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Antonin Artaud "le Théâtre Et La Cruauté"

Publié le 16/03/2011

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artaud

Malgré qu’il est quitté le groupe des surréalistes Antonin Artaud continuera à travailler sur une transformation de la littérature et du théâtre. C’est ce dernier qui est le point essentiel de l’œuvre littéraire de l’écrivain. Il est d’ailleurs l’auteur d’une pensée sur le théâtre qui cherche à rompre tout lien avec ces prédécesseurs. La citation qui nous est proposée est issue de cette réflexion dans le Théâtre et la cruauté :  « Nous voulons faire du théâtre une réalité à laquelle on puisse croire, et qui contienne pour le cœur et les sens cette espèce de morsure concrète que comporte toute sensation vraie. De même que nos rêves agissent sur nous et que la réalité agit sur nos rêves, nous pensons qu’on peut identifier les images de la poésie à un rêve, qui sera efficace dans la mesure où il sera jeté avec la violence qu’il faut. Et le public croira aux rêves du théâtre à condition qu’il les prenne vraiment pour des rêves et non pour le calque de la réalité ; à condition qu’ils lui permettent de libérer en lui cette liberté magique du songe qu’il ne peut reconnaître qu’empreinte de terreur et de cruauté. « Comment Antonin Artaud voit-il une nouvelle représentation théâtrale ? Et comment cherche-t-il à entreprendre une nouvelle réalité ? Pour répondre à cela nous verrons le théâtre entre rêve et réalité, le besoin de revenir aux sources et enfin, le théâtre comme une réalité. 

 

   I- Le théâtre entre rêve et réalité : 

 

1 – Le besoin d’identification : 

 

Antonin Artaud au début de sa citation amène une critique sur la représentation théâtrale. Il démontre que les dramaturges souhaitent représenter une réalité auxquelles les spectateurs peuvent s’identifier. Ce théâtre serait donc un jeu de miroir avec la réalité. Pour que le spectateur puisse se confondre à ce qui est mis en scène, il faut donc que la représentation corresponde à ce qu’il connait. Ce théâtre est celui qui touche « le cœur et les sens « et passe donc par l’affectif, par le ressenti que peuvent avoir les spectateurs. Ces derniers s’identifient à ce qu’ils voient sur scène car la situation leur est familière, en cela ils se sentent concernés. Cependant, comme le désigne Artaud, cela amène aux spectateurs « une morsure concrète« puisqu’elle est liée aux « sensations vraies « que nous retrouvons dans la réalité. En effet, ce théâtre souhaitant montrer aux spectateurs un spectacle qui leur est familier, cela les obligent à s’identifier à ce qui leur est présenté sur scène. Cependant, comme disait Peter Brook, dans Le diable c’est l’ennui : « On va au théâtre pour retrouver la vie mais s'il n'y a aucune différence entre la vie en dehors du théâtre et la vie à l'intérieur, alors le théâtre n'a aucun sens « (p15). Ce théâtre que critique Artaud est plus proche d’une description du réel que d’un imaginaire puisqu’il ne peut laisser aucune place à la perception de chacun. 

 

2- Rêver le théâtre :

 

Pour pallier à ce qu’il reproche à la représentation théâtrale,  Artaud propose de rêver le théâtre. Même si le spectateur peut s’identifier à ce qui est dépeint devant lui, il doit prendre suffisamment de recul pour pouvoir le faire. Ainsi, en laissant comprendre aux spectateurs que ce ne sont que des « rêves du théâtre «, cela permet à ces derniers d’être plus profondément touchés. Le spectateur doit comprendre que ce qu’il lui est présenté est de l’imaginaire et non une copie de la réalité pour que cela puisse fonctionner : « Et le public croira aux rêves du théâtre à condition qu’il les prenne vraiment pour des rêves « . Nous voyons l’importance que donne Artaud aux rêves et l’évolution de la représentation théâtre qu’il souhaite amener. Bachelard, dans La poétique de la Rêverie disait «  dans leur être actuel, les mots en amenant des songes, deviennent des réalités « (chap I, p42) et c’est bien cette approche que veut produire Artaud. Ce dernier a fait parti du mouvement surréaliste, et la dimension onirique qu’il chercher à reproduire au théâtre se rapproche des conceptions du groupe. Les rêves représentent le moment où notre inconscient est enfin libéré de la raison. L’imagination permet donc de retrouver une réelle perception des choses et de découvrir des réalités cachées en chacun de nous. Ainsi, Artaud propose une autre construction de la représentation théâtrale. Et le théâtre par les rêves deviendrait donc réalité. 

 

3-  L’imaginaire permet d’arriver à la réalité :

Ce que souhaite montrer l’auteur est l’imaginaire dont peut faire preuve le spectateur. En effet, ce dernier en rêvant, en imaginant les scènes qui se passent devant lui peut être transporter. Et, c’est seulement grâce à cela, que ce dernier pourra subir une transformation. Puisque comme le déclare Artaud « nos rêves agissent sur nous et […] la réalité agit sur nos rêves «. Donc c’est l’imagination du spectateur qui lui permettra de mieux éprouver une scène mais aussi de subir une évolution dans la réalité. De plus, comme l’explique Artaud dans  Le théâtre de la cruauté (Second manifeste, p174) : «et dans l’homme [le théâtre]fera entrer non seulement le recto mais aussi le verso de l’esprit ; la réalité de l’imagination et des rêves y apparaîtra de plain-pied avec la vie « L’imaginaire serait donc ce qui permet au théâtre d’ouvrir la porte de l’inconscient chez le spectateur et cela peut lui permettre d’évoluer. En effet, l’inconscient guidé par l’imagination agirait donc sur la vie du spectateur et sur la façon dont il agit dans la réalité. Pour Antonin Artaud l’imaginaire amenait par « les rêves du théâtre « permet une réflexion aux spectateurs non parce qu’il représente « un calque de la réalité « mais bien au contraire parce qu’il s’en éloigne.  

 

Le spectateur peut donc s’identifier à une représentation théâtrale si cette dernière s’éloigne d’une réalité préconçue. Ainsi, Antonin Artaud démontre l’importance de l’imaginaire dans le théâtre pour aider le spectateur à évoluer. 

 

   II- Le retour aux sources :

 

1 –  Le besoin de revenir aux sources

 

La seule solution selon Artaud serait donc un retour aux sources. Ainsi, seulement ces dernières pourraient redonner au théâtre sa force créatrice. Il faut donc ramener le théâtre à une authenticité pour que ce dernier puisse enfin être révélateur pour le spectateur. Et par ce retour, Artaud souhaite amener le spectateur vers un imaginaire ancien, où le théâtre était sacré et magique. Ainsi, le spectateur se révèle à lui-même et découvre autre chose de plus profond. Artaud en voulant « la liberté magique du songe «, en cherchant les rêves des spectateurs pense que le théâtre atteindrait le monde profond de l’individu, et opérerait en lui une transformation interne. Le spectateur ne sortirait donc pas indemne d’une représentation théâtrale car cette dernière l’aura fait évoluer et lui aura permis de voir ce qui l’entoure. Cela amènerait donc pour ce dernier une découverte de la réalité. En effet, en se connaissant lui-même, il pourra désormais mieux interpréter ce qui l’entoure. 

 

2-  La mimésis : 

 

Nous pourrions penser qu’Artaud souhaite rapprocher son théâtre de la mimésis développée par Aristote dans La Poétique.  La mimesis servant à qualifier à la fois l’action d’imiter un modèle, mais également le résultat de cette action. La mimésis est  « une création artistique considérée comme une imitation du monde « (définition Le Robert).  Cependant, pour Artaud, il faut que le spectateur est conscience de le théâtralité de la pièce et il ne doit pas prendre le théâtre comme « le calque de la réalité «. C’est donc à l’auteur de théâtre d’être démiurge, et de montrer aux spectateurs une illusion vraie. Il le déclare lui-même dans le Théâtre de la Cruauté, p109 « Le théâtre ne pourra redevenir lui-même , c’est-à-dire constituer un moyen d’illusion vraie, qu’en fournissant au spectateur des précipités véridiques de rêves «. Le spectateur doit être conscient qu'il s'agit non d’une réalité mais d'un discours sur le réel. Ainsi, il pourra purger ses passions puisqu’il est conscient de l’illusion théâtrale et qu’il y participe de son plein-gré. 

 

3-  Une nouvelle sorte d’écriture : 

 

Grâce à cela, Artaud souhaite amener une nouvelle écriture théâtrale pour que le spectateur puisse trouver sa place entre la réalité et les rêves.  L’auteur pense que nous pouvons identifier « les images de la poésie à un rêve «. Lorsque le poète écrit, il arrive à faire ressentir des images aux lecteurs grâce au pouvoir de la parole, permettant à ces derniers de rêver. Le dramaturge doit arriver à reproduire la même envie chez le spectateur. Ainsi, le texte théâtral serait égal au texte poétique par la portée qu’il peut amener sur le spectateur. Artaud veut changer le théâtre et les images qu’il souhaite transmettre au public devront être comparables à celles de la poésie. Par la comparaison du théâtre à cette dernière, Artaud intensifie la portée que peut avoir le langage théâtral. Breton dans son Introduction au discours sur le peu de réalité se demandait si : « La médiocrité de notre univers ne dépend-elle pas essentiellement de notre pouvoir d'énonciation ? « La poésie permettant souvent de faire passer un message, il doit en être de même avec le théâtre. Artaud souhaite  donc inventer une nouvelle sorte de langage théâtral, et, par ce dernier dénoncer l’absurdité du monde. Ainsi, chaque spectateur pourrait opter pour un changement dans sa vie ou dans sa vision de la vie.

 

Le retour aux sources que propose Antonin Artaud sert à s’en inspirer. En effet, il souhaite aller encore plus loin dans sa recherche d’une nouvelle représentation théâtrale. 

 

   III- Théâtre comme une nouvelle réalité :

 

1-  Le réalisme théâtral :

De plus, le réalisme théâtral que critique Antonin Artaud au début de sa citation est lié au psychologique. Nous trouvons cet aspect dans le théâtre racinien, dans Britannicus  par exemple, Racine montre aux spectateurs une quête du pouvoir. A travers cette pièce, le dramaturge propose le spectacle d’une nature humaine plongée  au cœur d’une lutte entre le bien et le mal. Ainsi  pour Artaud, le théâtre qui se sert du « cœur et [d]es sens « des spectateurs  pour amener une réaction, doit évoluer. Il déclarait dans Le théâtre de la Cruauté : « Il s’agit donc pour le théâtre, de créer une métaphysique de la parole, du geste, de l’expression, en vue de l’arracher à son piétinement psychologique et humain « (Premier Manifeste, p107) . Le théâtre que propose Artaud serait donc comme une sorte de « théâtre pur « où la représentation aurait sa propre expression et le psychologique aucune implication. Ainsi, le spectateur délivré du côté psychologique du théâtre pourrait pleinement participer à ce dernier. Et l’identification ressenti ne serait plus passive mais bien active. En effet, ce ne serait plus le dramaturge, qui par l’écriture de sa pièce, imposerait les sentiments que provoqueraient son théâtre, mais bien le spectateur qui ressentirait la représentation à sa manière. 

2-  Le théâtre de la cruauté :

 

Nous retrouvons dans la citation d’Artaud, l’idée antique d’un théâtre purificateur par le moyen de la représentation dramatique comme le pensait Aristote. Où les spectateurs venant voir la pièce, s’identifient et peuvent donc se libérer de leur angoisse, de leur pulsion, de leur fantasme. Le théâtre étant ici une sorte de catharsis. Cependant, Artaud réfute la finalité de cette pensée catharsique comme le voyait Aristote.  En effet, le spectateur délivré ne doit pas revenir à la société comme il était. Pour lui, ce sont les rêves amenés par le théâtre qui doivent permettre au spectateur d’évoluer et de « libérer en lui cette liberté magique du songe «. Artaud propose donc une rénovation du langage théâtral et une nouvelle conception de ce dernier, qu’il baptise « théâtre de la cruauté «.  Selon les derniers termes de la citation, cette liberté devrait être « empreinte de terreur et de cruauté «. Le spectateur serait donc atteint de la façon la plus profonde et violente par la représentation théâtrale. Nous pouvons comprendre ces deux termes comme une violence faite aux spectateurs, comme si Artaud souhaitait traumatiser les spectateurs par la représentation scénique. Cependant, il faut aussi entendre la cruauté comme ce qui nous fait vivre, nous bouleverse, comme une force de vie.  C’est son monde intérieur que le spectateur projette lui-même sur l’espace scénique et c’est par cela qu’il va réussir à se libérer  et à changer. 

 

3-  Une nouvelle réalité :

En cela nous voyons qu’Artaud souhaite penser différemment le réel. Comme ces contemporains, il cherche une nouvelle façon de représenter la réalité. Nous trouvons ce même questionnement avec le théâtre de l’absurde, ce dernier cherchant à montrer une existence dénuée de sens. Ionesco par exemple, avec sa pièce la Cantatrice Chauve qui met en évidence l’absurdité de la vie quotidienne par un ensemble de dialogues décousus. Pour Artaud: « On ne peut continuer à prostituer l’idée de théâtre qui ne vaut que par une liaison atroce, avec la réalité « (Premier Manifeste du Théatre de la Cruauté, p106). Pour l’auteur il faudrait faire rentrer un côté mystique, « cette liberté magique « dans la représentation théâtrale. Ainsi l’imaginaire du spectateur se trouverait pleinement satisfait, plus rien ne pourrait le rapprocher d’une reproduction vraiment identique du réel et le « public croira [enfin] aux rêves du théâtre «. Nous pouvons voir ici, la nouvelle forme de réalité que propose Artaud pour le théâtre. Ainsi ce dernier, ne serait pas seulement une représentation de la réalité mais formerait avec le spectateur une nouvelle réalité. 

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