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ACTE IV, SCENE II : CINNA (CORNEILLE)

Publié le 05/07/2011

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corneille

AUGUSTE. Ciel, à qui voulez-vous désormais que je lie Les secrets de mon âme et le soin de ma vie? Reprenez le pouvoir que vous m'avez commis, Si, donnant des sujets, il ôte les amis; Si tel est le destin des grandeurs souveraines Que leurs plus grands bienfaits n'attirent que des haines, Et si votre rigueur les condamne à chérir Ceux que vous animez à les faire périr. Pour elles rien n'est sûr: qui peut tout doit tout craindre. Rentre eu toi-même, Octave, et cesse de te plaindre. Quoi! tu veux qu'on t'épargne, et n'as rien épargné! Songe aux fleuves de sang où ton bras s'est baigné, De combien ont rougi les champs de Macédoine, Combien en a versé la défaite d'Antoine, Combien celle de Sexte, et revois tout d'un temps Pérouse au sein noyé, et tous ses habitants; Remets dans ton esprit, après tant de carnages, De tes proscriptions les sanglantes images, Où toi-même, des tiens, devenu le bourreau, Au sein de ton tuteur enfonças le couteau, Et puis ose accuser le destin d'injustice Quand tu vois que les tiens s'arment pour ton supplice; Et que par ton exemple, à ta perte guidés, Ils violent les droits que tu n'as pas gardés! Leur trahison est juste, et le ciel l'autorise. Quitte ta dignité comme tu l'as acquise: Rends un sang infidèle à l'infidélité, Et souffre des ingrats après l'avoir été. Mais que mon jugement au besoin m'abandonne! Quelle fureur, Cinna, m'accuse et te pardonne? Toi, dont la trahison me force à retenir Ce pouvoir souverain dont tu me veux punir, Me traite en criminel, et fait seule mon crime, Relève pour l'abattre un trône illégitime, Et, d'un zèle effronté couvrant son attentat, S'oppose, pour me perdre, au bonheur de l'Etat? Donc! jusqu'à l'oublier je pourrais me contraindre! Tu vivrais en repos après m'avoir fait craindre! Non, non, je me trahis moi-même d'y penser: Qui pardonne aisément invite à l'offenser; Punissons l'assassin, proscrivons les complices. La vie est peu de chose, et le peu qui t'en reste Ne vaut pas l'acheter pour un prix si funeste; Meurs, mais quitte du moins la vie avec éclat, Eteins-en le flambeau dans le sang de l'ingrat, A toi-même en mourant immole ce perfide : Contentant ses désirs, punis son parricide ; Fais un tourment pour lui de ton propre trépas, En faisant qu'il le voie et n'en jouisse pas; Mais jouissons plutôt nous-même de sa peine ; Et, si Rome nous hait, triomphons de sa haine. O Romains ! ô vengeance ! ô pouvoir absolu ! O rigoureux combat d'un cœur irrésolu Qui fuit en même temps tout ce qu'il propose! D'un prince malheureux ordonnez quelque chose. Qui des deux dois-je suivre et duquel m'éloigner? Ou laissez-moi périr, ou laissez-moi régner.

L'ensemble. — Ce monologue si célèbre est un exemple de l'analyse intérieure que Corneille a su mettre à la base du théâtre classique. Nous y trouvons tous les éléments de la « crise «, l'exposé des mobiles, des motifs, l'examen de la détermination. Auguste découvre toutes les nuances de son caractère, il fait preuve d'une courageuse lucidité et sait reconnaître ses fautes. Corneille' se révèle encore, là, écrivain politique : il met en valeur tous les devoirs, toutes les tâches d'un chef d'Etat, toutes les embûches qui se dressent devant lui. Le public du temps s'est plu à être ainsi associé aux préoccupations et aux inquiétudes des grands, à être introduit dans le mystère de leur cc cabinet «.   

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