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Travailler plus pour gagner plus ?

Publié le 23/07/2010

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1. Détermination du problème    1.1. Définitions    La « dignité humaine « se distingue de la « dignité « en cela que la seconde désigne une fonction, un titre, un rang, qui distingue particulièrement une personne et lui accorde une autorité ; la première, depuis Kant (voir ce cours) désigne cette qualité particulière attachée à toute personne humaine (sans distinction de rang ou de fonction) dans la mesure où elle est considérée en tant que fin, et non en tant que moyen.    Il fallait se méfier. Une copie a entamé sur cette phrase : « Tout Homme est doté de dignité humaine «. Dans ce cas, merci, fin de la copie : la dignité humaine ne dépend pas du travail. Il fallait forcément distinguer entre l’humanité d’une personne, et sa dignité humaine, c’est-à-dire le fait que non seulement elle est humaine, mais encore qu’elle est reconnue comme telle par les autres. La « dignité humaine « qualifie certaines relations interpersonnelles ; elle ne peut s’entendre comme prédicat d’une personne (on ne dit pas « Untel est digne « comme on dit qu’il est « brun « ou « adolescent «).    Le travail s’entend comme activité de détournement des processus naturels au profit de l’humain. Il s’oppose à la fois à l’oisiveté et au loisir. La prudence commandait aussi de distinguer travail et pratique, travail et métier, travail et emploi.    1.2. Forme de la question    Pas de remarque particulière à noter ici. Il s’agit simplement de déterminer si le travail compte au nombre des conditions de réalisation de la dignité humaine. La confère-t-il ?    1.3. Relations entre les termes    Le travail se situe dans le champ de la productivité, de l’efficacité, du rendement ; la dignité se situe dans le champ de la morale, de la reconnaissance entre humains, de l’entente et du respect. Il s’agit de savoir comment s’articulent ces deux pans de la philosophie pratique. Pour reconnaître un humain comme tel, faut-il le voir à l’ouvrage ? Ou bien l’humanité des humains (leur « être « le plus intime) transcende-t-elle leurs pratiques (leur « faire «) ?    2. Réponse spontanée et réponse paradoxale justifiées    Si l’on considère que les animaux ne travaillent pas (voir la comparaison entre l’abeille et l’architecte par Marx, dans ce cours), et si l’on affirme par conséquent que le travail constitue le propre de l’Homme, on peut soutenir que le travail, manifestant l’humanité du travailleur, lui confère sa pleine dignité humaine.    Au contraire, dans la mesure où le travail vise l’utile, il est clair qu’il compte au nombre des moyens de l’humain pour arriver à ses fins. Identifié à son travail, l’individu tend à s’instrumentaliser, donc à déchoir de son statut de « fin « pour se réduire à un simple « moyen «.    3. Argumentation de la thèse et de l'antithèse    3.1. Thèse : la dignité humaine dépend d’un travail    Une certaine pensée dite « néolibérale « (mais au fond simplement utilitariste) tend à soutenir l’idée que la valeur d’un individu dépend de son rendement. Il ne s’agit pas seulement ici de fixer sa valeur salariale (au sens où un chef d’entreprise, assumant des responsabilités et des risques plus lourds que l’ouvrier, mérite de gagner plus), mais aussi la valeur morale. L’inventeur de la cafetière électrique a simplifié la vie d’un très grand nombre de personnes : par son utilité, il a « bien mérité de la société «, et il mérite par conséquent d’être cité en exemple, présenté comme modèle, et célébré par ses concitoyens.    Parce qu’ils n’occasionnent aucun progrès, aucune avancée, aucune découverte pour la société entière, les oisifs et les paresseux (évitez le mot relâché « fainéant «, SVP) possèdent, aux yeux de l’histoire, une valeur infiniment moindre. Même si Hegel ne l’exprime pas en termes de « valeur « comme nous venons de le faire, il explique tout de même, dans la dialectique du maître et de l’esclave (voir ce cours), que l’histoire appartient à l’esclave travailleur, alors que le maître guerrier reste prisonnier de ses instincts brutaux, comme bloqué dans un passé révolu.    Toujours conformément aux pensées hégélienne et marxiste, le travail, de surcroît, élève le travailleur qui, affrontant la réalité matérielle, découvre par là même les lois de la nature ainsi que ses propres forces et ses propres faiblesses. Par le travail, l’individu déploie pleinement des facultés qui seraient restées latentes dans l’oisiveté. Il développe ainsi sa dimension humaine complète, par laquelle il se distingue de l’animal (on pouvait aussi faire allusion à la doctrine judéo-chrétienne de l’humain condamné à travailler). Dans cette analyse, la dignité humaine non seulement se manifeste, mais surtout se constitue, s’élabore, se concrétise par le travail.    Cette notion de place dans la société, dans l’histoire et dans l’humanité qu’on gagnerait à la sueur de son front, méritait quand même beaucoup de concision et de diplomatie. Employé dans rigueur, cet argument pouvait donner lieu, a contrario, à des lectures véritablement atroces, où l’on finit par conclure, ainsi que l’a fait une copie : « [Le chômeur] n’ayant plus de place au sein de la société, […] devient une sorte de parasite, un poids et un fardeau pour le reste de la société. «    Je tiens à préciser au passage que cet « argument «, quand on le trouve dans les copies (ou les discours politiques) vise toujours les « chômeurs « ou les « rmistes « ; jamais les mutilés de guerre, les invalides, les retraités ni les enfants, qui pourtant ne travaillent pas ou plus, et qui constituent eux aussi, dans cette optique obscène, stupide et génocidaire, autant de « poids morts «.    Clarisse a eu la sagesse de prévenir explicitement de tels excès : bonus !    3.2. Antithèse : travail et dignité ? Aucun rapport !    Nombre de copies ont fourni des II assez maladroits, parce que beaucoup trop radicaux. Pour rappel, le sujet demandait si le travail compte parmi les conditions de la dignité humaine. Dire qu’il n’en fait pas partie n’implique pas de conclure que le travail empêche ou détruit la dignité humaine (ce qui est évidemment faux). Par ailleurs, montrer que le travail ne détermine pas la dignité humaine ne vous appelait pas à déterminer de quoi au juste la dignité dépend (elle ne dépend peut-être de rien du tout).    Pour mieux vous rendre compte de ces deux dérapages, prenons une question beaucoup plus simple : « Faut-il du persil pour cuisiner une omelette ? « Que penseriez-vous d’une réponse qui vous expliquerait que le persil empêche totalement de cuire une omelette ? Ou qui oublierait totalement le persil pour vous énumérer tous les ingrédients indispensables à l’omelette ? Le hors sujet ne crève-t-il pas les yeux ?    Il s’agissait « simplement « de dire, ici, que la dignité ne dépend pas d’un travail ; autrement dit, que certaines personnes dépourvues de travail accèdent néanmoins à la dignité humaine. (Ici, surtout, des distinctions pointues entre travail, métier et emploi s’avéraient indispensables.)    On pouvait souligner ici l’anomalie complète que constitue la pensée, disons, moderne, par rapport à une civilisation occidentale vieille de plusieurs millénaires, et qui a pendant au moins mille cinq cents ans considéré le travail comme indigne. Associé à la servitude au sens médiévale, à l’esclavage au sens antique, le travail (y compris le commerce, neg-otium) est conçu comme opposé à l’otium, cette bienheureuse « oisiveté «, en fait « temps libre « au sens élevé du terme, en cela qu’il libère l’esprit des soucis matériels pour lui permettre de se consacrer à l’activité politique, à la spéculation philosophique, ou à la contemplation religieuse (voir aussi, à ce sujet, les analyses de Kirkegaard).    Il était également possible, comme l’a fait Marie, de nier au travail cette puissance de manifestation de l’humanité, en rappelant par exemple que, dans la pensée judéo-chrétienne, ce n’est pas tant le travail qui se présente comme « le propre de l’Homme «, mais bien la pénibilité du travail (bonus !). Dans la même optique, on pouvait rappeler que ce qui manifeste l’humanité d’un humain, c’est « le discours « (chez Aristote) ou « le rire « (chez Rabelais), alors que la matérialité du travail nous rapproche au contraire de l’animal.    Il était également souhaitable d’indiquer que même à notre époque, le travail n’est pas si bien vu que ça. Raphaëlle rappelait (bonus !) que l’on tend à travailler moins pour s’investir dans des projets humanitaires, ou des œuvres de création.    Charles, quant à lui, signalait qu’associer la dignité humaine au travail finissait par conclure que, dans ce cas, l’humain devait son humanité à une sorte de bataille permanente (je regrette beaucoup que cette idée n’ait pas été développée jusqu’à son terme).    La meilleure remarque qu’il m’ait été donné de lire en antithèse consistait tout simplement à remarquer que la législation sociale en générale cherchait à faire en sorte que les conditions de travail respectent la dignité humaine : preuve s’il en fallait que celle-ci ne dépend pas de celui-là (Cécile a eu droit à un bonus).    4. La synthèse    Plusieurs III pouvaient être envisagés.    1) De tous, le moins efficace, parce qu’il amène à une conclusion relativiste mollassonne, consistait à montrer que certains travaux promeuvent la dignité, mais pas tous. Beaucoup de copies ont versé dans ce travers, avec des exemples parfois pertinents, mais souvent très convenus. D’accord, d’accord, le taylorisme (mentionné onze fois dans les copies !) a réalisé une forme infernale d’organisation du travail, et je suis très sensible au fait que vous vous montriez indignés par le sort atroce que subissent les prostituées. J’aurais pourtant souhaité, s’il fallait à toute force finir sur ce genre de III, que vous fassiez preuve d’un peu plus d’originalité. Quid par exemple des agents d’entretien qui accomplissent au quotidien un travail des plus ingrats et que si peu de personnes saluent ? Quid de tel employé de bureau harcelé par son chef de service jusqu’à sombrer dans la dépression ou même le suicide ? Quid de tel employé senior débarqué du jour au lendemain comme un malpropre ? Quid de tel jeune acceptant un job alimentaire minable qui ne correspond ni à ses qualifications, ni à ses ambitions ? Les travailleurs consciencieux et motivés, qui pourtant essuient au quotidien des humiliations, du mépris, des incivilités, de l’irrespect, sont légion. Inutile d’aller chercher dans le crime ou dans une forme d’emploi ouvrier disparue depuis bientôt cinquante ans. De grâce, sortez des sentiers battus (voyez aussi ici) !    2) Plus astucieux, le III pouvait distinguer entre dignité humaine (donnée par nature) et respect (gagné pour service rendu). On pouvait aussi formuler ce même III dans une tonalité inverse, qui consistait à déplorer que la dignité humaine, innée, se manifeste le plus souvent au travers d’un emploi, même si certains cas exceptionnels de « travaux « au sens large (œuvre artistique, découverte scientifique…) pouvaient aussi la faire pleinement apparaître. Ce même type de III pouvait distinguer magistralement entre « dignité humaine « (due à tous les individus) et « dignité « au sens de cette autorité (parfois presque un trait de caractère, comme l’a souligné Thibaut, bonus !) qui résulte souvent d’un travail ou d’une fonction.    3) Pierre (bonus !) a quant à lui retenu une piste de recherche très originale. Montrant que le manque de dignité envers une personne la conduit à une forme d’aliénation dans laquelle elle juge sa propre vie absurde, il a pu alors montrer que, sitôt qu’un humain donne un sens à sa vie (par le travail ou de n’importe quelle autre manière), alors il acquiert une dignité pleine et entière. A l’appui de cette thèse, on pouvait citer certains personnages célèbres comme Gandhi, par exemple. Le prolongement existentialiste de cette analyse était presque donné (« L’existence précède l’essence «, comme l’écrit Sartre).    Pour finir, je voudrais, avec son autorisation, rapporter ici intégralement l’introduction présentée par Marie : je la crois en effet exemplaire, même si elle n’est pas impeccable.    « Le travail, qui désigne toute activité socialement rentable, permet à l’Homme de transformer la nature en vue de la satisfaction de ses besoins; il est lié à la nécessité.  Tout travail semble ainsi apporter à l’Homme des valeurs qui sont l’essence même de son humanité. La dignité humaine paraît alors en dépendre, c’est-à-dire être liée, être une conséquence, d’un travail. Cependant, le travail ne peut-il pas aliéner l’Homme, le rabaisser ? La dignité est-elle seulement liée au travail ? «

« l'esclave qui n'a pas voulu mettre sa vie en jeu, ce dernier va se libérer par le travail.

Le maître en effet se contentede jouir passivement des choses, de profiter du travail de l'esclave.

Il s'inscrit alors dans une démarche passive,alors que l'esclave travaille, physiquement mais aussi intellectuellement, un extériorise sa conscience et ses projets,acquérant ainsi progressivement son autonomie.

Etre un maître sans travailler représente une impasse alors que letravail est la voie de la libération humaine.

L'esclave forme les choses et se transforme lui-même; il asservira ainsison maître qui deviendra son esclave.

Ainsi Hegel montre que le travail est le chemin de l'autonomie: il est la sourcede tout progrès humain et historique.

Le travail forme et éduque, il transforme le monde et civilise.

C'est donc par letravail que l'homme se réalise en tant qu'homme et se définit.Travailler plus pour gagner plus peut donc être un maître mot. II- Le travail, facteur d'asservissement Si le travail fait partie intégrante de notre nature, puisqu'il nous engendre et nous construit, si donc le travail estl'essence de l'homme, cependant le risque d'aliénation existe.

En effet, dans la société moderne, le travail se divise,en général, et se répartit entre les travailleurs.

Chacun accomplit toujours le même genre de travail, pour lequel ilacquiert une compétence particulière.

Ainsi s'institue peu à peu une division du travail matériel et intellectuel.

Dèslors, la division du travail morcelle l'homme et condamne chaque individu à s'enfermer dans un cercle d'activitédéterminé, auquel il ne peut échapper.La division du travail réduit l'homme à une seule tâche, comme peut le montrer par exemple les Temps Modernes deCharlie Chaplin.

Il n'y a alors plus d'intérêt au travail, il ne représente plus un accomplissement de soi mais l'exerciced'une tâche vide de sens, au respect d'un ordre dans le but de recevoir une compensation financière.Initialement, l'artisan produit en totalité un objet qui est donc sa création propre et dans lequel il se reconnaît.Progressivement, avec le développement de l'industrie, le travail ouvrier devient travail aliéné.

Cette aliénationconsiste en ce que l'homme se trouve devant son produit comme devant une réalité qui lui est étrangère et ledomine.

Le producteur ne se reconnaît plus dans la chose qu'il produit.

Ce phénomène de l'aliénation a été mis enlumière par Marx dans les Manuscrits de 1844 et Le Capital.

Le travail devient extérieur à l'ouvrier qui n'y développeaucune énergie libre et authentique, qu'elle soit physique ou morale.Le travail pour Marx est non seulement aliéné mais aussi exploité.

En effet, le propriétaire des moyens de productionachète la force de travail à l'ouvrier, son énergie physique et nerveuse.

Cette force de travail constitue la seuleressource des ouvriers qui la vendent quotidiennement.

Mais le propriétaire,ne paye pas pour autant à son juste prixla force de travail incorporée dans les marchandises produites.

Sur la valeur de 8 heures de travail fournies, il n'enpaye par exemple que celle de 5 heures de travail.

les 3 autres sont gratuites et créent une plus-value, c'est à direune valeur supplémentaire produite par le travailleur.

En cela travailler plus peut aussi signifier enrichir davantage lespropriétaires des moyens de production, et se soumettre davantage à un travail épuisant, ne représentant aucunaccomplissement de soi, aucune reconnaissance sociale.

Au lieu d'être l'occasion d'une réalisation de soi et de saliberté, devient un véritable esclavage que le travailleur a hâte de fuir.

La solution à cela selon Marx seraitl'avènement d'une société sans classe, ignorant l'exploitation du travail.Dans «Aurore», Nietzsche dénonce lui aussi les arrière-pensées des apologistes du travail, qui veulent briserl'individu, l'étourdir, sans pour autant prôner la paresse, qui est une autre manière de s'oublier, et qui est donc loinde l'otium, le loisir actif que Nietzsche oppose à la hâte et au travail abrutissant qui caractérisent les Occidentaux.Nietzsche insiste ainsi sur la passivité de l'affairement, la suractivité suivie du repos intégral qui le suit, del'avachissement que permettent les vacances, qui signifient en réalité vacance de l'esprit...

Dans les deux cas, ils'agit de se fuir, de se distraire, comme si on ne supportait pas de rester un seul instant seul avec soi-même.

Ildénonce à la fois le travail abrutissant et le joug des divertissements modernes qui génèrent une tropgrandedépense d'esprit et de force : il s'agit selon lui de se reposer, et de s'adonner à la contemplation, l'oisiveté active,propres au surhumain.

Le travail n'a donc pas pour objectif d'épanouir l'homme, mais plutôt de brimer sonaccomplissement par la pensée.Hannah Arendt elle, place travail, oeuvre et action comme les structures permanentes, qui enrichissent un homme.Elle donne une place au travail, mais ne le considère pas comme un moyen de s'épanouir, du moins pas au sens dutravail même.Il existe selon elle 2 traits au travail :- ce qui est servile, qui sert à relier avec besoins du corps.

On travaille pour manger son pain.

Le travail estsynonyme d'asservissement.

Sociétés modernes ont élevé travail à une sorte de dignité (héritage duprotestantisme)- travail est un processus cyclique.

Le travailleur est un animal, animal laborans (rend animal car demande énergie,épuise), et la vocation du travail est en réalité le loisir : travailler pour se reposer, travailler pour le salaire.

PourArendt, travail est uniquement un système de production-dépense, critique qui lui a d'ailleurs été inspirée parNietzsche.Travailler plus serait donc une contrainte, n'assurant pas un gain financier assuré, et n'offrant pas non plus quelquegain intellectuel ou moral. III- Travailler plus, moins, ou mieux ? Travailler plus pour gagner plus peut également être vu comme un simple appel à la cupidité, et peut réduire letravail à un simple moyen de s'enrichir.Selon Gérard Filoche, un intellectuel socialiste, d'un point de vue social et économique "travailler plus pour gagnerplus est un slogan mensonger, trompeur, démagogique puisque les salariés gagnent moins, sont poussés au chômagepartiel, au Pôle emploi, au stress, à la dépression, au suicide, c'est un slogan mortifère." La solution serait alors de"travailler moins pour travailler mieux, et tous".

Une réduction du temps de travail laisserait à la fois du temps pour le. »

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