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Rome et l'Empire romain par Jean Gagé Membre du Collège de France Quand

Publié le 05/04/2015

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Rome et l'Empire romain par Jean Gagé Membre du Collège de France Quand l'empereur Julien l'Apostat, se divertissait à la fin de décembre 362, dans l'hiver d'Antioche de Syrie, à composer, dans l'esprit bouffon des " Saturnales ", son Banquet des Césars, il y avait presque exactement quatre siècles que le monde romain avait à son sommet un maître unique, le gouvernant et le représentant. Et, dans cette extraordinaire galerie de " Césars ", dont un grand nombre avaient été divinisés après leur mort, associés aux dieux officiels comme des divi, il y avait eu des tyrans, des fous et des philosophes. Dans la mesure même où Julien, séparé du christianisme, essayait de ramener l'État romain à la discipline du paganisme, l'image qu'il se fait de ses prédécesseurs depuis César et Auguste est tout à la fois sectaire et nourrie d'une sincère passion pour la permanence de cette res publica. A bien regarder, sa perspective est en partie illusoire, puisqu'il met en fait aux origines de Rome, au lieu de son fruste paganisme, le mysticisme et la haute culture de l'hellénisme, que pour lui le fondateur Romulus, toujours vénéré, a créé l'Urbs sous l'inspiration, déjà, du Soleil-Roi ! Mais la sincérité essentielle est là, presque touchante : pour ce Prince, élevé loin de l'Italie, et dans l'hellénisme plus que dans les lettres latines, l'Empire n'a qu'une histoire ; l'Empire n'est qu'un État, et cet État est toujours " romain ". Il est d'autant plus frappant que, dans ce même Banquet satirique, le problème posé devant les dieux, et finalement en forme de " concours ", soit de savoir quel empereur a le mieux égalé ou surpassé Alexandre. On sait de quelle façon plaisante Jules César est raillé de son ambition trop conquérante ; et Trajan évincé à son tour, au profit de Marc Aurèle. Ce choix exprime la préférence naturelle de Julien. Mais, au passage, Auguste a été distingué d'une façon presque inattendue pour nous : car, chaque César ne pouvant s'asseoir à ce festin céleste sans être recommandé par un dieu, et défendu par un avocat contre les critiques sarcastiques de Silène, celui que nous considérons, en général, comme le fondateur de l'Empire, Auguste, n'est admis, grâce à Apollon, que sous promesse d'être confié aux leçons de Zénon : ce maître du Portique, assure le dieu, le transformera en " or pur ". Julien, le dévot de Mithra, ne pouvait penser trop de mal de celui qui avait été, avant lui, " nourrisson d'Apollon ". Un moderne peut s'étonner du rôle ici prêté à Zénon ; mais le satiriste avait ses raisons : à la différence de Jules César, Auguste, selon lui d'abord " caméléon ", avait commencé de concilier le pouvoir avec la sagesse philosophique. Qu'on veuille bien nous excuser d'avoir regardé d'abord la caricature, avant de nous élever vers les modèles. Lorsqu'on parcourt les biographies des empereurs du IIIe siècle, déjà, à travers le recueil de l'Histoire, Auguste, si médiocre que soit en général la qualité de ces " Vies " impériales, et en tenant compte de leur date tardive (puisque les études abaissent le travail de compilation jusque vers la fin du IVe siècle), l'on remarque que, lors de la crise où déclina si gravement la culture antique - la latine au moins - les Princes, ou ceux qui les acclament, se réfèrent, non seulement aux grands noms antérieurs de l'histoire impériale (on souhaite à un nouvel empereur d'être " plus heureux qu'Auguste, meilleur que Trajan "), mais aux héros de l'époque républicaine, comme les Scipions. Quelques nostalgies des cercles sénatoriaux ont pu contribuer à la popularité de ces souvenirs ; mais, surtout, il y avait conscience d'une continuité. Parce que, lors même que le pouvoir impérial avait atteint, sur le plan politique et administratif la toute-puissance bureaucratique, sur le plan religieux la forme théocratique, l'empereur restait le représentant de la res publica, légiférait au nom du populus Romanus. Fiction hypocrite ? Conventions attardées de vocabulaire ? Tout moderne sera d'abord tenté d'en juger ainsi. Cependant, quelques éléments sérieux, et pour ainsi dire sincères, sont à retenir. Remarquons d'abord que si, durant toute la période impériale, le monde romain ne connaît pratiquement " d'hommes d'État " que parmi ses empereurs, ce n'est pas exclusivement parce que la prépondérance de l'autorité impériale décourage ou rend invisible une oeuvre politique en dehors de celle du Prince. Il a été fréquent que des monarchies modernes, dans le principe plus absolues que celle de l'Empire romain, connussent, même sous un roi prestigieux, un ministre laissant sa marque sur les affaires de l'État. D'Auguste à Théodose, on trouverait difficilement un exemple équivalent, sauf dans la mesure où justement Auguste se laissa longtemps servir par un compagnon comme Agrippa. Aussi bien certains modernes ont-ils parlé d'un essai de " dyarchie ", d'Empire à deux têtes. Le pouvoir impérial sera plusieurs fois partagé, par Marc Aurèle, et volontairement, avec son frère adoptif Lucius Verus, par Septime Sévère avec ses deux fils. Mais ces associations, qui ne pouvaient dissimuler le rôle prépondérant d'un Auguste, n'ont comporté ni partage d'attributions, ni divisions territoriales avant l'époque tétrarchique au moins. Rome, en effet, était indivisible, et la pluralité des empereurs ne commencera d'être concevable, à la fin du IIIe siècle, que lorsque la Ville ne restera plus l'unique capitale de fait. Le mot célèbre de Louis XIV, " l'État, c'est moi ", ne s'appliquerait que par contresens à cette incroyable absorption de la res publica romaine par l'empereur ; car, lorsqu'il fut prononcé au XVIIe siècle, il exprimait le ressaisissement de l'État par le roi lui-même, après des tentatives à ses yeux usurpatrices, soit des nobles, soit de Cours de justice. Le mouvement a été en quelque sorte inverse pour l'empereur romain. Tant que le Sénat et l'armée se sont entendus, au moins conventionnellement, pour l'acclamer, investiture qui gardait quelque valeur lors même que, le prédécesseur abattu, le nouveau Prince avait été porté au pouvoir par une conjuration de prétoriens (garnisaires de Rome) ou d'un groupe de légions en province, l'imperator, qui était aussi le Princeps, a assum&eacu...

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