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TEXTE: Correspondance, année 1647, A Monsieur CHANUT, 1er février 1647. DESCARTES

Publié le 22/02/2012

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descartes
La première n'est, ce me semble, autre chose sinon que, lorsque notre âme aperçoit quelque bien, soit présent, soit absent, qu'elle juge lui être convenable, elle se joint à lui de volonté, c'est-à-dire, elle se considère soi-même avec ce bien-là comme un tout dont il est une partie et elle l'autre. Ensuite de quoi, s'il est présent, c'est-à-dire, si elle le possède, ou qu'elle en soit possédée, ou enfin qu'elle soit jointe à lui non seulement par sa volonté, mais aussi réellement et de fait, en la façon qu'il lui convient d'être jointe, le mouvement de sa volonté, qui accompagne la connaissance qu'elle a que ce lui est un bien, est sa joie ; et s'il est absent, le mouvement de sa volonté qui accompagne la connaissance qu'elle a d'en être privée, est sa tristesse ; Et tous ces mouvements de la volonté auxquels consistent l'amour, la joie et la tristesse, et le désir, en tant que ce sont des pensées raisonnables, et non point des passions, se pourraient trouver en notre âme, encore qu'elle n'eût point de corps. Car, par exemple, si elle s'apercevait qu'il y a beaucoup de choses à connaître en la nature, qui sont fort belles, sa volonté se porterait infailliblement à aimer la connaissance de ces choses, c'est-à-dire, à la considérer comme lui appartenant. Et il n'y a rien en tous ces mouvements de sa volonté qui lui fût obscur, ni dont elle n'eût une très parfaite connaissance, pourvu qu'elle fît réflexion sur ses pensées. ainsi en l'amour on sent je ne sais quelle chaleur autour du c_ur, et une grande abondance de sang dans le poumon, qui fait qu'on ouvre même les bras comme pour embrasser quelque chose, et cela rend l'âme encline à joindre à soi de volonté l'objet qui se présente. et même il arrive quelquefois que ce sentiment d'amour se trouve en nous, sans que notre volonté se porte à rien aimer, à cause que nous ne rencontrons point d'objet que nous pensions en être digne. I1 peut arriver aussi, au contraire, que nous connaissions un bien qui mérite beaucoup, et que nous nous Joignions à lui de volonté, sans avoir pour cela aucune passion, à cause que le corps n'y est pas disposé. Je dis aussi que l'amour est venue après, à cause que, la matière de notre corps s'écoulant sans cesse, ainsi que l'eau d'une rivière, et étant besoin qu'il en revienne d'autre en sa place, il n'est guère vraisemblable que le corps ait été bien disposé, qu'il n'y ait eu aussi proche de lui quelque matière fort propre à lui servir d'aliment, et que l'âme, se joignant de volonté à cette nouvelle matière, a eu pour elle de l'amour ; la première est que les attributs de Dieu qu'on considère le plus ordinairement, sont si relevés au-dessus de nous, que nous ne concevons en aucune façon qu'ils nous puissent être convenables, ce qui est cause que nous ne nous joignons point à eux de volonté ; et se joignant entièrement à lui de volonté, il l'aime si parfaitement, qu'il ne désire plus rien au monde, sinon que la volonté de Dieu soit faite. Ce qui est cause qu'il ne craint plus ni la mort ni les douleurs, ni les disgrâces, parce qu'il sait que rien ne lui peut arriver, que ce que Dieu aura décrété et il aime tellement ce divin décret, il l'estime si juste et si nécessaire, il sait qu'il en doit si entièrement dépendre, que, même lorsqu'il en attend la mort ou quelqu'autre mal, si par impossible il pouvait le changer, il n en aurait pas la volonté. Mais, parce que les philosophes n'ont pas coutume de donner divers noms aux choses qui conviennent en une même définition, et que je ne sais point d'autre définition de l'amour, sinon qu'elle est une passion qui nous fait joindre de volonté à quelque objet, sans distinguer si cet objet est égal, ou plus grand, ou moindre que nous, il me semble que, pour parler leur langue, je dois dire qu'on peut aimer Dieu. en sorte que, si on s'est joint de volonté avec un objet qu'on estime moindre que soi, par exemple, si nous aimons une fleur, un oiseau, un bâtiment, ou chose semblable, la plus haute perfection où cette amour puisse atteindre, selon son vrai usage, ne peut faire que nous mettions notre vie en aucun hasard pour la conservation de ces choses, parce qu'elles ne sont pas des parties plus nobles du tout qu'elles composent avec nous, que nos ongles et nos cheveux sont de notre corps ; Tout de même, quand un particulier se joint de volonté à son prince, ou à son pays, si son amour est parfaite, il ne se doit estimer que comme une fort petite partie du tout qu'il compose avec eux, et ainsi ne craindre pas plus d'aller à une mort assurée pour leur service, qu'on craint de tirer un peu de sang de son bras, pour faire que le reste du corps se porte mieux. à cause qu'il y a plus de danger d'être joint à une chose qui est mauvaise, et d'être comme transformé en elle, qu'il n'y en a d'être séparé de volonté d'une qui est bonne.

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