts disait avoir reçu le feu vert du président Poutine pour créer un service de renseignement financier capable de traquer les criminels financiers et de rapatrier les capitaux sales. Des mesures annoncées depuis déjà des années.

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