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Problème de l’immigration Fernand BRAUDEL

Publié le 24/03/2020

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Problème de l’immigration

Fernand BRAUDEL

1902 - 1985

L'Identité de la France (1986)

 

J’habite un quartier de Paris, le XIIIe arrondissement, où il y a beaucoup d’immigrés, venus d’Afrique ou d’Asie. Un après-midi, je suis au coin de deux rues, celle où je marche avec ma femme sans nous presser, l’autre qui descend vers elle en pente rapide et la rejoint à angle droit. De cette dernière, un jeune Noir de 15 ou 16 ans, mais d’un mètre quatre-vingts pour le moins, élégamment vêtu, surgit en trombe devant nous sur des patins à roulettes, coupe notre route sur le trottoir, tourne sans s’arrêter, nous évite d’extrême justesse en nous frôlant à toute vitesse. Je proteste avec véhémence — deux ou trois mots seulement: le patineur est déjà loin! Mais il revient aussitôt sur moi, me couvre d’insultes variées et s’écrie, excédé : « Mais laissez-nous vivre ! » Phrase étonnante et qu’il répète. Evidemment je suis vieux jeu, coupable de m’être trouvé sur son chemin et mes protestations ne sont qu’agression raciste! Je me console, plutôt mal, en me disant qu’un jeune patineur blanc m’aurait peut-être tenu le même langage. Dix ans plus tôt, j’aurais sans doute réagi avec violence.

Je suis, cette fois, commodément installé dans le taxi d’une compagnie à laquelle je suis abonné depuis une quinzaine d’années. Je connais le chauffeur, un Martiniquais au corps énorme, épais, comme ces chauffeurs noirs de Washington. La route est longue. Il m’explique qu’il gagne sa vie, le soir, en participant à un orchestre, qu’il est marié à une Française et a trois enfants, fort beaux, ajoute-t-il. L’un d’eux, dentiste, a épousé une Finlandaise. «Et figurez-vous, Monsieur, que j’ai une petite-fille blonde», s’exclaffe-t-il. Cette scène que je raconte mal m’avait réjoui. Un immigré heureux! Et je ne sais pourquoi, revenant le soir dans un autre taxi que conduit une jeune femme de la même compagnie, je la lui raconte. Mal m’en a pris, elle se fâche, vocifère contre les chauffeurs étrangers. Je connais son mari, chauffeur lui-même, et je sais qu’ils n’ont pas d’enfants. Les détestent-ils comme les étrangers ? Alors je ne résiste pas au désir d’avoir le dernier mot: «Si vous aviez eu des enfants, il y aurait aujourd’hui moins de chauffeurs étrangers à Paris. »

Une dernière anecdote n’a peut-être de sens que pour moi. C’est

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« LA FRANCE ET LE MONDE 1 une jeune Algérienne, française de la seconde génération, étudiante, qui dit à la radio -vous l'avez peut-être entendue vous-même -sa 35 peine, sa mauvaise humeur, la difficulté obstinée de sa vie.

Et elle le dit dans un français tellement parfait, tellement élégant (l'école française a du bon) que j'ai subitement la conviction joyeuse et sans doute absurde que, pour elle au moins, la réussite est au bout du chemin.

Mais laissons cette façon impressionniste de parler.

Chacun de 4a nous a sans doute en mémoire des anecdotes de ce genre, preuves d'un racisme toujours à double sens: le refus est réciproque et se nourrit de cette réciprocité.

D'où des frictions quotidiennes, d'où des dangers.

Pourtant, qui pourrait, en France, parler de «race»? Les Maghré­ bins sont de race blanche et notre Midi a sa pinte de sang sarrasin, 45 espagnol, andalou ...

Regardons la foule dans le métro (parisien) ou dans les rues de villes comme Lyon, Marseille, Lille ou Grenoble, dit un sociologue, Augustin Barbara.

I..:extrême diversité des visages et des types humains révèle la grande richesse de cette population et en même temps le ridicule des slogans qui veulent« mettre les étrangers dehors».

5a La population française est un tissu composé de plusieurs ethnies, de plusieurs peuples régionaux rassemblés, auxquels se sont joints, par les différentes immigrations depuis plus d'un siècle, des étrangers d'Eu­ rope ou de pays plus lointains.

Tant d' «immigrés», depuis si long­ temps, depuis notre Préhistoire jusqu'à l'histoire très récente, ont réussi 55 à faire naufrage sans trop de bruit dans la masse française que l'on pourrait dire, en s'amusant, que tous les Français, si le regard se reporte aux siècles et aux millénaires qui ont précédé notre temps, sont fils d'immigrés.

Très diverse, la France ne peut-elle courir le risque de le devenir, biologiquement, davantage encore? L1dentité de la France, tome II, Éd.

Flammarion.

• ~eformulez de manière concise la thèse de Fernand Braudel.

• Rourquoi Fernand Braudel multiplie-t-il les points de vue? 1 •· R(ar quels moyens exprime-t-il sa subjectivité dans le dernier paragraphe? ' > Groupement de textes: voir 10 -21.

"'-•--- 'é%, ~ - 42. »

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