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Révolution russe de 1917 - Histoire

Publié le 19/02/2013

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histoire

1   PRÉSENTATION

Révolution russe de 1917, série d’événements qui se déroulèrent en 1917 en Russie et qui entraînèrent la chute du régime tsariste, la prise du pouvoir par les bolcheviks et la création de la République socialiste soviétique fédérative de Russie, premier élément de ce qui devint en 1922 l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).

Les deux révolutions de 1917 (Février et Octobre) furent les moments clés de la révolution russe : celle de Février débuta par des grèves et des manifestations à Petrograd (actuelle Saint-Pétersbourg) du 23 au 27 février et déboucha sur l’abdication du tsar et la fin de la monarchie impériale autocratique. Celle d’Octobre, appelée aussi Révolution bolchevique, commença les 24 et 25 octobre par l’insurrection armée organisée par les bolcheviks contre le Gouvernement provisoire : elle bouleversa toutes les données économiques, politiques et sociales de la société russe. Le gouvernement soviétique ayant adopté le calendrier grégorien le 31 janvier 1918 à la place du calendrier julien, les dates données dans l’exposé qui suit proviennent du calendrier en vigueur au moment des événements auxquels elles sont associées.

2   ORIGINES
2.1   Une société écartelée entre archaïsme et modernité

Depuis des siècles, un régime tsariste, autocratique et répressif, était en place en Russie, maintenant l’immense majorité de la population dans des conditions économiques et sociales très dures. Or, depuis la fin du XIXe siècle, l’économie du pays connaissait un essor spectaculaire, sous l’effet d’une industrialisation tardive et très brutale : de 1900 à 1914, l’économie russe eut le taux de croissance le plus fort d’Europe. D’où un grand essor urbain, surtout de la capitale Petrograd et de Moscou, et une grande effervescence culturelle : Petrograd fut sans doute, à la veille de la Grande Guerre, le foyer culturel le plus créatif d’Europe (voir Saint-Pétersbourg).

Mais cette brutale modernisation avait ébranlé le vieil ordre social, heurté les mentalités et aggravé les inégalités et les difficultés des classes les plus pauvres : la paysannerie, majoritaire (85 p. 100 des Russes vivaient à la campagne), libérée du servage depuis les réformes d’Alexandre II (1861), mais ne possédant pas les terres qu’elle travaillait, était toujours très misérable et peu instruite ; le prolétariat, surexploité par les besoins nouveaux des industries, était principalement concentré dans les villes (Petrograd, Moscou) et dans certaines régions fortement industrialisées comme celle de Bakou. Cependant, après l’effort de scolarisation entrepris dans les années 1880, une partie des ouvriers fut conquise par le marxisme et d’autres idéologies révolutionnaires ; depuis cette date en particulier, l’anarchisme progressait et de nombreux attentats scandaient la vie politique.

Toutes ces mutations économiques et tous ces changements radicaux ne s’accompagnèrent pas d’une évolution politique. Au contraire, ils se heurtèrent à l’immobilisme du pouvoir tsariste, aggravé depuis l’avènement de Nicolas II (1894), homme très attaché aux signes extérieurs de l’autocratie. Durant le XIXe siècle et au début du XXe, divers mouvements, organisés par des étudiants, des ouvriers, des paysans ou des membres de la noblesse, avaient tenté de renverser ce gouvernement oppressif ; parmi ces révoltes, les plus importantes furent celle de 1825 contre Nicolas Ier et surtout la révolution de 1905 : toutes deux avaient essayé d’instaurer une monarchie constitutionnelle (voir Russie).

2.2   De l'effondrement militaire à la révolution

La participation de la Russie à la Première Guerre mondiale fut le catalyseur du phénomène révolutionnaire. Au début du conflit, tous les partis, à l’exception d’un petit groupe de sociaux-démocrates, les bolcheviks, dirigés par Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine, étaient en faveur de la participation à la guerre. Le gouvernement reçut l’aide de comités de volontaires, qui comprenaient des représentants du monde des affaires et du monde ouvrier.

Mais contre une Allemagne puissante et fortement industrialisée, les structures économiques et industrielles de la Russie ne permirent au pays de soutenir un effort de guerre intense qu’au prix d’immenses sacrifices. Et bien que la main-d’œuvre russe fût quasi inépuisable, l’industrie se révéla incapable d’armer, d’équiper et d’approvisionner les quelque 15 millions d’hommes mobilisés. Les usines n’étaient ni assez nombreuses ni assez productives ; le réseau ferroviaire était nettement insuffisant. De plus, la mobilisation perturbait la production industrielle et agricole. Les vivres vinrent à manquer et le système de transport se désorganisa rapidement.

Les premières défaites sanctionnèrent ces lacunes (février 1915 : 100 000 prisonniers russes après la bataille des lacs de Mazurie). Dans les tranchées, dès 1915, les soldats avaient faim, ils manquaient bien souvent de chaussures ou de munitions quand ce n’était pas d’armes. Aussi, des mutineries éclatèrent dans l’armée. Les pertes russes furent plus importantes que celles subies par n’importe quelle armée au cours des précédentes guerres : 2 millions de tués, 4 millions de mutilés à la fin de 1916.

À l’arrière du front, les marchandises se faisaient rares et les prix augmentaient. Plus la guerre durait, plus la famine menaçait les grandes villes, provoquant des « émeutes de la faim «. Le mécontentement se répandit et le moral de l’armée, qui était déjà bien bas, fut complètement sapé par une nouvelle série de défaites pendant l’hiver 1915-1916. Beaucoup attribuèrent ces revers à la traîtrise apparente de l’impératrice Alexandra et de son cercle d’amis qui subissaient l’influence du moine paysan Grigori Iefimovitch Raspoutine.

Alors que la vague de mécontentement s’amplifiait, que l’économie russe, coupée du marché européen, se révélait de plus en plus incapable de fournir aux populations nourriture et biens de consommation, la douma, la Chambre basse du Parlement russe, dans laquelle les partis libéraux et progressistes étaient majoritaires depuis 1915, consciente du risque d’explosion révolutionnaire, mit en garde Nicolas II en novembre 1916 contre le désastre qui s’abattrait sur le pays si les traîtres n’étaient pas chassés de la cour et si une forme de gouvernement constitutionnel n’était pas mise en place. Mais le tsar ignora l’avertissement. En fait, en 1916, le pouvoir, trop centralisé, ne maîtrisait déjà plus la situation. Partout dans le pays, les gens s’organisaient en comités pour gérer ce qui pouvait l’être au niveau local. À la fin de décembre, un groupe d’aristocrates mené par le prince Félix Ioussoupov assassina Raspoutine dans l’espoir que le tsar changerait de politique. Mais celui-ci réagit au contraire en favorisant les disciples de Raspoutine. Parmi les grands de la cour, on se mit alors à parler de révolution de palais afin de prévenir le bouleversement plus important qui se préparait.

3   RÉVOLUTION DE FÉVRIER
3.1   Les Cinq Jours

La révolution de 1917 se développa à partir d’une importante vague de grèves qui secoua Petrograd pendant le mois de février. L’hiver avait été particulièrement rigoureux. L’institution des cartes de ravitaillement, la pénurie alimentaire, la lassitude face à la guerre furent les causes immédiates de cette réaction populaire spontanée. Le 23 février, des rassemblements et des manifestations eurent lieu pour réclamer du pain. Ces mouvements furent soutenus par les quelque 90 000 hommes et femmes qui étaient en grève dans les usines de la capitale depuis le 14. Les accrochages avec la police furent nombreux, mais les ouvriers refusèrent de se disperser et continuèrent à occuper les rues. La tension monta progressivement, mais on ne déplora aucune victime.

Le jour suivant, le 24 février, l’agitation grandit, touchant la moitié de la population ouvrière de Petrograd. Les slogans devinrent plus audacieux. « À bas la guerre ! «, « À bas l’autocratie ! «. Le 25 février, les grèves se généralisèrent dans la capitale. Pendant ces deux jours, de violents affrontements avec la police firent des victimes des deux côtés. La redoutable troupe des cosaques, venue renforcer la police, montrait peu d’enthousiasme à disperser les manifestations. Les ouvriers s’armèrent en pillant les postes de police.

Le 26 février, les troupes de la garnison de Petrograd furent appelées par le tsar pour mater la révolte. Quand les ouvriers et les soldats se retrouvèrent face à face dans les rues, les ouvriers essayèrent à plusieurs reprises de fraterniser avec les troupes. Mais celles-ci tirèrent sur ordre, tuant plusieurs personnes. Malgré cette tuerie, les ouvriers, qui tentaient de s’enfuir, n’abandonnèrent pas les rues. Dans la nuit du 26 au 27, les régiments qui avaient tiré sur la foule se mutinèrent et rejoignirent les insurgés, qui purent ainsi s’armer. Le tsar avait dissous la douma le 26 février. Les députés élurent un comité provisoire chargé d’agir à la place de la douma.

Le jour même, la révolution triompha. Les uns après les autres, les régiments de la garnison de Petrograd se rangèrent aux côtés du peuple. En vingt-quatre heures, la totalité de la garnison, à peu près 150 000 hommes, rejoignit la révolution. Les soldats et les ouvriers prirent alors ensemble le contrôle de la ville. La révolte fit 1 500 victimes. Les premières élections au soviet des ouvriers de Petrograd eurent lieu le 27 février dans plusieurs usines, sur le modèle du soviet de 1905, formé pendant la révolution de cette année-là, à la fin de la guerre russo-japonaise (1904-1905). Le gouvernement impérial fut rapidement dissous : le 2 mars, Nicolas II abdiquait au profit de son frère, Michel, lequel, le lendemain, renonça au trône. Le tsarisme était mort.

3.2   Un pouvoir mal partagé

Le pouvoir politique passa aux mains de deux nouvelles institutions, le soviet des ouvriers et des soldats de Petrograd, d’un côté, et le Gouvernement provisoire formé par le comité provisoire de la douma, de l’autre. Leur concurrence de plus en plus dure causa des tensions croissantes entre les différents acteurs de la révolution.

3.2.1   La soumission du soviet de Petrograd

Le soviet, composé d’ouvriers et de soldats élus dans les usines et les régiments, mit immédiatement sur pied une commission pour régler les problèmes d’approvisionnement en nourriture de la capitale. Il plaça des détachements de soldats révolutionnaires dans les bureaux du gouvernement et ordonna la libération de milliers de prisonniers politiques. Le 1er mars, il ordonna l’arrestation des ministres de Nicolas II et commença la publication d’un organe officiel, Izvestia (« Information «).

Le 2 mars, il émit son célèbre ordre (prikaz) n° 1 : les soldats et les marins devaient désormais se soumettre à l’autorité du soviet et de ses comités pour toute question politique. Ils devaient obéir exclusivement aux ordres qui n’entraient pas en conflit avec les directives du soviet et devaient élire des comités qui auraient le contrôle exclusif de l’armement. En service, ils devaient observer une discipline militaire stricte, mais les officiers n’avaient pas le droit d’adopter une attitude dure et méprisante ; les conflits entre les comités de soldats et les officiers devaient être présentés au soviet qui prendrait les dispositions nécessaires. Hors service, les soldats et les marins jouissaient de tous les droits civils et politiques ; le salut aux officiers fut aboli.

Mais, dès le 6 mars, le Gouvernement provisoire rappela aux soldats qu’ils devaient obéir aux officiers. L’ordre n° 1 fut officiellement annulé : cet exemple démontrait l’existence d’un double pouvoir qui, déjà, avait du mal à s’accorder.

La majorité des membres du soviet était composée de mencheviks et de sociaux-révolutionnaires. Les mencheviks envisageaient une période de développement capitaliste et une démocratie politique complète comme condition préalable à l’établissement d’un ordre socialiste. Dans l’ensemble, ils étaient favorables à la poursuite de la guerre, tout comme la plupart des dirigeants sociaux-révolutionnaires, dont le parti aux aspirations socialistes issu de la paysannerie.

Sous la direction de cette majorité modérée, le soviet de Petrograd reconnut le Gouvernement provisoire comme l’autorité légale de Russie. La plupart de ses membres, persuadés que la Russie révolutionnaire devait faire une guerre de défense contre l’Allemagne impérialiste, ne voulaient pas compromettre l’effort de guerre. Les partis de la classe ouvrière, comme tous les autres partis, avaient été surpris par la rapidité de l’effondrement total du régime et par la révolution. Ils étaient par conséquent dans l’impossibilité d’offrir aux ouvriers et aux soldats du soviet une direction politique forte.

Même les membres du parti bolchevique, une branche radicale du parti ouvrier social-démocrate russe, qui, dans un sens, se préparaient à la révolution depuis le début des années 1900, n’avaient pas pris conscience de son imminence et n’avaient fait aucun plan pour tirer profit de la situation. Les bolcheviks ne représentaient d’ailleurs à ce moment qu’une minorité au soviet de Petrograd.

3.2.2   L’affirmation impossible du Gouvernement provisoire

Le 28 février, le comité provisoire de la douma annonça qu’il prenait en charge le retour à l’ordre et, le 1er mars, il plaça ses commissaires (représentants) à la tête des ministères.

Le 2 mars, il forma un gouvernement provisoire présidé par le prince Gheorghi Ievghenievitch Lvov, avec des députés de la douma et un élu du soviet, le dirigeant socialiste Aleksandr Fedorovitch Kerenski. À part lui, le Gouvernement provisoire était composé des mêmes dirigeants libéraux qui formaient le bloc progressiste de la douma en 1915. Le Premier ministre, le prince Lvov, était un riche propriétaire terrien, membre du parti démocrate constitutionnel (les KD ou cadets), qui préconisait l’établissement immédiat d’une monarchie constitutionnelle puis d’une république.

Mais le prince Lvov n’était qu’un prête-nom ; le personnage le plus important du Gouvernement provisoire jusqu’en mai fut Pavel Milioukov, le ministre des Affaires étrangères et le dirigeant principal du parti des cadets depuis sa création en 1905. Il fut le principal responsable de la politique du gouvernement qui voulait une Russie capitaliste et libérale. Kerenski, ministre de la Justice, qui avait animé le groupe des troudoviks (« travaillistes «) à la douma, fut le seul représentant des socialistes modérés au Gouvernement provisoire.

Après le succès de Petrograd, la révolution s’étendit à tout le pays selon les mêmes modalités que dans la capitale : deux systèmes parallèles de gouvernement furent créés, les soviets fonctionnant aux côtés des autorités qui étaient en relation avec le Gouvernement provisoire. Les soviets, plus efficaces, se multiplièrent et gérèrent les affaires locales, devenant ainsi des centres de discussion.

Reconnu par le soviet de Petrograd et par le commandement de l’armée et de la marine, le Gouvernement provisoire jouit d’abord d’une grande popularité. Il dispersa la police tsariste, restaura la liberté d’opinion, de presse et d’association, et abolit les lois de discrimination ethnique et religieuse. Il reconnut aussi à la Pologne le droit d’être un État libre et indépendant. Cependant, il n’avait aucune autorité véritable. La douma, qui était pourtant à l’origine de ce gouvernement, ne lui fut d’aucun soutien, car elle n’était pas réellement représentative du peuple. Incapable de diriger le pays, le gouvernement ne put contenter un peuple impatient et las de la guerre. La situation fut ainsi succinctement résumée par le ministre de la Guerre, Aleksandr Gouchkov : « Le gouvernement, hélas, n’a aucun pouvoir réel ; les troupes, les chemins de fer, la poste et le télégraphe sont tous aux mains du soviet de Petrograd. Le fait est que le Gouvernement provisoire existe seulement parce que le soviet le lui permet. «

Le Gouvernement déclara qu’en raison de sa nature provisoire il lui était impossible d’aborder les problèmes sociaux cruciaux et d’opérer des réformes fondamentales telles que la confiscation des terres et leur redistribution aux paysans. Tous les changements furent donc repoussés jusqu’à la création d’une Assemblée constituante qui serait chargée des discussions. Mais l’élection d’une telle assemblée fut remise à plus tard en raison de l’occupation d’une grande partie du territoire par l’ennemi. En réalité, les libéraux du Gouvernement provisoire réalisèrent que les socialistes seraient majoritaires au sein d’une Assemblée constituante et qu’eux-mêmes perdraient donc le pouvoir. Le seul espoir qu’ils avaient de le conserver était d’attendre une victoire des Alliés dans la guerre.

4   GOUVERNEMENT PROVISOIRE

Les mois qui suivirent furent marqués par l’antagonisme croissant entre le Gouvernement provisoire et le soviet. Cette opposition finit par dégénérer en conflit ouvert, causé par l’évolution politique des soviets qui soutenaient à l’origine l’idée d’une démocratie parlementaire, mais qui devinrent finalement les instruments du socialisme révolutionnaire.

On peut dégager deux raisons principales à ce conflit. La première est la volonté du gouvernement de repousser à plus tard la résolution de problèmes pressants tels que la désorganisation économique, la crise alimentaire, la redistribution des terres aux paysans et l’émergence de forces contre-révolutionnaires ; plutôt que de les résoudre, le gouvernement déploya toute son énergie pour poursuivre une guerre dont le peuple ne voulait plus. La seconde raison, qui découle logiquement de la première, est que les ouvriers et les paysans avaient acquis la conviction que seuls les soviets étaient capables de résoudre les problèmes russes. Cette conviction fut d’ailleurs alimentée par la propagande bolchevique à partir de l’arrivée de Lénine à Petrograd au début d’avril.

4.1   Les thèses d'avril de Lénine et la chute de Milioukov

La rupture entre le Gouvernement provisoire et le soviet de Petrograd s’opéra sur la question des objectifs et de la poursuite de la guerre. Le 27 mars, le Gouvernement provisoire s’engagea à poursuivre la guerre jusqu’à la victoire et à « respecter fermement les accords passés avec ses alliés ! «. Milioukov avait préalablement informé le Gouvernement provisoire que ces accords comprenaient des traités secrets qui prévoyaient l’acquisition par la Russie de Constantinople (aujourd’hui Istanbul) et d’autres territoires. De son côté, le soviet de Petrograd se prononça pour une paix générale, renonça à toutes les demandes d’annexions et de réparations, et en appela « aux peuples du monde entier « pour forcer les gouvernements à négocier la paix. Il condamna l’engagement de Milioukov, et, bien que les deux parties eussent trouvé un vague compromis, le conflit ne fut pas résolu tant que le Gouvernement provisoire resta en place. À cette époque, le soviet lui-même n’avait pas réellement pris conscience de la volonté du peuple russe de mettre fin à la guerre.

Avant le retour d’exil de Lénine, la politique bolchevique fut formulée par des dirigeants tels que Kamenev et Joseph Staline, revenus de déportation le 12 mars, qui favorisaient le soutien conditionnel au Gouvernement provisoire et étaient sur le point de former une alliance politique avec les mencheviks et les sociaux-révolutionnaires. À la conférence des travailleurs du Parti bolchevique de Russie, qui se tint le 30 mars à Petrograd, on fit taire le seul intervenant qui prônait la prise de pouvoir par les bolcheviks et l’établissement de la dictature du prolétariat. La conférence étudia la question de l’union avec les mencheviks, qui était déjà en cours dans les provinces et qui résultait du programme politique modéré des dirigeants bolcheviques.

Lénine arriva à Petrograd au début d’avril pendant la conférence des travailleurs du Parti bolchevique de Russie. Lors de son premier discours, il reprit les fameuses « thèses d’avril « qu’il avait publiées dans la Pravda le 7 avril : hostilité à la guerre, confiscation et partage des terres. Lénine prôna le « passage immédiat à une république des soviets «, c’est-à-dire une rupture avec les autres partis et le boycottage du Gouvernement provisoire. Il fut donc le premier à croire que la révolution prolétarienne pouvait se passer d’une période de transition parlementaire, qui nécessiterait une alliance avec la bourgeoisie constitutionnelle. Il déclara en même temps que les bolcheviks, alors minoritaires, devaient s’efforcer non pas de s’emparer immédiatement du pouvoir, mais de faire une propagande patiente afin de convaincre une majorité d’ouvriers du bien-fondé de leur politique.

Dans un premier temps, Lénine dut faire face à l’opposition de tous les dirigeants, en particulier Kamenev et Staline, mais il parvint à les rallier à ses idées. À partir de ce moment, la politique bolchevique poursuivit ses objectifs : la prise totale du pouvoir par les soviets, l’arrêt immédiat de la guerre, la planification et l’organisation de la confiscation des terres par les paysans, le contrôle de la production industrielle par les ouvriers. Les thèmes de la propagande bolchevique se retrouvaient dans des slogans tels que « La paix, la terre, le pain « et « Le pouvoir aux soviets «. Léon Trotski, révolutionnaire exilé aux États-Unis, revint à Petrograd dans le courant du mois de mai, adhéra à la politique de Lénine et rejoignit le parti bolchevique.

Plusieurs événements servirent la cause bolchevique. Le 18 avril, Milioukov envoya une note aux gouvernements alliés dans laquelle il promettait que la Russie continuerait la guerre « jusqu’à la victoire finale «. Dans des termes ambigus, il fit part de son soutien à la politique du Gouvernement provisoire qui prévoyait l’annexion de territoires étrangers et le paiement d’indemnités par les vaincus. Cette note, dont le contenu s’opposait à celui de la déclaration « aux peuples du monde entier « qu’avait faite le soviet de Petrograd le 15 mars et qui appelait à une paix sans annexions et sans indemnités, provoqua des manifestations de protestation armées organisées par les ouvriers et les soldats de la capitale les 20 et 21 avril.

Contrairement aux propositions du général Lavr Gueorguievtich Kornilov qui voulait mettre fin aux manifestations par la force, le soviet de Petrograd, seul responsable du commandement de la garnison de la capitale, ordonna à toutes les troupes de rester dans leurs baraquements. Désavoués, Milioukov et Goutchkov démissionnèrent, provoquant ainsi, le 5 mai, le remaniement du gouvernement dans lequel des représentants des partis socialistes reçurent six des quinze portefeuilles ; Kerenski devint ministre de la Guerre et de la Marine.

4.2   La rupture avec les bolcheviks
4.2.1   Le soviet encore hésitant

L’échec de Kornilov stimula le recrutement du Parti bolchevique, mais il était encore minoritaire au Ier Congrès panrusse des soviets qui s’ouvrit à Petrograd le 3 juin. Ce congrès fut dominé par les mencheviks et les sociaux-révolutionnaires.

À l’époque, le gouvernement de coalition dominé par Kerenski était déjà entré en fonction, en pleine crise économique et sociale. Les villes n’avaient pas pu être approvisionnées en blé, ce qui renforçait le danger de famine. Les prix augmentaient en même temps que les privations. Dans l’industrie, le pouvoir grandissant des ouvriers provoqua le défaitisme économique des patrons et la fermeture ou le lock-out des usines par les employeurs. À la campagne, les comités de village commençaient l’occupation des terres, provoquant la colère des propriétaires. Des revendications nationales, notamment en Ukraine, se faisaient jour.

Le Congrès des soviets, dans une atmosphère lourde, discuta de la remise des pouvoirs aux soviets, résolution soutenue par Lénine, mais qui n’obtint pas la majorité. Le Congrès vota au contraire une résolution qui approuvait l’action du gouvernement. Il se déclara partisan du monopole d’État sur le pain et les marchandises de première nécessité.

4.2.2   L’offensive Kerenski et la tragédie de Kronstadt

Face à cette situation, les groupes les plus conservateurs de la douma demandèrent au gouvernement d’adopter une politique vigoureuse et de mettre fin à la révolution. Pourtant, comme son prédécesseur, le nouveau gouvernement donna la priorité à la poursuite de la guerre. Le 18 juin, Kerenski décida de lancer une offensive qui se termina par une défaite complète et par la désorganisation totale de l’armée — ce qui renforça la crédibilité de la propagande bolchevique. La discipline se détériora, des millions de soldats quittèrent le front pour échapper au combat et participer à la redistribution des terres.

Une gigantesque manifestation de soutien à la coalition gouvernementale, groupant 400 000 ouvriers à Petrograd, organisée par les mencheviks, encore majoritaires au Congrès des soviets, révéla de façon inattendue que l’influence des bolcheviks était très forte dans la classe ouvrière de la capitale. Les slogans qui revenaient le plus souvent étaient « À bas l’offensive « et toujours « Le pouvoir aux soviets «.

Les 3, 4 et 5 juillet, cette impatience croissante, peut-être renforcée par la démission des ministres cadets, causée par la question de l’autonomie ukrainienne qui risquait, selon eux, de rompre l’unité de l’État, s’exprima lors d’une manifestation armée impromptue qui réunit 500 000 ouvriers, soldats de la garnison de la ville et marins de la forteresse navale voisine de Kronstadt. Les manifestants dénoncèrent le gouvernement et convergèrent vers le palais de Tauride où se tenait le Congrès des soviets pour lui demander, en vain, d’assumer seul le pouvoir.

Le gouvernement, encore soutenu par la majorité du Congrès des soviets, fit appel à l’armée, qui dispersa brutalement les manifestants, causant 40 morts et 80 blessés. Le Comité exécutif des soviets approuva le rétablissement de l’ordre et, en accord avec le gouvernement, accusa les bolcheviks d’être à l’origine de ces troubles : les journaux bolcheviques furent interdits, plusieurs militants, dont Trotski, furent arrêtés, et Lénine, accusé de haute trahison, dut se réfugier en Finlande. Certains comités agricoles furent dissous par le gouvernement, la peine de mort rétablie dans les zones de conflit et la convocation de l’Assemblée constituante repoussée jusqu’en novembre. Le VIe Congrès du Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR) se tint clandestinement, en l’absence de nombreux dirigeants bolcheviques. De Finlande, Lénine réussit à faire adopter son point de vue ; la rupture avec les autres partis qui s’étaient rangés du côté de la contre-révolution était inévitable : toute évolution en douceur vers le socialisme était désormais impossible.

4.3   Le gouvernement Kerenski et le putsch de Kornilov

Le deuxième ministère de coalition fut formé le 24 juillet, incluant des socialistes antibolcheviques et des cadets. Kerenski était président du Conseil et ministre de la Guerre.

Comme ce gouvernement ne semblait vouloir prendre aucune mesure décisive pour enrayer la dégradation de la situation économique, l’agitation se poursuivit dans les villes et les campagnes, et l’influence des bolcheviks continua à grandir. Convaincus que le gouvernement ne pouvait régler la situation, des cadets et des membres du commandement général, menés par Kornilov, le général en chef des armées, décidèrent d’appeler les troupes loyales à Petrograd et d’instaurer une dictature militaire, après un coup d’État. Pendant un temps, Kerenski prit part à la conspiration, mais, quand il apprit que Kornilov exigeait un remaniement ministériel, ce qui signifiait pour lui la perte de son pouvoir, il demanda le soutien du soviet de Petrograd.

Alors que les forces de Kornilov avançaient vers la capitale le 27 août, le gouvernement, faible et indécis, ne prit aucune mesure concrète, laissant la défense de Petrograd aux milices d’ouvriers et de soldats. Avec l’approbation du Congrès des soviets, des organisations militaires s’établirent à travers la ville sous la houlette des bolcheviks, qui firent preuve de hardiesse et d’esprit d’initiative. Les ouvriers des chemins de fer refusèrent de transporter les troupes de Kornilov. Alors que celles-ci avançaient à pied, elles virent venir des ouvriers et des soldats qui étaient partis à leur rencontre pour fraterniser avec elles. L’armée se désagrégea ainsi avant même d’atteindre la capitale, et Kornilov lui-même fut arrêté le 1er septembre.

Ces événements laissèrent les ouvriers de Petrograd armés et organisés et, pour la première fois, les bolcheviks devinrent majoritaires au soviet de Petrograd.

Après la défaite de Kornilov et l’effondrement du putsch, le Gouvernement provisoire n’eut pratiquement plus aucun pouvoir. Parallèlement, le parti bolchevique conquit rapidement une forte audience dans la majorité des soviets. Kerenski, sentant le danger, convoqua une conférence démocratique qui décida la création d’un pré-Parlement, assumant la transition jusqu’à la réunion d’une Assemblée constituante. Un troisième gouvernement de coalition, mis en place le 25 septembre, avec Kerenski à sa tête, ne dura qu’un mois.

5   RÉVOLUTION D'OCTOBRE
5.1   Le putsch bolchevique d'octobre

Désireux d’accélérer le processus révolutionnaire, peu confiant en l’évolution du nouveau gouvernement, Lénine, rentré en Russie, fit pression sur le Comité central du Parti bolchevique dès la fin du mois de septembre pour que celui-ci organise une insurrection armée et prenne le pouvoir. Après avoir résisté, le Comité approuva la politique de Lénine le 10 octobre. L’organisation militaire du parti avait planifié l’insurrection de manière qu’elle coïncidât avec l’ouverture du IIe Congrès des soviets, qui serait ainsi mis devant le fait accompli.

Organisée et coordonnée par le Comité militaire révolutionnaire, sous la direction de Trotski, l’insurrection éclata dans la nuit du 24 au 25 octobre. Des ouvriers armés, des soldats et des marins prirent d’assaut le palais d’Hiver, siège du Gouvernement provisoire. Bien que la prise de pouvoir eût impliqué des milliers d’hommes et de femmes, de nouveau en proie aux difficultés d’approvisionnement et à la hausse des prix, le sang coula très peu. Dans l’après-midi du 25 octobre, Trotski annonça la dissolution du Gouvernement provisoire. Plusieurs ministres furent arrêtés en fin de journée ; Kerenski s’échappa et partit en exil.

Le 25 octobre, le IIe Congrès des soviets, dans lequel les bolcheviks étaient majoritaires (343 sur 675 délégués), approuva l’insurrection et décida d’assumer le pouvoir. Lénine fit sa première apparition le 26 octobre ; il fut accueilli par une immense ovation, et sa première déclaration donna le ton des futures délibérations du Congrès : « Nous allons maintenant procéder à la construction de l’ordre socialiste. «

5.2   Les premières mesures
5.2.1   Le soviet des commissaires du peuple

Le Congrès des soviets créa une structure gouvernementale qui fonctionnait sous son contrôle. L’exécution des décisions du Congrès fut confiée au soviet des commissaires du peuple, qui était sous l’autorité du Congrès des soviets, et à son comité exécutif central. Chaque commissaire du peuple présidait un commissariat (commission) qui s’apparentait aux ministères des autres gouvernements. Lénine fut élu à la tête du Conseil des commissaires du peuple. Parmi les autres dirigeants bolcheviques élus à ce conseil, on retrouvait Trotski et Staline.

Le Congrès des soviets fut ajourné après la formation du nouveau gouvernement. Le pouvoir s’attaqua alors aux problèmes cruciaux : la paix, la terre aux paysans, le droit des nationalités à l’autodétermination. Il adopta à l’unanimité un manifeste adressé « à tous les peuples en guerre et à leur gouvernement pour la négociation immédiate d’une paix juste et démocratique «. Le manifeste proposait un armistice immédiat pour une durée minimale de trois mois.

5.2.2   L’application des Thèses d’avril

Les décisions concernant la question des terres furent prises sous forme de décrets : « Le droit à la propriété privée des terres est à jamais aboli ; le droit de propriété des propriétaires fonciers est annulé immédiatement, sans indemnités d’aucune sorte. « Toutes les terres, les avoirs fonciers des monastères et des églises devinrent la propriété de l’État et furent placés sous la protection de comités locaux et de soviets de paysans. Les avoirs fonciers des paysans pauvres et des hommes de troupe cosaques échappèrent à la confiscation. L’emploi d’ouvriers agricoles fut interdit, mais le droit de chaque citoyen à cultiver la terre par son propre travail fut confirmé. Le Congrès des soviets établit le principe selon lequel « l’utilisation de la terre doit être égalisée, c’est-à-dire que la terre doit être partagée entre les paysans selon les conditions locales et sur la base de standards de main-d’œuvre et de consommation «. Ces principes ayant déjà été mis en œuvre sur le terrain par les bolcheviques, les décrets ratifièrent plus un fait accompli qu’ils n’apportèrent de changements. Le Congrès nationalisa toutes les banques et confia le contrôle de la production aux ouvriers. L’industrie fut nationalisée graduellement.

Les décisions du Congrès des soviets sur la paix et la terre apportèrent un soutien populaire important au nouveau gouvernement et jouèrent un rôle décisif dans les victoires que remportèrent les bolcheviks dans les villes et les provinces. Le 3 novembre, le soviet des commissaires du peuple proclama le droit des peuples à l’autodétermination, ce qui incluait le risque de la séparation volontaire des nationalités rattachées par la force à l’Empire tsariste d’avec la Russie. Néanmoins, le Congrès fit bien comprendre qu’il espérait que les « masses laborieuses « des différentes nationalités décideraient de rester avec la Russie.

Enfin, dès le 13 novembre, les bolcheviks demandèrent l’armistice qui aboutit, le 7 décembre, à l’ouverture de négociations de paix à Brest-Litovsk.

L’Assemblée constituante librement élue qui se réunit à Petrograd le 5 janvier 1918 et dans laquelle les bolcheviks étaient minoritaires fut dissoute par la force par le nouveau gouvernement, dans l’indifférence populaire. Le « communisme de guerre « se fondait donc sur le refus d’une autre légitimité que celle des soviets.

5.3   La guerre civile : la paix gagnée

Sous le contrôle des bolcheviks, et après une offensive allemande foudroyante en février 1918, le nouveau gouvernement mit fin à la participation de la Russie à la Première Guerre mondiale en signant le traité de Brest-Litovsk le 3 mars 1918. Selon les termes du traité, les bolcheviks abandonnaient les Pays baltes, la Finlande, la Pologne, une partie de la Biélorussie, reconnaissaient l’indépendance de l’Ukraine, restituaient Batoumi, Ardahan et Kars à la Turquie et devaient verser des indemnités de guerre. Il s’agissait pour Lénine de « perdre de l’espace pour gagner du temps «.

En effet, dès le mois de novembre, la guerre civile avait été déclenchée par Kalédine dans le sud de la Russie. Les pertes provoquèrent une forte indignation, et l’opposition au Parti bolchevique (qui était devenu le Parti communiste russe) s’accrut. La guerre civile dura de 1918 à la fin de 1920.

Le gouvernement de Lénine, opérant depuis Moscou, la nouvelle capitale, mit en place une politique de répression contre toute forme d’opposition ; les communistes russes installèrent la « terreur rouge «. La Tchéka, la police politique, fut créée en novembre 1917 et les tribunaux spéciaux en janvier 1918. Toutes les personnes suspectées d’anticommunisme, les « blancs «, furent arrêtées, jugées et exécutées. Bien que les paysans fussent devenus hostiles aux communistes, ils les soutinrent, craignant qu’une victoire des Russes blancs ne ramène la monarchie. Mal organisés et peu soutenus, les blancs furent vaincus par l’Armée rouge en 1920. Durant toute cette période, les bolcheviks crurent que la révolution russe n’était que la première phase de la révolution mondiale. Au printemps 1919, ils créèrent la IIIe Internationale qui appela à la révolution socialiste.

Lénine et le Parti communiste russe maintinrent le pays sous contrôle. Les grèves ouvrières, contre la misère et la dictature bolchevique, les émeutes paysannes, contre les réquisitions et la famine, et la révolte des marins (insurrection de Kronstadt, mars 1921) furent rapidement écrasées. L’attente de la révolution mondiale se révélait vaine, aussi une réforme s’imposait, pour pacifier le pays et briser l’isolement du Parti communiste : en 1921, Lénine établit la Nouvelle Politique Économique (NEP) pour relever le pays, ruiné par sept années de tourmente et de déclin économique. Le 30 décembre 1922, l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) fut officiellement formée quand les différentes nationalités de l’ancien Empire russe rejoignirent la République socialiste soviétique fédérative de Russie.

La Révolution de 1917, d’abord russe et populaire, ensuite bolchevique et politique, inaugura une expérience qui fascina tout le XXe siècle et essaima dans le monde entier. Créatrice de répulsions quasi pathologiques et d’admirations fanatiques, source d’une dictature sanglante et d’un espoir démesuré, elle demeure aujourd’hui que semble achevée l’expérience soviétique l’objet de débats historiques et politiques dont la virulence est à la hauteur des enjeux que cet événement sut mobiliser.

Voir aussi Communisme ; Socialisme.

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