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L'Etui de nacre Rose, savez-vous que, si on nous découvrait, ce serait la mort pour vous?

Publié le 11/04/2014

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L'Etui de nacre Rose, savez-vous que, si on nous découvrait, ce serait la mort pour vous? La mort! s'écria la jeune fille, vous me faites peur. Oh! non, je ne le savais pas. Puis, déjà rassurée: Citoyenne, votre bon ami saura bien me cacher. Il n'est pas de retraite sûre à Paris. Je vous remercie de votre dévouement, Rose; mais je ne l'accepte pas. Rose demeurait stupéfaite. Vous serez guillotinée, citoyenne, et je n'épouserai pas Florentin! Rassurez-vous, Rose. Je puis vous rendre service sans accepter ce que vous me proposez. Oh! non. Ce serait de l'argent volé. La fille du porte-clefs pria, pleura, supplia longtemps. Elle s'agenouilla et saisit le bord de la robe de Fanny. Fanny la repoussa de la main et détourna la tête. Un rayon de lune éclairait le calme de son beau visage. La nuit était riante, une brise passait. L'arbre des prisonniers, secouant ses branches odorantes, répandit de pâles fleurs sur la tête de la victime volontaire. LA PERQUISITION La chambre était tendue de soie bleu pâle. Une épinette sur laquelle était ouverte le Devin du village, des chaises ayant une lyre pour dossier, un bonheur-du-jour en acajou, un lit blanc orné de roses, le long de la corniche des couples de colombes, tout souriait avec une grâce attendrie. La lampe brillait doucement et la flamme du foyer faisait palpiter comme des ailes dans l'ombre. Assise en robe de chambre devant le bonheur-du-jour, son cou délicat incliné sous la magnifique et pâle auréole de ses cheveux, Julie feuillette les lettres qui dormaient, liées avec des faveurs, dans les tiroirs du meuble. Minuit sonne; c'est le signe du passage d'une année à l'autre. La mignonne pendule, où rit un amour doré, annonce que l'année 1793 est finie. Au moment de la conjondion des aiguilles, un petit fantôme a paru. Un joli enfant, sorti du cabinet où il couche et dont la porte reste entrouverte, est venu, en chemise, se jeter dans les bras de sa mère et lui souhaiter une bonne année. Une bonne année, Pierre... Je te remercie. Mais sais-tu ce que c'est qu'une bonne année? Il croit savoir; pourtant, elle veut le lui mieux enseigner. Une année est bonne, mon chéri, pour ceux qui l'ont passée sans haine et sans peur. Elle l'embrasse; elle le porte dans le lit d'où il s'est échappé, puis elle revient s'asseoir devant le bonheur-du-jour. Elle regarde tour à tour la flamme qui brille dans l'âtre et les lettres d'où s'échappent des fleurs séchées. Il lui en coûte de les brûler. Il le faut pourtant. Car ces lettres, si elles étaient découvertes, feraient envoyer à la guillotine celui qui les a écrites et celle qui les a reçues. S'il ne s'agissait que d'elle, elle LA PERQUISITION 73 L'Etui de nacre ne les brûlerait pas, tant elle est lasse de disputer sa vie aux bourreaux. Mais elle songe à lui, proscrit, dénoncé, recherché, qui se cache dans quelque grenier à l'autre bout de Paris. Il suffit d'une de ces lettres pour retrouver ses traces et le livrer à la mort. Pierre dort chaudement dans le cabinet voisin; la cuisinière et Nanon se sont retirées dans les chambres hautes. Le grand silence du temps de neige règne au loin. L'air vif et pur active la flamme du foyer. Julie va brûler ces lettres, et c'est une tâche qu'elle ne pourra accomplir, elle le sait, sans de profondes et tristes songeries. Elle va brûler ces lettres, mais non pas sans les relire. Les lettres sont bien en ordre, car Julie met dans tout ce qui l'entoure l'exactitude de son esprit. Celles-ci, déjà jaunies, datent de trois ans, et Julie revit dans le silence de la nuit les heures enchantées. Elle ne livre une page aux flammes qu'après en avoir épelé dix fois les syllabes adorées. Le calme est profond autour d'elle. D'heure en heure, elle va à la fenêtre, soulève le rideau, voit dans l'ombre silencieuse le clocher de Saint-Germain-des-Prés argenté par la lune, puis reprend son oeuvre de lente et pieuse destruction. Et comment ne pas boire une dernière fois ces pages délicieuses? Comment livrer aux flammes ces lignes si chères avant de les avoir à jamais imprimées dans son coeur? Le calme est profond autour d'elle, son âme palpite de jeunesse et d'amour. Elle lit: "Absent, je vous vois, Julie. Je marche environné des images que ma pensée fait naître. Je vous vois, non point immobile et froide, mais vive, animée, toujours diverse et toujours parfaite. J'assemble autour de vous, dans mes rêves, les plus magnifiques spectacles de l'univers. Heureux, l'amant de Julie! Tout le charme, parce qu'il voit tout en elle. En l'aimant il aime vivre; il admire ce monde qu'elle éclaire; il chérit cette terre qu'elle fleurit. L'amour lui révèle le sens caché des choses. Il comprend les formes infinies de la création; elles lui montrent toutes l'image de Julie; il entend les voix sans nombre de la nature; elles lui murmurent toutes le nom de Julie. Il noie ses regards avec délices dans la lumière du jour, en songeant que cette heureuse lumière baigne aussi le visage de Julie, et jette comme une caresse divine sur la plus belle des formes humaines. Ce soir les premières étoiles le feront tressaillir; il se dira: elle les regarde peut-être en ce moment. Il la respire dans tous les parfums de l'air. Il veut baiser la terre qui la porte... "Ma Julie, si je dois tomber sous la hache des proscripteurs, si je dois, comme Sidney, mourir pour la liberté, la mort elle-même ne pourra retenir dans l'ombre où tu ne seras pas mes mânes indignés. Je volerai vers toi, ma bien-aimée. Souvent mon âme reviendra flotter en ta présence. " Elle lit et songe. La nuit s'achève. Déjà une lueur blême traverse les rideaux: c'est le matin. Les servantes ont commencé leur travail. Elle veut achever le sien. N'a-t-elle pas entendu des voix? Non, le calme est profond autour d'elle... Le calme est profond; c'est que la neige étouffe le son des pas. On vient, on est là. Des coups ébranlent la porte. Cacher les lettres, fermer le bonheur-du-jour, elle n'en a plus le temps. Tout ce qu'elle peut faire, elle le fait; elle prend les papiers à brassée et les jette sous le canapé dont la housse traîne à terre. Quelques lettres se répandent sur le tapis; elle les repousse du pied, saisit un livre et se jette dans un fauteuil. Le président du district entre suivi de douze piques. C'est un ancien rempailleur, nommé Brochet, qui grelotte la fièvre et dont les yeux sanglants nagent dans une perpétuelle horreur. LA PERQUISITION 74

« ne les brûlerait pas, tant elle est lasse de disputer sa vie aux bourreaux.

Mais elle songe à lui, proscrit, dénoncé, recherché, qui se cache dans quelque grenier à l'autre bout de Paris.

Il suffit d'une de ces lettres pour retrouver ses traces et le livrer à la mort. Pierre dort chaudement dans le cabinet voisin; la cuisinière et Nanon se sont retirées dans les chambres hautes.

Le grand silence du temps de neige règne au loin.

L'air vif et pur active la flamme du foyer.

Julie va brûler ces lettres, et c'est une tâche qu'elle ne pourra accomplir, elle le sait, sans de profondes et tristes songeries.

Elle va brûler ces lettres, mais non pas sans les relire. Les lettres sont bien en ordre, car Julie met dans tout ce qui l'entoure l'exactitude de son esprit. Celles-ci, déjà jaunies, datent de trois ans, et Julie revit dans le silence de la nuit les heures enchantées.

Elle ne livre une page aux flammes qu'après en avoir épelé dix fois les syllabes adorées. Le calme est profond autour d'elle.

D'heure en heure, elle va à la fenêtre, soulève le rideau, voit dans l'ombre silencieuse le clocher de Saint-Germain-des-Prés argenté par la lune, puis reprend son oeuvre de lente et pieuse destruction.

Et comment ne pas boire une dernière fois ces pages délicieuses? Comment livrer aux flammes ces lignes si chères avant de les avoir à jamais imprimées dans son coeur? Le calme est profond autour d'elle, son âme palpite de jeunesse et d'amour. Elle lit: "Absent, je vous vois, Julie.

Je marche environné des images que ma pensée fait naître.

Je vous vois, non point immobile et froide, mais vive, animée, toujours diverse et toujours parfaite.

J'assemble autour de vous, dans mes rêves, les plus magnifiques spectacles de l'univers.

Heureux, l'amant de Julie! Tout le charme, parce qu'il voit tout en elle.

En l'aimant il aime vivre; il admire ce monde qu'elle éclaire; il chérit cette terre qu'elle fleurit.

L'amour lui révèle le sens caché des choses.

Il comprend les formes infinies de la création; elles lui montrent toutes l'image de Julie; il entend les voix sans nombre de la nature; elles lui murmurent toutes le nom de Julie.

Il noie ses regards avec délices dans la lumière du jour, en songeant que cette heureuse lumière baigne aussi le visage de Julie, et jette comme une caresse divine sur la plus belle des formes humaines.

Ce soir les premières étoiles le feront tressaillir; il se dira: elle les regarde peut-être en ce moment.

Il la respire dans tous les parfums de l'air.

Il veut baiser la terre qui la porte... "Ma Julie, si je dois tomber sous la hache des proscripteurs, si je dois, comme Sidney, mourir pour la liberté, la mort elle-même ne pourra retenir dans l'ombre où tu ne seras pas mes mânes indignés.

Je volerai vers toi, ma bien-aimée.

Souvent mon âme reviendra flotter en ta présence.

" Elle lit et songe.

La nuit s'achève.

Déjà une lueur blême traverse les rideaux: c'est le matin.

Les servantes ont commencé leur travail.

Elle veut achever le sien.

N'a-t-elle pas entendu des voix? Non, le calme est profond autour d'elle... Le calme est profond; c'est que la neige étouffe le son des pas.

On vient, on est là.

Des coups ébranlent la porte. Cacher les lettres, fermer le bonheur-du-jour, elle n'en a plus le temps.

Tout ce qu'elle peut faire, elle le fait; elle prend les papiers à brassée et les jette sous le canapé dont la housse traîne à terre.

Quelques lettres se répandent sur le tapis; elle les repousse du pied, saisit un livre et se jette dans un fauteuil. Le président du district entre suivi de douze piques.

C'est un ancien rempailleur, nommé Brochet, qui grelotte la fièvre et dont les yeux sanglants nagent dans une perpétuelle horreur.

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