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ACTE III, SCENE VI - CORNEILLE : LE CID

Publié le 05/07/2011

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corneille

DON DIÈGUE. Porte, porte plus haut le fruit de ta victoire. Je t'ai donné la vie, et tu me rends la gloire; Et, d'autant que l'honneur m'est plus cher que le jour, D'autant plus maintenant je te dois de retour. Mais d'un cœur magnanime éloigne ces faiblesses; Nous n'avons qu'un honneur, il est tant de maîtresses ! L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur est un devoir.

DON RODRIGUE. Ah! que me dites-vous?

DON DIÈGUE. Ce que tu dois savoir.

DON RODRIGUE. Mon honneur offensé sur moi-même se venge, Et vous m'osez pousser à la honte du change! L'infamie est pareille, et suit également Le guerrier sans courage et le perfide amant. A ma fidélité ne faites point d'injure; Souffrez-moi généreux sans me rendre parjure; Mes liens sont trop forts pour être ainsi rompus, Ma foi m'engage encor si je n'espère plus; Et, ne pouvant quitter ni posséder Chimène, Le trépas que je cherche est ma plus douce peine.

DON DIÈGUE. Il n'est pas temps encor de chercher le trépas; Ton prince et ton pays ont besoin de ton bras. La flotte qu'on craignait, dans ce grand fleuve entrée, Croit surprendre la ville et piller la contrée. Les Mores vont descendre ; et le flux et la nuit Dans une heure, à nos murs, les amènent sans bruit. La cour est en désordre, et le peuple en alarmes: On n'entend que des cris, on ne voit que des larmes. Dans ce malheur public mon bonheur a permis Que j'aie trouvé chez moi cinq cents de mes amis, Qui, sachant mon affront, poussés d'un même zèle. Se venaient tous offrir à venger ma querelle. Tu les as prévenus ; mais leurs vaillantes mains Se tremperont bien mieux au sang des Africains. Va marcher à leur tête où l'honneur te demande: C'est toi que veut pour chef leur généreuse bande. De ces vieux ennemis va soutenir l'abord: Là, si tu veux mourir, trouve une belle mort; Prends-en l'occasion, puisqu'elle t'est offerte; Fais devoir à ton roi son salut à ta perte. Mais reviens-en plutôt les palmes sur le front; Ne borne pas ta gloire à venger un affront ; Porte-la plus avant, force par ta vaillance Ce monarque au pardon et Chimène au silence. Si tu l'aimes, apprends que revenir vainqueur, C'est l'unique moyen de regagner son cœur. Mais le temps m'est trop cher pour le perdre en paroles; Je t'arrête en discours, et je veux que tu voles. Viens, suis-moi, va combattre, et montrer à ton roi Que ce qu'il perd au comte il le recouvre en toi.

L'ensemble. — Ce passage introduit un élément, une péripétie importante dans la pièce du Cid : le combat des Maures, par lequel Rodrigue va, d'une part, se rendre indispensable au roi par sa valeur et, d'autre part, faire éclater davantage l'amour que Chimène n'a cessé de lui porter. On remarquera ici le caractère viril de don Diègue, son mépris de l'amour et la conviction avec laquelle il indique à son fils d'autres buts dans la vie : le dévouement à la patrie et le sacrifice militaire. Cet état d'esprit est bien celui du temps où se passe la pièce, et aussi du début du XVIIe siècle, au moment où se sont développées, après la contre-réforme et le Concile de Trente, des idées de perfectionnement moral et religieux et de stoïcisme chrétien.   

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