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Sharon, Populaire dans un pays désorienté

Publié le 17/01/2022

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2 avril 2002 IL navigue toujours très haut dans les sondages. Ariel Sharon, « euphorique » depuis que ses relations avec Washington sont au beau fixe, rencontre le président Bush pour la quatrième fois en un an, alors qu'Arafat est un quasi-paria pour la Maison Blanche. Pourtant, les conseillers en communication du premier ministre israélien manifestent des signes de nervosité. Ainsi « Arik », dans les deux grands sondages mensuels, a connu en janvier une chute de, respectivement, 6 et 9 points. Pas de quoi s'affoler, sa position dominante reste indiscutable, et ses adversaires-partenaires travaillistes stagnent. Mais lui-même, selon Maariv, passe, pour la première fois, sous les 50 % d'indice de satisfaction. Surtout, les services de Sharon constatent l'émergence problématique de deux phénomènes sociaux : une morosité générale, qui confine à l'exaspération, surtout dans les couches les plus dynamiques du pays, et la récession économique qui s'installe. Pendant un an, explique la sociologue Mina Tsémakh, de l'Institut Dahaf, Sharon a « su bénéficier d'une conjoncture exceptionnelle ». Elle cite, dans l'ordre : - la capacité à former un gouvernement d'union nationale, qui lui assure la neutralité de la gauche et empêche toute réelle contestation dans la rue de sa politique vis-à-vis des Palestiniens ; - la pression exercée sur sa droite par Benyamin Nétanyahou, qui conteste sa « mollesse » face aux Palestiniens et lui permet de se repositionner plus au centre et de jouir du soutien d'une gauche qui le préfère de loin à son concurrent du Likoud ; - enfin, évidemment, « le soutien américain, essentiel ». Elle pourrait ajouter : un soutien qui, depuis ce qu'Ephraïm Halevy, le chef du Mossad (services secrets extérieurs), a appelé « le miracle de Hannoukah du 11 septembre », tend à se transformer en collaboration sans faille. Le 4 février, un nombre très important d'Israéliens ayant suivi le Superbowl, la finale du championnat de football américain, un présentateur de télévision lançait : « Nous sommes le 51e Etat américain » - résumant un sentiment partagé par beaucoup. Chroniqueur politique du Ha'Aretz, Akiva Eldar, très critique à l'égard du premier ministre, propose une explication supplémentaire : « La population juive se divise politiquement en trois tiers : le premier est nationaliste, organisé autour du noyau dur du Likoud, du Bloc de la foi religieux, et inclut une majorité d'immigrants russes récents, très racistes ; le second est traditionaliste, globalement séfarade et tend vers la droite, il est revendicatif mais moins politisé ; le dernier tiers, à gauche, a été laminé par Ehoud Barak et Shlomo Ben Ami, qui l'ont persuadé de la thèse officielle incohérente de la «générosité israélienne à Camp David», ouvrant à Sharon un boulevard. » Ce boulevard, aujourd'hui, tend à se rétrécir. D'abord la situation politique, malgré le soutien de Washington, apparaît incertaine. Sharon sait-il où il va ?, se demande-t-on. Au début de l'Intifada, Ehoud Barak, en ordonnant une répression comme les Palestiniens n'en avaient jamais connue, a fait croire que l'affaire serait rapidement réglée. L'actuel premier ministre, lui, a toujours dit : « Ce sera long. » Mais la répétition des attentats, après chaque « liquidation ciblée » de Palestiniens, quoi qu'en disent les gouvernants, mine la population. Scène dans un café de Jérusalem, le 27 janvier. Une Palestinienne s'est fait exploser dans une grande artère. Sur l'écran de télévision, le présentateur égrène la macabre litanie des victimes. Dix blessés, puis trente, puis un mort et cinquante blessés. Sur l'écran, l'« expert en terrorisme », Ron Ben Ychaï, explique que « Tsahal déjoue beaucoup d'attentats », mais qu'il « ne peut pas tous les empêcher ». La plupart des consommateurs, sans regarder l'écran, poursuivent leurs conversations. « De toute façon, dit un attablé, maintenant, ça sera comme ça tout le temps. » Le 7 janvier, un sondage Dahaf montrait l'évolution des perceptions dans la population. A la question « Etes-vous favorable à la politique de liquidations physiques [de Palestiniens] ? », 74 % des sondés répondaient « oui ». A la question « Comment influent ces liquidations physiques sur le terrorisme ? », les réponses se répartissaient ainsi : pour 45 % des gens, « elles l'augmentent », pour 22 %, « elles le font reculer », et pour 31 %, elles sont « sans rapport » avec son intensité. Comme si l'on s'habituait à la fatalité d'une horreur inéluctable. Il faut bien « tuer les terroristes » puisque « nous sommes en guerre », mais on sait pertinemment que ces « liquidations » feront encore plus de victimes innocentes en Israël. Après sa rencontre avec trois dirigeants de l'OLP, le 31 janvier, Sharon confiait : « Ils sont, semble-t-il, dans une situation très difficile. » Commentaire de Shimon Shiffer, le journaliste le plus intime avec le premier ministre : « Sharon ne le dira pas publiquement, mais le vrai motif de cette rencontre est qu'Israël est, lui aussi, épuisé. » LE ministre de la défense, Benyamin Ben Eliezer (travailliste), a fait rire -amèrement - tout le pays, en déclarant, après un attentat, qu'Israël allait bien, qu'il rencontrait « beaucoup de gens joyeux ». Pour son bilan d'un an de pouvoir, Ariel Sharon a parlé différemment. Gros titre de son interview au Yédioth Aharonot (1er février) : « Dire que tout s'écroule, c'est exagéré. » Un premier ministre qui tient ces propos est sur la défensive. Il sait qu'à l'exaspération croissante devant l'incapacité de l'armée à faire taire le terrorisme s'ajoute maintenant la récession. Pas une semaine sans que ne soient annoncés des licenciements massifs. Après le high-tech, les industries manufacturières sont touchées, la fonction publique également. Des grèves ont éclaté le 3 février. Le même jour, les agriculteurs manifestaient devant ses bureaux. Leur leader expliquait que, pour eux, précisément, « tout s'écroule ». Pour ne rien arranger, le propre fils d'Ariel Sharon, Omri, soupçonné de « financement illégal » de sa campagne électorale, était entendu cinq heures par la police ! Mais la marge de manoeuvre d'Ariel Sharon reste considérable. « La gauche est très loin d'un retour au pouvoir », juge Mina Tsémah. Ensuite, explique-t-elle, « les deux contestations sont déconnectées, parce qu'issues de deux publics différents ». La première vient de ceux qui constatent qu'Ariel Sharon, contrairement à ses promesses, n'apporte ni la paix ni la sécurité. Elle s'exprime parmi les habitants des grandes villes, cibles du terrorisme, où l'on n'ose plus se rendre au centre commercial ni sortir le soir. La seconde est liée à la récession. Elle regroupe le « petit peuple » qui vit dans les « zones de développement » et les faubourgs déshérités, celui que décrit Daniel Ben Simon dans un ouvrage intitulé Le Sud du pays, une sale affaire. Il y montre comment les villes où s'entassent les immigrants pauvres originaires d'Afrique du Nord, de Roumanie, des Républiques asiatiques de l'ex-URSS, ont été laissées à l'abandon, au profit des colonies archisubventionnées dans les territoires palestiniens occupés. « Si les deux contestations se rejoignent, Sharon sera mal, mais on en est loin », assure Mina Tsémah. « Les difficultés actuelles laissent plus d'espace aux extrêmes, à gauche comme à droite », corrige Akiva Eldar. Les partisans du retrait des territoires occupés relèvent la tête, mais ceux de l'expulsion des Palestiniens hors du « Grand Israël » aussi. Si Sharon venait à être débordé, Eldar pense que les ultranationalistes en profiteraient, plutôt que la gauche. SYLVAIN CYPEL Le Monde du 11 février 2002

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