Tabac tabou
Publié le 14/09/2013
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Incroyable mais vrai Dans Le Monde du 8 mars, Journée internationale des femmes, la secrétaire d’Etat à la
santé et à l’action sociale a pu signer une tribune intitulée «La santé des femmes : vers la fin des tabous« sans
dire mot d’un problème sanitaire majeur, tant par sa gravité propre que par le déni persistant et consensuel
dont il fait l’objet : le tabagisme féminin.
Comment courageusement cibler les tabous qui entourent encore les souffrances physiques et sociales de la
femme, sans pointer celui, autrement opaque, qui occulte le mal tabagique - tabou certes d’autant plus coriace
qu’il protège un symbole et un effet direct de l’émancipation ?
Comment honnêtement envisager pour nos concitoyens «un avenir qui se caractérise par l’allongement de la
durée de la vie«, au moment même où s’amorce une réduction de l’écart de longévité entre les sexes, du fait de
l’alignement des femmes sur le risque tabagique masculin ? La situation revêt une urgence dramatique, d’une
part parce que la fumeuse est, à divers titres, plus exposée que le fumeur, d’autre part parce que, en trente
ans, le tabagisme est devenu un fait féminin massif.
La surexposition des femmes est à la fois constitutive et fonctionnelle. Le tabac, en inhibant l’effet protecteur de
certaines hormones, place l’organisme féminin en position de vulnérabilité généralisée, dont les pathologies
respiratoires et cardio-vasculaires ne sont que l’aspect le plus criant. Cette vulnérabilité se trouve accrue en
matière cardio-vasculaire, du fait de l’association tabac-oestroprogestatifs : cocktail biologiquement
meurtrier, mais hélas aussi, historiquement gagnant pour les générations qui ont cru conquérir la liberté
sous les espèces conjuguées de la cigarette et de la pilule C’est justement la première de ces générations,
venue au tabac et à la contraception chimique au tournant des années 1960-1970, qui aborde aujourd’hui la
tranche d’âge de tous les dangers.
Il faut lever le tabou du tabagisme féminin. Bien sûr, il n’est pas gratifiant d’interpeller des millions
d’électrices sur leur conduite de mort. Et puis, l’exemple du silence consentant ne vient-il pas du corps médical
lui même, tout à son souci d’éviter les sujets qui fâchent la clientèle et, selon la forte maxime du temps, de ne
pas la culpabiliser ? Pourtant ce tabou est lourd, bien plus lourd que celui qui a si longtemps pesé sur le
tabagisme des hommes et qui, lui, semble en passe d’être dissipé. C’est que la cigarette a été et reste le sceptre
symbolique de la femme dressée à la conquête de son autonomie physique et morale. Tout discours sur le mal
spécifique que le tabac fait aux femmes est scandaleux pour la conscience féministe et suscite chez elle une
immense réaction de déni.
Il faut faire ce sortilège, braver ce déni, au nom même des droits des femmes. Dans une société qui ose enfin la
parité, il serait vraiment abominable qu’on laisse celle-ci se réaliser dans l’accès égal - mais aggravant - des
femmes aux cancers du fumeur.
Elisabeth G. Sledziewski
Le Monde/Vendredi 24 mars 2000
Elisabeth G. Sledziewski est philosophe et maîtresse de conférences en science politique à l’université de
Rennes I.
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