Première rencontre Bush-Poutine : derrière les sourires, les désaccords
Publié le 17/01/2022
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16 juin 2001
Un soin particulier a été déployé, samedi 16 juin, dans le parc ensoleillé d'un château de Slovénie où Josef Tito aimait jadis se prélasser, pour que soit décrite sous le meilleur jour possible la première rencontre entre les deux hommes qui détermineront au cours des prochaines années la nature des relations entre les Etats-Unis et la Russie. George W. Bush et Vladimir Poutine avaient tous deux intérêt à ce que les quelque deux heures d'entretiens (chronométrés par les conseillers américains) se soldent par un succès, du moins en images.
Pour le premier, il s'agissait de clore sur une note positive une première visite en Europe, non exempte de tiraillements avec certains alliés, ni d'attaques de la part de groupes de manifestants. Pour le second, élu l'an dernier avec comme leitmotiv de rétablir l'Etat russe, son armée, son poids dans le monde, il fallait accréditer l'idée - deux ans après les bombardements de l'OTAN contre la Yougoslavie, que Moscou n'avait pas pu empêcher - d'une Russie incontournable et acteur de premier plan dans les affaires internationales.
Ce dernier point n'était en rien acquis, puisque l'équipe Bush avait, dans un premier temps, omis de faire figurer M. Poutine sur le programme de sa tournée européenne. Les expulsions d'espions, les fermetures de journaux et de télévision à Moscou, la coopération nucléaire poursuivie avec l'Iran, la guerre en Tchétchénie, tout cela avait contribué à ce que le premier tête-à-tête entre les deux chefs d'Etat soit reporté à plus tard, au sommet des grands pays industrialisés (G 8) prévu pour fin juillet à Gênes. La nouvelle équipe à Washington voulait par là se démarquer de l'approche de l'époque Clinton, jugée trop conciliante envers le Kremlin et ses agissements. C'est - selon des journalistes russes accompagnant la délégation russe en Slovénie - une intervention de Mikhaïl Gorbatchev, en visite à Washington au printemps, qui aurait ramené les officiels américains à de meilleures dispositions.
Après une brève promenade, samedi au milieu des arbres, au cours de laquelle le président russe a prononcé quelques phrases en anglais, langue qu'il étudie, MM. Bush et Poutine ont multiplié les amabilités lors d'une conférence de presse, tout en refusant de rentrer dans le détail de leurs entretiens. M. Bush a qualifié son interlocuteur de « dirigeant remarquable », qui « aime son pays, sa famille » et avec lequel il se sent des « valeurs communes ». « Je l'ai regardé dans les yeux, j'ai pris la mesure de son âme », « j'ai confiance en lui », s'est enthousiasmé le président américain.
Plus sobre, le chef du Kremlin parla de « dialogue extrêmement ouvert », ayant « dépassé les attentes ». Il a décrit M. Bush comme un « historien » doté d' « une vision large ». Il a évoqué des relations désormais « pragmatiques et constructives » entre les deux pays. « Quand le président d'une grande puissance affirme qu'il veut voir la Russie comme un partenaire et peut-être même une alliée, cela a beaucoup de valeur pour nous », a dit M. Poutine. Des invitations ont été échangées : M. Poutine doit effectuer à l'automne une visite aux Etats-Unis, où il est convié à découvrir le ranch de M. Bush au Texas. Le président américain a accepté, de son côté, de se rendre en Russie, sans qu'une date ne soit précisée.
Mais derrière ces politesses, aucun progrès notable n'a été constaté sur les dossiers qui opposent les deux hommes, au-delà de l'engagement de mener prochainement des « consultations » au niveau des ministres et des experts, pour tenter de « trouver une plate- forme commune ».
Au sujet du bouclier antimissile, que Washington souhaite mettre au point et déployer afin d'endiguer la menace des « Etats voyous » (Rogue States), M. Poutine a réitéré le refus russe, quoiqu'en termes atténués. « La position officielle de la Russie est connue, il n'est pas nécessaire de la répéter. Le traité ABM de 1972 - NDLR : qui interdit les dispositifs antimissile et sert de cadre aux réductions d'armements nucléaires - est l'élément clé de l'architecture internationale de sécurité », a-t-il dit. En ajoutant une mise en garde : « Toute action unilatérale peut rendre plus compliqués encore certains problèmes. » « Des différences d'approche existent et, naturellement, il est impossible de les surmonter en un seul moment, mais je suis convaincu que nous avons devant nous un dialogue constructif et la volonté d'écouter, d'entendre. » M. Poutine a reconnu l'existence de « menaces », mais a suggéré qu'il fallait encore les « identifier ».
M. Bush a voulu démentir vigoureusement, en réponse à une question de journaliste, qu'un marchandage était en cours. Une hypothèse veut que la Russie finisse, comme d'autres pays, par s'accommoder du projet de défense antimissile, n'ayant pas les moyens de le bloquer, et qu'elle s'attache donc à obtenir des concessions qui pourraient, par exemple, prendre la forme d'une réduction de sa dette extérieure, d'achats américains d'armements russes, d'aides militaires, d'exercices antimissile conjoints... « Nous n'avons pas mené une séance de marchandages, nos relations sont plus vastes que cela », a insisté M. Bush. Mais il relevait plus tard que M. Poutine avait fait preuve de « réceptivité », et que « rien n'a été rejeté d'emblée ».
L'idée d'un nouvel élargissement de l'OTAN vers l'est - perspective soutenue par M. Bush, qui a parlé à Varsovie de la fin de Yalta et du droit des pays « de la mer Baltique à la mer Noire » à bénéficier de « sécurité et liberté » - a suscité chez M. Poutine un commentaire vif pendant la conférence de presse : l'OTAN « est-elle une organisation militaire ? Elle l'est. Veulent-ils nous inclure dedans ? Ils ne le veulent pas. Est-elle en train de se rapprocher de nos frontières ? Elle le fait. Voilà quel est le fondement de tous nos soucis ». Moscou s'oppose à l'entrée des Baltes dans l'OTAN. M. Bush, quant à lui, ne précise pas quel(s) pays exactement il a en vue pour le prochain élargissement. En 1997, l'Alliance atlantique avait invité, en son sein, trois pays d'Europe centrale. La Russie avait obtenu en échange la création d'un « Conseil conjoint » où elle pouvait figurer aux côtés de l'OTAN.
« Les Etats-Unis et la Russie ne sont pas des ennemis », ont répété les deux présidents, évoquant l'avènement d'une nouvelle ère, « sans suspicion ». Les nuages ne sont pas dissipés pour autant, comme le montrent les récentes protestations de Washington après l'envoi d'une cargaison d'aluminium russe (partie du port de Sébastopol, selon le Washington Post) pouvant être utilisé dans la fabrication d'armes nucléaires. Les Etats- Unis ont annoncé la livraison à l'Azerbaïdjan de deux bateaux vedettes pour lutter contre la contrebande et la prolifération d'armes de destruction massive dans la région de la mer Caspienne, sur ces « flancs sud de la Russie » dont M. Bush dit s'inquiéter.
Le président américain a dit avoir évoqué avec son homologue russe « des conflits régionaux » (Balkans, Karabakh), ainsi que la question de l'exploitation des hydrocarbures de la Caspienne, une région où Américains et Russes sont en rivalité. M. Bush a affirmé avoir évoqué des points « où nos pays sont en désaccord, comme la Tchétchénie, et la situation dans les médias » en Russie. En fin de journée, tandis que Condoleeza Rice, conseillère de M. Bush pour la sécurité nationale, évoquait « l'européanité de la Russie », le secrétaire d'Etat, Colin Powell, mettait en garde contre le terme « alliés » utilisé par M. Poutine pour décrire les liens Etats-Unis - Russie : « alliés, mais avec un petit «a». »
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