Pékin veut obtenir la consécration de ses nouvelles ambitions
Publié le 17/01/2022
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25 juin 1998 - Aucune relation n'est plus cruciale pour les Chinois que celle-là. Combinaison instable de fascination et de répulsion, la relation sino-américaine obsède littéralement les maîtres de Pékin. Grisé par sa progressive montée en régime sur la scène internationale, " l'empire du Milieu " ne se mesure plus qu'à l'aune de la puissance d'outre-Pacifique, jusqu'à rêver de bâtir un Hollywood national capable de produire un film comme Titanic, qui a déchaîné l'enthousiasme des Chinois par son gigantisme et ses effets spéciaux.
Si la visite de Bill Clinton est si importante pour les dirigeants chinois, c'est que seule l'onction de Washington leur semble digne d'intérêt. Elle seule est capable de leur délivrer ce brevet d'honorabilité qui consacrera leurs nouvelles ambitions. Cette quête de la reconnaissance des Etats-Unis ne signifie sûrement pas que l'anti-américanisme, ou une méfiance quasi paranoïaque à l'encontre des manoeuvres prêtées aux Américains, aient disparu comme par enchantement des esprits des dirigeants chinois.
Cette suspicion reste au contraire bien ancrée, comme l'ont montré les deux récentes crises régionales. D'abord, la passivité initiale des Américains à l'égard de la tourmente financière asiatique a été très mal ressentie à Pékin : les experts chinois ont conclu que Washington avait cyniquement parié sur une baisse du poids de l'Asie émergente. D'autre part, Pékin n'a jamais été complètement convaincu de la sincérité de l'attitude américaine à l'égard du programme nucléaire indien. Le sentiment persiste à Pékin que Washington s'est montré d'une coupable bienveillance vis-à-vis de New Delhi dans l'espoir d'en faire un pion dans une stratégie d'endiguement dirigée contre la Chine.
Mais ces soupçons sont demeurés dans le non-dit, sans nourrir de violentes campagnes de propagande, du type de celles qui enflammaient la presse officielle durant la période de tension qui a couru de la répression de Tiananmen (juin 1989) jusqu'à novembre 1996, quand ont commencé à se réchauffer les relations sino-américaines au lendemain de la crise des missiles du détroit de Formose. On ne lit plus dans la presse des diatribes désignant les Etats-Unis comme le principal adversaire de la Chine. Depuis plus d'un an, les autorités chinoises sont plutôt engagées dans une stratégie de séduction. Désireux d'apparaître comme un bon élève de la classe internationale, Pékin reste discret à Hongkong, s'abstient de dévaluer le yuan et annonce son intention de signer la convention des Nations unies sur les droits civils et politiques.
Contreparties
Pour l'essentiel, les Chinois cherchent à négocier deux contreparties en échange de leur nouvelle " sagesse " . La première est l'effacement de l'opprobre lié au massacre de Tiananmen et des sanctions commerciales qui ont suivi. Pékin demande l'octroi automatique par la Maison Blanche de la clause dite " de la nation la plus favorisée " . Plus que de supprimer des entraves économiques, il s'agit de gommer les stigmates de 1989.
La deuxième contrepartie espérée de Pékin concerne Taiwan. Comme le souligne le ministre chinois des affaires étrangères, Tang Jiaxuan, la question taiwanaise est " au coeur de la relation bilatérale " sino-américaine. Elle en est même, précise-t-il, le dossier " le plus sensible " . Les dirigeants chinois ont vainement cherché à faire signer à M. Clinton un quatrième communiqué conjoint s'ajoutant à ceux de février 1972 (Nixon), janvier 1979 (Carter) et août 1982 (Reagan) évoquant le sort de Taïwan. Faute d'un texte écrit, ils se satisferaient d'une déclaration verbale du président américain affirmant solennellement l'opposition de Washington aux concepts de " Deux Chines " , " d'Une Chine, un Taiwan " ainsi qu'à toute perspective d'indépendance de l'île.
Dans le communiqué de 1979, qui scellait le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux capitales, les Américains avaient déjà formellement reconnu la revendication de souveraineté de la République populaire sur Taiwan. Mais Pékin reproche aux Américains de n'avoir jamais respecté le communiqué de 1982 aux termes duquel ils s'étaient engagés à réduire progressivement leurs ventes d'armes à Taiwan. M. Clinton résistera-t-il à la pression pékinoise sur ce sujet ?
Car la Chine se livre à un gigantesque marchandage où se mêlent les dossiers. Si elle a refusé jusqu'à présent de signer le régime de contrôle de la technologie des missiles (MTCR), c'est parce qu'elle souhaite en faire une arme de négociation sur la question taiwanaise. Selon le quotidien hongkongais South China Morning Post, les dirigeants chinois diront en substance aux Américains : " Nous nous engageons à arrêter nos ventes d'équipements au Pakistan et à l'Iran à condition que vous arrêtiez vos ventes d'armes à Taiwan. " Voilà pourquoi les Taiwanais sont inquiets depuis quelques semaines. Ils craignent d'être sacrifiés sur l'autel de la réconciliation des deux géants du Pacifique. Dans les rues de Taipeh, des manifestants miment l'Oncle Sam en grossier courtisan.
FREDERIC BOBIN
Le Monde du 26 juin 1998
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