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L'Etui de nacre vous m'avez semblé l'ange du rêve.

Publié le 11/04/2014

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L'Etui de nacre vous m'avez semblé l'ange du rêve. Seule! seule! répondit-elle, comme si elle n'avait entendu que ce mot: seule! L'est-on jamais? Et, comme elle vit qu'il la regardait sans comprendre, elle ajouta: Laissons cela - ce sont des idées que j'ai... Quelles nouvelles? Alors, il lui conta la grande journée, la Bastille vaincue, la liberté fondée. Sophie l'écouta gravement, puis: Il faut se réjouir, dit-elle; mais notre joie doit être la joie austère du sacrifice. Désormais les Français ne s'appartiennent plus; ils se doivent à la révolution qui va changer le monde. Comme elle parlait ainsi, l'enfant se jeta joyeusement sur ses genoux. Regarde, maman; regarde le beau jardin. Elle lui dit en l'embrassant: Tu as raison, mon Émile; rien n'est plus sage au monde que de faire un beau jardin. Il est vrai, ajouta Germain; quelle galerie de porphyre et d'or vaut une verte allée? Et songeant à la douceur de conduire à l'ombre des arbres cette jeune femme appuyée à son bras: Ah! s'écria-t-il en jetant sur elle un regard profond, que m'importent les hommes et les révolutions! - Non! dit-elle, non! je ne puis détacher ainsi ma pensée d'un grand peuple qui veut fonder le règne de la justice. Mon attachement aux idées nouvelles vous surprend, monsieur Germain. Nous ne nous connaissons que depuis peu de temps. Vous ne savez pas que mon père m'apprit à lire dans le Contrat social et dans l'Évangile. Un jour, dans une promenade, il me montra Jean Jacques. Je n'étais qu'une enfant, mais je fondis en larmes en voyant le visage assombri du plus sage des hommes. J'ai grandi dans la haine des préjugés. Plus tard, mon mari, qui professait comme moi la philosophie de la nature, voulut que notre fils s'appelât Émile et qu'on lui enseignât à travailler de ses mains. Dans sa dernière lettre, écrite il y a trois ans à bord du navire sur lequel il périt quelques jours après, il me recommandait encore les préceptes de Rousseau sur l'éducation. Je suis pénétrée de l'esprit nouveau. Je crois qu'il faut combattre pour la justice et pour la liberté. Comme vous, madame, soupira Germain, j'ai horreur du fanatisme et de la tyrannie; j'aime comme vous la liberté, mais mon âme est sans force. Ma pensée s'échappe à chaque instant de moi-même. Je ne m'appartiens pas, et je souffre. La jeune femme ne répondit pas. Un vieillard poussa la grille et s'avança les bras levés, en agitant son chapeau. Il ne portait ni poudre ni perruque. Des cheveux gris et longs tombaient des deux côtés de son crâne chauve. Il était entièrement vêtu de ratine grise; ses bas étaient bleus, ses souliers sans boucles. Victoire! victoire! s'écriait-il. Le monstre est en notre pouvoir et je vous en apporte la nouvelle, Sophie! Mon voisin, je viens de l'entendre de monsieur Germain que je vous présente. Sa mère était à Angers l'amie de ma mère. Depuis six mois qu'il est à Paris il veut bien venir me voir de temps en temps au fond de mon ermitage. Monsieur Germain, vous voyez devant vous mon voisin et ami, monsieur Franchot de La Cavanne, homme de lettres. L'AUBE 61 L'Etui de nacre Dites: Nicolas Franchot, laboureur. Je sais, mon voisin, que c'est ainsi que vous avez signé vos mémoires sur le commerce des grains. Je dirai donc, pour vous plaire et bien que je vous croie plus habile à manier la plume que la charrue, monsieur Nicolas Franchot, laboureur. Le vieillard embrassa Germain et s'écria: Elle est donc tombée, cette forteresse qui dévora tant de fois la raison et la vertu! Ils sont tombés, les verrous sous lesquels j'ai passé huit mois sans air et sans lumière. Il y a de cela trente et un ans, le 17 février 1768, ils m'ont jeté à la Bastille pour avoir écrit une lettre sur la tolérance. Enfin, aujourd'hui, le peuple m'a vengé. La raison et moi nous triomphons ensemble. Le souvenir de ce jour durera autant que l'univers: j'en atteste ce soleil qui vit périr Hipparque et fuir les Tarquins. La voix éclatante de M. Franchot effraya le petit Émile qui saisit la robe de sa mère. Franchot, apercevant tout à coup l'enfant, l'éleva de terre et lui dit avec enthousiasme: Plus heureux que nous, enfant, tu grandiras libre! Mais Émile, épouvanté, renversa la tête en arrière et poussa de grands cris. Messieurs, dit Sophie en essuyant les larmes de son fils, vous voudrez bien souper avec moi. J'attends monsieur Duvernay, si toutefois il n'est pas retenu auprès d'un de ses malades. Et se tournant vers Germain: Vous savez que monsieur Duvernay, médecin du roi, est électeur de Paris hors les murs. Il serait député à l'Assemblée nationale si comme monsieur de Condorcet, il ne s'était pas dérobé par modestie à cet honneur. C'est un homme de grand mérite; vous aurez plaisir et profit à l'entendre. Jeune homme, dit Franchot par surcroît, je connais monsieur Jean Duvernay et je sais de lui un trait qui l'honore. Il y a deux ans, la reine le fit appeler pour soigner le dauphin atteint d'une maladie de langueur. Duvernay habitait alors Sèvres, où une voiture de la cour le venait prendre chaque matin pour le conduire à Saint-Cloud auprès de l'enfant malade. Un jour, la voiture rentra vide au château. Duvernay n'était pas venu. Le lendemain, la reine lui en fit des reproches: " Monsieur, lui dit-elle, vous aviez donc oublié le dauphin? " Madame, répondit cet honnête homme, je soigne votre fils avec humanité, mais hier j'étais retenu auprès d'une paysanne en couches. Eh bien! dit Sophie, cela n'est-il pas beau et ne devons-nous pas être fiers de notre ami? Oui, cela est beau, répondit Germain. Une voix grave et douce s'éleva près d'eux. Je ne sais, dit cette voix, ce qui excite vos transports; mais j'aime à les entendre. On voit en ce temps-ci tant de choses admirables! L'homme qui parlait ainsi portait une perruque poudrée et un jabot de fine dentelle. C'était Jean Duvernay; L'AUBE 62

« \24 Dites: Nicolas Franchot, laboureur. \24 Je sais, mon voisin, que c'est ainsi que vous avez signé vos mémoires sur le commerce des grains.

Je dirai donc, pour vous plaire et bien que je vous croie plus habile à manier la plume que la charrue, monsieur Nicolas Franchot, laboureur. Le vieillard embrassa Germain et s'écria: \24 Elle est donc tombée, cette forteresse qui dévora tant de fois la raison et la vertu! Ils sont tombés, les verrous sous lesquels j'ai passé huit mois sans air et sans lumière.

Il y a de cela trente et un ans, le 17 février 1768, ils m'ont jeté à la Bastille pour avoir écrit une lettre sur la tolérance.

Enfin, aujourd'hui, le peuple m'a vengé.

La raison et moi nous triomphons ensemble.

Le souvenir de ce jour durera autant que l'univers: j'en atteste ce soleil qui vit périr Hipparque et fuir les Tarquins. La voix éclatante de M.

Franchot effraya le petit Émile qui saisit la robe de sa mère.

Franchot, apercevant tout à coup l'enfant, l'éleva de terre et lui dit avec enthousiasme: \24 Plus heureux que nous, enfant, tu grandiras libre! Mais Émile, épouvanté, renversa la tête en arrière et poussa de grands cris. \24 Messieurs, dit Sophie en essuyant les larmes de son fils, vous voudrez bien souper avec moi.

J'attends monsieur Duvernay, si toutefois il n'est pas retenu auprès d'un de ses malades. Et se tournant vers Germain: \24 Vous savez que monsieur Duvernay, médecin du roi, est électeur de Paris hors les murs.

Il serait député à l'Assemblée nationale si comme monsieur de Condorcet, il ne s'était pas dérobé par modestie à cet honneur. C'est un homme de grand mérite; vous aurez plaisir et profit à l'entendre. \24 Jeune homme, dit Franchot par surcroît, je connais monsieur Jean Duvernay et je sais de lui un trait qui l'honore.

Il y a deux ans, la reine le fit appeler pour soigner le dauphin atteint d'une maladie de langueur. Duvernay habitait alors Sèvres, où une voiture de la cour le venait prendre chaque matin pour le conduire à Saint-Cloud auprès de l'enfant malade.

Un jour, la voiture rentra vide au château.

Duvernay n'était pas venu. Le lendemain, la reine lui en fit des reproches: "\24 Monsieur, lui dit-elle, vous aviez donc oublié le dauphin? "\24 Madame, répondit cet honnête homme, je soigne votre fils avec humanité, mais hier j'étais retenu auprès d'une paysanne en couches. \24 Eh bien! dit Sophie, cela n'est-il pas beau et ne devons-nous pas être fiers de notre ami? \24 Oui, cela est beau, répondit Germain. Une voix grave et douce s'éleva près d'eux. \24 Je ne sais, dit cette voix, ce qui excite vos transports; mais j'aime à les entendre.

On voit en ce temps-ci tant de choses admirables! L'homme qui parlait ainsi portait une perruque poudrée et un jabot de fine dentelle.

C'était Jean Duvernay; L'Etui de nacre L'AUBE 62. »

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