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Sans avoir abouti, le sommet de Camp David a levé de nombreux tabous

Publié le 17/01/2022

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25 juillet 2000 Lorsque le président Bill Clinton était revenu, dimanche 23 juillet, du Japon, où il avait participé au sommet du G 8, les participants à celui de Camp David laissaient entendre qu'il ne leur faudrait désormais guère plus de trois jours avant de savoir s'ils allaient vers le succès ou vers l'échec. Moins de quarante-huit heures auront suffi pour qu'ils se fassent une opinion : mardi 25 juillet, un peu avant 11 heures (17 heures à Paris), un bref communiqué du porte-parole de la Maison Blanche a indiqué que le sommet se terminait sur un échec. "Le président [Clinton] a estimé que les deux parties n'étaient pour l'instant pas en mesure de conclure un accord", a annoncé Joe Lockhart, en confirmant que Bill Clinton venait de quitter Camp David pour la Maison Blanche, d'où il ferait bientôt une déclaration. Quelques instants plus tard, on apprenait que les délégations palestinienne et israélienne faisaient leurs bagages, sérieusement cette fois. Ce revers n'a en vérité pris personne par surprise. Depuis le 11 juillet, date de l'ouverture du sommet de Camp David, chacun s'était habitué au régime de la douche écossaise, auquel le soumettaient les rumeurs les plus contradictoires. En deux semaines de négociations, le succès "certain" a souvent fait place à l'échec "définitif". Et pourtant, malgré tout, les négociations continuaient. Lundi 24 paraissait devoir se passer sans histoires. Comme les jours précédents, des manifestants avaient calmement déployé leurs banderoles devant le centre de presse de Thurmont. Cette fois, il s'agissait d'une douzaine de pieux rabbins de Neturei Karta, secte juive ultra-orthodoxe et antisioniste qui, en yiddish et en anglais, estimaient que, conformément aux textes sacrés, "le royaume d'Israël" ne peut être que le résultat de l'intervention divine, et non le produit d'une volonté politique. Drapeau palestinien au vent, ils venaient de New York pour dire que la paix serait impossible, "aussi longtemps qu'existe l'Etat Israël". En fin d'après-midi, des rumeurs "autorisées" - en fait, des sources israéliennes qui régulièrement et partiellement informaient les journalistes de leur pays - affirmaient que les négociateurs avaient entrepris de rédiger le brouillon de plusieurs chapitres de l'accord final. Grâce à d'autres canaux, on apprenait que les délégués allaient s'atteler ce même soir à la rédaction du chapitre concernant Jérusalem, permettant de mettre sur le papier ce qui faisait problème et ce qui ne le faisait pas. Bill Clinton, qui devait se rendre dans l'Arkansas pour assister aux obsèques d'un ami, tirerait à son retour, mardi soir, la conclusion de ce travail. On saurait alors s'il fallait ou non crier victoire. Les plus optimistes évoquaient même une cérémonie de signature sur la pelouse de la Maison Blanche, dès le jeudi suivant. Ce scénario bien réglé n'a guère duré. Vers minuit, lundi, de brèves confidences faisaient état des "graves difficultés", que tentaient de résoudre dans une réunion d'urgence l'Israélien Shlomo Ben Ami et le Palestinien Saëb Erekat. A 3 heures du matin, mardi, tout était consommé et le président Arafat faisait parvenir une lettre au président Clinton pour l'informer que, faute de flexibilité israélienne, il ne voyait pas la nécessité de prolonger l'épreuve. C'est un Bill Clinton visiblement déçu qui a tiré, mardi à midi, au cours d'un point de presse à la Maison Blanche, les premières conclusions des événements. Il ne faut pas perdre espoir, a commenté en substance le président américain, car Ehoud Barak, "qui a montré son courage et sa compréhension de l'importance historique du moment", et Yasser Arafat, "qui a clairement manifesté, lui aussi, qu'il demeurait engagé sur le chemin de la paix", se sont promis d' "éviter la violence et toute action unilatérale qui rendrait la recherche de la paix encore plus difficile". En abordant à plusieurs reprises la question des "actions unilatérales", Bill Clinton a clairement indiqué où était désormais son souci : celui d'un néfaste engrenage qu'aucune partie ne serait en mesure de contrôler. Apparemment, le propos vise en priorité M. Arafat qui, avant le sommet, a promis qu'en tout état de cause il proclamerait l'Etat palestinien, au plus tard le 13 septembre. Avant tout dérapage, un haut responsable américain se rendra bientôt au Proche-Orient et tentera de redéfinir les conditions d'un nouveau sommet. "Mais pour cela, a encore ajouté M. Clinton, chacun doit être prêt à affronter et résoudre de délicates questions touchant son histoire, son identité et sa foi." Les deux parties, qui insistaient pour dire qu'elles se séparaient en bons termes, ont toutes deux laissé entendre qu'elles étaient disposées à négocier à nouveau. Le ministre palestinien Saeb Erekat a même affirmé, au cours d'une conférence de presse, qu'en dépit des divergences qui s'y étaient exprimées, "le sommet de Camp David avait jeté les bases permettant de parvenir à un accord de paix global entre Israéliens et Palestiniens ". "Nous avons laissé quelque chose sur quoi nous pourrons revenir et, dans les prochaines semaines, nous verrons des discussions intensives entre les parties dans la région", a-t-il prédit. PIERRE D'ACHOPPEMENT Sans vouloir entrer dans les détails, M. Clinton a confirmé que la question de Jérusalem avait été la principale pierre d'achoppement. "Nous avons tenté de régler cela de différentes façons, mais nous n'y sommes pas parvenus", a expliqué le président, qui a cependant tenu à souligner qu' "il n'y avait pas beaucoup de divergences entre les uns et les autres sur ce que serait la situation sur le terrain une fois l'accord conclu". Autrement dit : hormis le mot "souveraineté" qu'ils ont refusé de concéder à Yasser Arafat, les Israéliens avaient accepté que Jérusalem-Est soit d'une façon ou d'une autre gouvernée par l'Autorité palestinienne. En disant cela, M. Clinton a implicitement rendu Yasser Arafat responsable de l'échec, estimant "que, compte tenu d'où il venait, le premier ministre [israélien] avait fait plus de chemin que le président Arafat, particulièrement sur les questions concernant Jérusalem". La remarque, que M. Clinton a ensuite tenté de minimiser, devrait sonner désagréablement à l'oreille du président palestinien, qui avait réussi à faire de sa relation à l'Amérique un point fort de sa politique. Certes, M. Arafat peut s'attendre à un accueil chaleureux en Palestine et dans le monde arabe, revigoré par sa résistance aux revendications israéliennes. Mais le commentaire de M. Clinton traduit une sensibilité autre, que le Congrès pourrait matérialiser en rendant plus chiche le soutien financier et plus délicat le soutien politique américain aux Palestiniens. Yasser Arafat en sera inévitablement gêné s'il maintient son intention de proclamer unilatéralement l'Etat palestinien. M. Barak ne rentre pas au pays dans les meilleures conditions. Lui aussi, comme il l'a déclaré au cours d'une conférence de presse, se prévaut de n'avoir pas cédé "sur notre sécurité, notre Ville sainte et l'unité de la nation", cette dernière remarque visant les sondages commandés par le gouvernement, qui indiquent que les Israéliens ne sont pas majoritairement disposés à partager leur souveraineté sur Jérusalem. Mais la maison, laissée en désordre, n'est pas aujourd'hui mieux rangée. Sans majorité parlementaire, et à la merci d'un vote qui pourrait le contraindre à des élections rapides, il va lui falloir finement manoeuvrer pour survivre. L'issue est si incertaine que, si un nouveau sommet devait être convoqué dans les prochaines semaines ou les prochains mois, personne ne sait si M. Barak sera encore premier ministre pour y assister. GEORGES MARION Le Monde du 27 juillet 2000

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