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Tony Blair, la « perfection politique » d'un « gars bien ordinaire »

Publié le 17/01/2022

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7 juin 2001 Lorsque Chérie Booth annonça à son vieil acteur de père, il y a vingt-cinq ans, qu'elle ambitionnait d'épouser un jeune condisciple de la fac de droit, un certain Anthony Blair, le sang du vieux militant travailliste ne fit, paraît-il, qu'un tour : « Oh non, Chérie ! Pas un conservateur, tout de même... » Le vieux Tony ne savait pas encore que son jeune homonyme venait, à 23 ans, de prendre sa carte au « parti de la classe ouvrière ». Qu'il en deviendrait l'élu à 30, le réformateur à 41 et son premier ministre à 44 ans. Comment aurait-il pu imaginer que ce fils d'un avocat conservateur, postulant convaincu quoique malchanceux à un mandat tory, devienne le premier leader travailliste à conduire son parti, « modernisé », deux fois de suite à la victoire ? A la vérité, Tony Booth n'a pas beaucoup changé d'avis sur le père de ses petits-enfants. Il n'est jamais le dernier à dénoncer, au grand plaisir des tabloïds, « la bande de robots déshumanisés qui l'entoure ». Alors ? Cause entendue ? L'homme ambitieux qui revient dans le modeste et puissant immeuble du pouvoir au 10, Downing Street à Londres, n'est qu'un tory masqué, un usurpateur de la cause du peuple prêt à vendre l'âme du travaillisme ouvrier aux requins de la City ? Pas si simple. « Je ne veux certainement pas être la version Thatcher du Labour », affirme-t-il. Les sobriquets dont on l'affuble, à gauche comme à droite - de « Tory Blair » à « Tony Blatcher » -, ne disent qu'une infime partie de l'histoire complexe de cet énigmatique politicien. « C'est vrai, reconnaît le maître du «nouveau travaillisme», qu'il y a un point fondamental d'unité entre les idées de mon père et les miennes : il pensait que le vieux Labour, avec tous ses syndicats et cette bureaucratie, était contre le succès personnel, qu'il étouffait les ambitions. Moi je savais que l'intention originelle du parti était au contraire d'aider les gens à s'en sortir. La résolution majeure de ma vie politique est venue de là. Grâce à lui, j'ai su ce qu'il fallait faire. » On connaît la suite. UN IMPÉNITENT SÉDUCTEUR Les années ont compté double depuis le triomphe de mai 1997. Avec le pouvoir, les traits du fringant quadragénaire (48 ans le 6 mai) se sont un peu affaissés. La taille s'est épaissie. Les cheveux sont plus clairsemés, ils grisonnent. La vue a un peu baissé, les photos avec lunettes sont plus fréquentes. Mais le dynamisme de l'homme pressé, le charme forcené de l'ancien avocat d'affaires, la détermination du missionnaire en campagne et le ton de prêcheur baptiste adopté pour tous les discours sont toujours là. « Blair-le-Vicaire », comme l'appelle le Canard enchaîné local, ou « King Tony », comme on le surnomme dans les gazettes pour moquer l'évidente fascination du « couple royal » à l'endroit des « rich and famous » - catégorie stades et showbiz plutôt que prix Nobel -, plaît toujours à l'opinion. Aux femmes en particulier. Un magazine féminin l'a couronné « le plus grand menteur de la classe politique » la semaine dernière. Mais l'article qui accompagnait le vote était plutôt compréhensif. « Tony-le-grand-communicateur » est un impénitent séducteur. Cela va de pair. Est-ce le sourire ? Ce sourire un peu métallique, « berlusconien » disent les méchants, mais qu'il dégaine en toutes circonstances, comme une arme, un bouclier destiné à empêcher qu'on discerne l'homme derrière les dents ? Difficile d'approcher la vérité de Tony Blair. « Une partie importante de mon job consiste à m'entendre avec les gens », confie-t-il au Sunday Times. Mais « si j'ai appris une chose depuis 1997, c'est que dans ce métier on ne doit jamais montrer ses émotions ». Bizarre pour l'excellent acteur amateur d'Oxford qui a toujours su tenir une scène, mouiller sa chemise et son oeil, à la commande. Bizarre, mais efficace. « Voilà un type filmé chaque jour sous tous les angles depuis des années et nul ne peut prétendre le connaître vraiment », s'enchante Joe Klein, l'auteur américain de la célèbre satire sur Bill Clinton, Couleurs primaires. « IL N'A PAS D'ANGLE » On sait qu'il aime le sport, qu'il croit en Dieu, qu'il va régulièrement à l'église, qu'à vingt ans, cheveux longs et jeans destroy, il chantait dans un groupe de rock. On sait encore, il le jure, qu'il n'a « jamais touché à la drogue, même douce ». On sait aussi que c'est un bon mari, un père attentif qui se lève la nuit pour rassurer le dernier-né qui pleure. On le sait hypersensible à son image - « trouvez-moi quelques mesures populaires auxquelles je pourrais attacher mon nom », écrivait-il l'an dernier à ses ministres. Tony Blair est constamment en alerte, toujours conscient de qui l'observe, toujours en représentation. Se pourrait-il qu'il ait délibérément ôté sa chemise trempée devant des journalistes pour qu'on découvre, l'autre semaine, que ses caleçons sont griffés Calvin Klein ? The Mirror, le tabloïd travailliste, en fut tout émoustillé. « Nous avons un premier ministre hyper cool ! ». N'empêche, conclut Joe Klein, « cet homme apparaît lisse, onctueux, luisant comme un requin. Il n'a pas d'angle ». « Le job ne m'a pas changé, affirme l'intéressé. Je suis un gars comme un autre. » Tony Blair dort six heures par nuit, travaille beaucoup, connaît ses dossiers par coeur. Mais il y a dans ce brio quelque chose de réellement ineffable, d'impénétrable. Il dit n'avoir « aucune idéologie, seulement un idéal ». Mais nul n'est capable de discerner lequel. Peter Mandelson, l'ancien ministre, le confident, l'ami de ce talent hors pair, canonise son ex-poulain dans la revue Politique internationale : « Il est ce qui se rapproche le plus de la perfection, de l'idéal en politique. » Parfait. Mais beaucoup de Britanniques se demandent encore pour quoi faire, exactement.

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