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Okinawa, la guerre sauvage du Pacifique

Publié le 17/01/2022

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24-25 mai 1945 - Depuis le 1er avril 1945, un jour de Pâques, date du débarquement américain d'Okinawa, l'île principale de l'archipel des Ryukyu, d'une centaine de kilomètres de longueur et d'une trentaine dans sa plus grande largeur, est le théâtre de l'une des plus sanglantes batailles de la guerre du Pacifique. C'est l'opération " Iceberg ", dernière étape de la longue marche du général MacArthur sur Tokyo avant l'invasion du Japon. Une formidable armada est engagée : plus de 300 navires de combat, dont 40 porte-avions, près de 1 200 bâtiments auxiliaires, 548 000 hommes, dont 182 000 de troupes d'assaut. Conscients de l'enjeu, les Japonais sont décidés à défendre coûte que coûte ce qui est, déjà, le territoire national. Leurs moyens sont limités. Pratiquement sans marine, surclassés en matériel et dans les airs, ils étaient 100 000 à attendre l'attaque. Sans illusions, ils avaient transformé l'île montagneuse, boisée et calcaire, en un véritable piège truffé de mines, de nids d'abeille, de tunnels souterrains et de grottes fortifiées, qui deviendront un enfer. Ils sont surtout convaincus de posséder une force que n'a pas l'assaillant, le Yamato damashi, esprit de sacrifice du Japon antique que soutient le bushido, code d'honneur des samouraïs. Devenir un héros-dieu, tel doit être le but du guerrier nippon, et la mort est une des voies pour accéder à cette déification. La bataille d'Okinawa sera donc celle des kamikazes, missions suicides de la force aérienne d'assaut, ainsi dénommées " vent des dieux " en rappel du typhon légendaire qui aurait provoqué la fuite de l'envahisseur mongol du treizième siècle. L'exaltation du sacrifice héroïque est, en l'occurrence, une technique de combat désespérée. Expérimentée aux Philippines avec succès, mais épisodiquement, elle devient, à Okinawa, systématique. Un engin spécial est même conçu à cet effet, la bombe baka, planeur de bois lancé par un avion avec un homme et des explosifs à bord. Au cours de la bataille, 1 900 de ces missions sont lancées en plusieurs vagues massives. Elles causent d'importants dégâts, coulant une trentaine de navires, en endommageant près de cent autres, jusqu'à ce que les forces aériennes américaines parviennent à en réduire l'efficacité en abattant les avions suicides avant l'impact ou... en les faisant fuir. Sur terre, les combats sont d'une âpreté rare. L'acharnement de l'Américain n'est pas moindre que celui de son adversaire. Il progresse pas à pas sur un sol transformé en bourbier par la pluie, débusque le japonais de son trou au lance-flammes, tire sur tout ce qui bouge, même si c'est un civil, pourchasse les survivants et les abat impitoyablement. Les soldats américains ont d'ailleurs été psychologiquement préparés. Un instructeur conseillait aux recrues en partance pour le Pacifique : " Vous n'allez pas en Europe, n'hésitez pas à combattre le Jap salement ! " Un gigantesque panneau érigé sur une côte du Pacifique sud à l'initiative du général Hasley leur recommandait : " Kill Japs ! Kill more Japs ! " Les quatre-vingt-dix jours de la bataille d'Okinawa ont été une véritable plongée au coeur des ténèbres, le point d'orgue de cette guerre contre le Japon dont la violence sauvage, imputée à la cruauté et au fanatisme de l'armée nippone a été surtout la manifestation exacerbée d'un affrontement racial. Lorsque tout a commencé en décembre 1941 par le coup de Pearl-Harbor, la première réaction a été visiblement la stupeur. Le nain avait osé gifler le géant chez lui ! Même l'homme de la rue japonais n'en revenait pas. Que son gouvernement ait eu tant d'audace le remplissait à la fois d'inquiétude et d'orgueil. Mais pour l'homme de la rue américain, qui n'est pas loin de voir le Japonais avec le même oeil méprisant que le Russe de 1904 à la veille de sa désastreuse guerre contre le Japon, c'est inconcevable. A la stupeur succède très vite la peur, la peur engendre la haine. Toute la côte ouest des Etats-Unis se sent soudain menacée d'un débarquement ennemi. L'espionnite se répand, qui dérive en chasse aux sorcières, en l'occurrence les immigrants nippons. Moins aigüe aux îles Hawaii, très asiatisées, elle est virulente en Californie, où vivent environ 125 000 américains d'origine japonaise, parmi lesquels de nombreux fermiers. En même temps que se développe contre eux une campagne de haine menée par des libéraux comme Walter Lippman, le gouverneur Olson et l'attorney général Warren, également un libéral, lancent une série de mesures discriminatoires : les fonctionnaires sont révoqués, les médecins et les avocats privés de licence, les pêcheurs privés de leurs bateaux. Leurs avoirs sont bientôt gelés. Même des laitiers leur refusent du lait. Humilier le Blanc On les incite à quitter l'Etat et à fuir vers l'intérieur. Mais le Nevada, l'Idaho, le Kansas, l'Arkansas imitent à leur tour la Californie, jusqu'à ce que le président Roosevelt décide, en février 1942, leur déportation et leur internement dans les camps. En quarante-huit heures, ils doivent tout abandonner, maisons, mobiliers, terres, fortune. Pourtant ils manifestent une fidélité exemplaire au drapeau américain et vont jusqu'à chanter, le samedi soir, devant leurs baraques d'internés, America is beautiful. Ceux d'entre eux qui sont mobilisés se comportent en bons soldats sur les champs de bataille européens, certains même en héros. Mais après trois ans de détention, ils ne retrouveront pas leurs biens et longtemps encore garderont au coeur le souvenir de la honte infligée. L'espionnite, le Japon n'y échappe évidemment pas. Ce sont les résidents étrangers qui en sont les victimes, surtout lorsque les avions du colonel Doolittle se permettent pour la première fois, en avril 1942, de passer au dessus de Tokyo. Mais c'est sur les terres conquises par l'armée impériale que s'exprime dans toute sa violence le sentiment d'orgueil racial d'un peuple qui rêve depuis longtemps de vaincre l'Occident blanc et de le remplacer dans la domination de l'Asie. En débarquant à Singapour, forteresse vaincue de l'empire colonial anglais, le général Yamashita et son état-major piétinent un tapis de prisonniers britanniques et australiens contraints à s'allonger sur le sol. L'un des officiers, le colonel Tsuji, est l'auteur d'une brochure destinée aux troupes envoyées sous les tropiques : " Lorsque vous aurez mis le pied sur le territoire ennemi, y est-il écrit, vous comprendrez la signification de l'oppression que nous inflige le blanc. L'argent tiré du sang des asiatiques assure à cette minorité blanche un mode de vie luxueux...Lorsque vous tomberez sur l'ennemi, dites-vous que vous rencontrez l'assassin de votre père que vous allez venger.. " Cette déclaration de solidarité panasiatique ne manque pas de cynisme après les atrocités commises en Mandchourie et en Chine par l'occupant nippon sur les autochtones, mais elle justifie l'humiliation organisée et spectaculaire des anciens maîtres blancs, contraints de faire des courbettes, de balayer les rues, ou de subir coups et avanies sous les yeux de leurs anciens sujets. Cobayes humains La vindicte des vainqueurs et souvent plus brutale : les défenseurs américains de Corregidor, épuisés par la bataille, sont affamés pendant une semaine, jetés dans des cales à bestiaux avant de défiler à Manille. 70 000 Américains et Philippins capturés à Bataan sont poussés vers un camp sur une centaine de kilomètres, à coups de gourdins. Blessés et malades sont parfois achevés à la hache ou enterrés vivants. 7 000 périssent. Dans la jungle de Birmanie, près de la célèbre rivière Kwaï, 15 000 Européens et 70 000 Asiatiques affectés à la construction d'un chemin de fer stratégique meurent d'épuisement, de soif ou de faim. A Bornéo, à Java, des Hollandais sont mutilés, massacrés, leurs femmes violées. En Indochine, des Français qui résistent au coup de force du 9 mars 1945 sont décapités, d'autres internés dans des camps de la mort lente. Partout encore, la gendarmerie militaire, la Kempeitai, se rend célèbre par ses tortures et ses cages de bois. Quoi qu'ait écrit le colonel Tsuji, " Chinois et peuples du Sud " ne sont pas épargnés, surtout des Philippins, accusés de connivence avec les Américains, et des Chinois de Singapour, nombreux à être exécutés, avec ou sans raison. Esprit de sacrifice, code d'honneur, orgueil d'une nation insulaire trop longtemps isolée, volonté de puissance et de revanche raciale, peuvent expliquer la fureur de vaincre et aussi de mourir des Japonais au combat. Mais expliquent-ils aussi cette plongée encore plus profonde dans les ténèbres de la sauvagerie humaine effectuée par les quelque 3 000 membres, militaires et civils, d'un certain régiment 731, dont les atrocités ont été récemment révélées par des témoignages tardifs et officiellement reconnus ? Cette unité, stationnée à Harbin, en Mandchourie occupée, avait pour tâche de faire des recherches en vue d'une guerre bactériologique et chimique, jugée par son initiateur, le chirurgien général Ishii, plus efficace et moins coûteuse que la guerre classique. On y travaillait sur des cobayes humains, chinois, coréens, mongols, russes, américains et aussi anglais lorsqu'un détachement a été affecté en Birmanie. On leur inoculait diverses maladies, telles que peste, choléra, typhus, syphilis, afin d'en étudier les effets, ou on leur faisait subir des expériences telles que le gel, l'inanition, l'exposition prolongée aux rayons X. Ce n'est qu'en 1982 qu'un livre paru au Japon a secoué l'opinion par ses révélations. Les autorités américaines d'après guerre y sont accusées d'avoir assuré l'impunité aux " savants " du régiment 731 afin de pouvoir " bénéficier de leurs découvertes "; Dans un débat au Parlement, le gouvernement japonais a reconnu l'existence de cette unité, sans confirmer ce contrat liant les anciens ennemis dans une même complicité ténébreuse et permettant aux macabres expérimentateurs de vaquer à leurs occupations, d'exercer dans des hôpitaux, et même d'occuper des chaires universitaires. PHILIPPE FRANCHINI Le Monde du 19 mai 1985

« On les incite à quitter l'Etat et à fuir vers l'intérieur.

Mais le Nevada, l'Idaho, le Kansas, l'Arkansas imitent à leur tour laCalifornie, jusqu'à ce que le président Roosevelt décide, en février 1942, leur déportation et leur internement dans les camps.

Enquarante-huit heures, ils doivent tout abandonner, maisons, mobiliers, terres, fortune.

Pourtant ils manifestent une fidélitéexemplaire au drapeau américain et vont jusqu'à chanter, le samedi soir, devant leurs baraques d'internés, America is beautiful.Ceux d'entre eux qui sont mobilisés se comportent en bons soldats sur les champs de bataille européens, certains même en héros.Mais après trois ans de détention, ils ne retrouveront pas leurs biens et longtemps encore garderont au coeur le souvenir de lahonte infligée. L'espionnite, le Japon n'y échappe évidemment pas.

Ce sont les résidents étrangers qui en sont les victimes, surtout lorsque lesavions du colonel Doolittle se permettent pour la première fois, en avril 1942, de passer au dessus de Tokyo. Mais c'est sur les terres conquises par l'armée impériale que s'exprime dans toute sa violence le sentiment d'orgueil racial d'unpeuple qui rêve depuis longtemps de vaincre l'Occident blanc et de le remplacer dans la domination de l'Asie. En débarquant à Singapour, forteresse vaincue de l'empire colonial anglais, le général Yamashita et son état-major piétinent untapis de prisonniers britanniques et australiens contraints à s'allonger sur le sol.

L'un des officiers, le colonel Tsuji, est l'auteurd'une brochure destinée aux troupes envoyées sous les tropiques : " Lorsque vous aurez mis le pied sur le territoire ennemi, y est-il écrit, vous comprendrez la signification de l'oppression que nous inflige le blanc.

L'argent tiré du sang des asiatiques assure àcette minorité blanche un mode de vie luxueux...Lorsque vous tomberez sur l'ennemi, dites-vous que vous rencontrez l'assassin devotre père que vous allez venger..

" Cette déclaration de solidarité panasiatique ne manque pas de cynisme après les atrocitéscommises en Mandchourie et en Chine par l'occupant nippon sur les autochtones, mais elle justifie l'humiliation organisée etspectaculaire des anciens maîtres blancs, contraints de faire des courbettes, de balayer les rues, ou de subir coups et avanies sousles yeux de leurs anciens sujets. Cobayes humains La vindicte des vainqueurs et souvent plus brutale : les défenseurs américains de Corregidor, épuisés par la bataille, sontaffamés pendant une semaine, jetés dans des cales à bestiaux avant de défiler à Manille.

70 000 Américains et Philippins capturésà Bataan sont poussés vers un camp sur une centaine de kilomètres, à coups de gourdins.

Blessés et malades sont parfoisachevés à la hache ou enterrés vivants.

7 000 périssent.

Dans la jungle de Birmanie, près de la célèbre rivière Kwaï, 15 000Européens et 70 000 Asiatiques affectés à la construction d'un chemin de fer stratégique meurent d'épuisement, de soif ou defaim.

A Bornéo, à Java, des Hollandais sont mutilés, massacrés, leurs femmes violées.

En Indochine, des Français qui résistent aucoup de force du 9 mars 1945 sont décapités, d'autres internés dans des camps de la mort lente.

Partout encore, la gendarmeriemilitaire, la Kempeitai, se rend célèbre par ses tortures et ses cages de bois.

Quoi qu'ait écrit le colonel Tsuji, " Chinois et peuplesdu Sud " ne sont pas épargnés, surtout des Philippins, accusés de connivence avec les Américains, et des Chinois de Singapour,nombreux à être exécutés, avec ou sans raison. Esprit de sacrifice, code d'honneur, orgueil d'une nation insulaire trop longtemps isolée, volonté de puissance et de revancheraciale, peuvent expliquer la fureur de vaincre et aussi de mourir des Japonais au combat.

Mais expliquent-ils aussi cette plongéeencore plus profonde dans les ténèbres de la sauvagerie humaine effectuée par les quelque 3 000 membres, militaires et civils,d'un certain régiment 731, dont les atrocités ont été récemment révélées par des témoignages tardifs et officiellement reconnus ? Cette unité, stationnée à Harbin, en Mandchourie occupée, avait pour tâche de faire des recherches en vue d'une guerrebactériologique et chimique, jugée par son initiateur, le chirurgien général Ishii, plus efficace et moins coûteuse que la guerreclassique.

On y travaillait sur des cobayes humains, chinois, coréens, mongols, russes, américains et aussi anglais lorsqu'undétachement a été affecté en Birmanie.

On leur inoculait diverses maladies, telles que peste, choléra, typhus, syphilis, afin d'enétudier les effets, ou on leur faisait subir des expériences telles que le gel, l'inanition, l'exposition prolongée aux rayons X. Ce n'est qu'en 1982 qu'un livre paru au Japon a secoué l'opinion par ses révélations.

Les autorités américaines d'après guerre ysont accusées d'avoir assuré l'impunité aux " savants " du régiment 731 afin de pouvoir " bénéficier de leurs découvertes "; Dansun débat au Parlement, le gouvernement japonais a reconnu l'existence de cette unité, sans confirmer ce contrat liant les anciensennemis dans une même complicité ténébreuse et permettant aux macabres expérimentateurs de vaquer à leurs occupations,d'exercer dans des hôpitaux, et même d'occuper des chaires universitaires. PHILIPPE FRANCHINILe Monde du 19 mai 1985. »

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