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Pouvoir du livre Claude ROY

Publié le 24/03/2020

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Pouvoir du livre

Claude ROY

1915 - 1997

Défense de la littérature (1968)

[...] On voit tous les jours quelqu’un dont le destin est bouleversé par un livre, qu’une lecture arrache à ce qu’il fut: de cet inquiet, les Evangiles font un croyant, de ce jeune bourgeois, L’Espoir, Que faire? ou un petit livre rouge1 font un révolutionnaire. Les récits de Saint-Exupéry déterminent la carrière d’un fùtur pilote. Et, sans aller si loin, dans nos façons d’aimer, qui ne décèle les souvenirs d’une lecture: Proust, ou Stendhal (ou Gide, ou Françoise Sagan) ? Mais dans les livres même, les êtres imaginaires échappent au prestige des livres. On compterait sur les doigts des deux mains les romans qui font allusion à d’autres romans : il y a A la recherche du temps perdu, les livres d’Aidons Huxley et quelques autres. C’est bien peu.

N’y aurait-il pas un roman à écrire, qui serait l’histoire prodigieuse des répercussions qu’un livre peut entraîner? Combien d’êtres ont voulu devenir sinon Stendhal, du moins Fabrice del Dongo ou Julien Sorel ? Comment ont-ils réalisé ce dessein, quelle marque sur leur vie a été imprimée par la lecture de La Chartreuse ou du Rouge et le Noir7. Voilà un grand sujet de roman à tiroir, à miroirs, le roman de l’homme-qui-lit.

Ortega y Gasset2 a d’ailleurs démontré brillamment que la lecture est une utopie. Lire un livre, explique Ortega, implique à la base l’intention de comprendre pleinement un texte. Or c’est impossible. « On arrivera sans doute au prix d’un grand effort à extraire une plus ou moins grande partie de ce que le texte a voulu dire, mais il en restera toujours un résidu “illisible”. En revanche, il est probable qu’en accomplissant cet èffort, il nous arrive au passage de lire dans le texte, c’est-à-dire de comprendre certaines choses que l’auteur ne voulait pas dire mais qu’il a pourtant dites. » Ce qu’Ortega y Gasset n’ajoute pas, c’est que- ce caractère utopique de la lecture la rend d’autant plus durable. Nous ne relisons guère ce que nous sommes trop bien parvenus à lire, sans résidu ni ambiguïté.

Écrire, c’est s’absenter pour mieux être présent. C’est proposer à un lecteur une absence de soi. Chaque fois qu’on tente de définir l’homme,

« CULTURE ET MODERNITÉ la formule qu'on trouve s'applique à la perfection, à ce monstre quoti­ dien des civilisations: l'homme-qui-lit.

II semble que toutes les singula- 35 ri tés de l'esprit humain, toutes ses ressources et ses surprenantes facul­ tés, l'homme-qui-lit les assume.

Il est celui qu'on ne peut limiter à ce qu'il est, que son être ne circonscrit point, puisqu'il y échappe, et ne s'en contente pas.

Il est dans l'espace, et cependant s'en évade.

Sa durée n'est pas pure, il y mêle celle d'une fiction qu'il adopte ou d'une méditation 40 qu'il épouse.

[homme-qui-lit échappe à ce qu'il est: n'est-ce pas le propre de l'homme tout court? Défense de la littérature, © Éd.

Gallimard.

1.

L'Espoirde Malraux; Q11efoir, ?de Lénine (1902); le petit livre rouge des «pensées» de Mao Tsé-toung (1960).

- 12.1'crivain espagnol (1883-1935).

r ;R'elevez dans le texte des paradoxes, des jeux de mots et de sonorités.

Quel carac- -têre lui confèrent-ils? -l • 9uels cha'.11ps lexicaux repérez-vous à partir de la ligne 36? Qu'en concluez-vous sur, · les pouvoirs de la lecture? D l • , t • onnez un titre a ce tex e.

1 • Dites, en un développement composé, ce que vous devez à vos lectures.

L > Groupement de textes: voir 25 -26 -34 -38.

63. »

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