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Apollinaire : Les Femmes

Publié le 05/12/2010

Extrait du document

apollinaire

APOLLINAIRE : LES FEMMES

 

Dans la maison du vigneron les femmes cousent

Lenchen remplis le poêle et mets l'eau du café

Dessus - Le chat s'étire après s'être chauffé -

Gertrude et son voisin Martin enfin s'épousent

 

Le rossignol aveugle essaya de chanter

Mais l'effraie ululant il trembla dans sa cage

Ce cyprès là-bas a l'air du pape en voyage

Sous la neige - Le facteur vient de s'arrêter

 

Pour causer avec le nouveau maître d'école

- Cet hiver est très froid le vin sera très bon

- Le sacristain sourd et boiteux est moribond

- La fille du vieux bourgmestre brode une étole

 

Pour la fête du curé La forêt là-bas

Grâce au vent chantait à voix grave de grand orgue

Le songe Herr Traum survint avec sa sÏur Frau Sorge

Kaethi tu n'as pas bien raccommodé ces bas

 

- Apporte le café le beurre et les tartines

La marmelade le saindoux un pot de lait

-Encore un peu de café Lenchen s'il te plaît

On dirait que le vent dit des phrases latines

 

- Encore un peu de café Lenchen s'il te plaît

- Lotte es-tu triste O petit cÏur - Je crois qu'elle aime

- Dieu garde - Pour ma part je n'aime que moi-même

- Chut A présent grand-mère dit son chapelet

 

- Il me faut du sucre candi Leni je tousse

- Pierre mène son furet chasser les lapins

Le vent faisait danser en rond tous les sapins

Lotte l'amour rend triste - Ilse la vie est douce

 

La nuit tombait Les vignobles aux ceps tordus

Devenaient dans l'obscurité des ossuaires

En neige et repliés gisaient là des suaires

Et des chiens aboyaient aux passants morfondus

 

Il est mort écoutez La cloche de l'église

Sonnait tout doucement la mort du sacristain

Lise il faut attiser le poêle qui s'éteint

Les femmes se signaient dans la nuit indécise

 

Apollinaire, « Rhénanes «, Alcools, 1913.

 

INTRODUCTION :

 

· Présentation du poème : Ce poème est composé de neuf quatrains en alexandrins rimés (schéma de rimes : ABBA), relève de l'esthétique du quotidien qui caractérise certaines des "Rhénanes". Il peint l'intérieur humble et les activités domestiques de la "maison du vigneron" où des femmes conversent paisiblement en évoquant leur monde familier.

 

· Intérêt du texte : Intégrant des fragments de dialogue, matérialisés par l'italique, à des parties descriptives, ce poème laisse entendre plusieurs voix juxtaposées qui suggèrent plus qu'elles ne racontent des histoires banales, chronique d'un village. Mais cette banalité rassurante devient inquiétante et finit par s'assombrir.

 

· Hypothèse de lecture : Il s'agit d'examiner comment les ressorts d'une organisation poétique décousue et discontinue contribuent à transformer progressivement le quotidien apaisant en un univers mystérieux et menaçant.

 

LECTURE DU TEXTE

 

ANNONCE DU PLAN CHOISI

 

Un analyse thématique selon trois axes :

 

- Un canevas décousu

 

- Un monde familier

 

- Un monde fissuré

 

EXPLICATION DU TEXTE

 

1) Un canevas décousu

 

Il faudrait insister tout d'abord sur le caractère morcelé, décousu du texte, sur lequel notre attention est attirée d'emblée, puisque par contraste "les femmes cousent" (v. 1). Voyez comment ce décousu se traduit ici en étudiant par exemple la manière dont les propos des femmes sont insérés dans un cadre descriptif ou narratif (strophes 1, 2, 4, 9 notamment), et surtout la manière dont il sont juxtaposés. Vous constaterez que leur disposition n'obéit pas au suivi linéaire (strophes 3 et 17), même si on discerne ici et là l'esquisse d'une structure de dialogue enchaîné (strophes 5 et 6). Mais le décousu affecte aussi les rapports du vers et de la phrase : relevez dans ce poème des rejets ou des enjambements et demandez-vous quels effet ils produisent.

 

2) Un monde familier

 

Le poème suggère par touches et allusion du monde quotidien, aux activité banales (préparation du café, couture, broderie, chasse), au décor apaisant (le feu du poêle, le chat...) et aux personnages familiers (notez les prénoms et la présence de l'article de notoriété devant certains noms : le facteur, le sacristain, la fille du vieux bourgmestre). Et même lorsque les peines de l'amour sont évoquées (sur le mode de l'indiscrétion à la strophe 6, puis sur le mode maxime de sagesse dans la strophe suivante), elle ne gâtent en rien le paix et la douceur qui émanent de ce tableau domestique : "Ilse la vie est douce", autre maxime de sagesse qui fait contrepoids à celle qui précède : "Lotte l'amour rend triste".

 

3) Un monde fissuré

 

Mais cet univers de sérénité est progressivement contaminé, fissuré par le mystère, l'inquiétude et la mort. en effet, le mystère d'abord introduit par l'opposition symbolique du rossignol et de l'effraie (strophe 2) : l'oiseau de nuit apporte un climat d'inquiétude qui va envahir le paysage extérieur (strophe 4 : analysez l'image du "grand orgue" solennel de la forêt) et gagner la paix de l'intérieur, comme l'indique l'apparition personnifiée, merveilleuse et mystérieuse du songe ("Herr Traum") et de sa soeur le souci ("Frau Sorge"). Dès lors, Lotte est surprise rêveuse, attristée. A cela s'ajoute la composante funèbre, amorcée au vers 11 et développée dans les deux dernières strophes, où il importe d'étudier les images et l'atmosphère assombrie qui y domine.

 

CONCLUSION :

 

Dans ce poème, la chaleur du cadre et l'entrain des propos décousus - ce concert en mineur de voix familières - dissimulent mal la présence contagieuse de la mort. La douceur du foyer est comme absorbée par "la nuit indécise". Sur le plan formel, ce texte annonce les poèmes-conversations qu'Apollinaire rassemblera dans son recueil Calligrammes (1918).

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