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L'Art Est-Il Inutile ?

Publié le 03/04/2011

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Notre rapport à l’art est complexe, nous prenons en compte l’appartenance des d’oeuvres à des formes d’art particulières, chacune avec ses codes et son histoire, nous voulons y trouver une expression, une émotion, un message…mais nous nous permettons de dire que telle œuvre est belle et que telle autre ne l’est pas, notre jugement va même parfois jusqu’à penser que les œuvres d’art ne sont là que pour remplir les musées et les salons. Mais au-delà des ces considérations superficielles, l’art pourrait avoir un sens, celui de nous faire voir la réalité autrement. Certes, l’art n’a peut-être pas d’utilité immédiate, cependant il peut nous ouvrir au monde, nous conduire vers la contemplation du beau.

N’est-ce pas l’inutilité de l’art qui fait sa richesse ? Nous verrons tout d’abord que l’art peut être considéré comme quelque chose d’inutile. Puis nous tenterons de saisir l’œuvre d’art dans ce qu’elle peut avoir d’utile pour l’artiste et pour le monde. Pour enfin nous intéresser au  sens de l’art.

 

Du point de vue du sens commun, l’utile est ce qui vise l’efficacité, la fiabilité. Or, l’art, vu par ce même sens commun, ne cherche pas la productivité efficace ou fiable. Le sens commun a tendance à saisir les objets par leur usage, l’art n’a pas d’usage particulier, il ne conserve pas la vie. Alors, le sens commun cherchera la technique de l’artiste, il décomposera pour trouver sa finalité, son but. Mais l’œuvre d’art s’impose à nous comme une réalité indécomposable. C’est l’artiste qui est cause de ce qu’il fait : en effet, dans la technique, les règles sont données à l’avance pour être répétées et faciliter la multiplication des produits fabriqués, alors que dans l’art, la règle se fait oublier dans l’ouvre, « l’artiste est spectateur aussi de son œuvre en train de naître «. C’est ce que nous explique Alain. L’œuvre d’art garde quelque chose de naturel car on ne voit plus la technique. Devant un objet technique, nous pouvons expliquer car nous le saisissons grâce à des connaissances, des concepts que nous lui appliquons. Nous allons du sujet connaissant vers l’objet étudié, Kant parlera de « jugements déterminants «. En effet, la plupart du temps, le sens commun est soucieux de la vérité d’un objet : on juge la perfection technique d’un objet donc la valeur marchande, son usage, en appréciant l’adéquation de celui-ci à son concept. Mais le principe d’adéquation ne peut pas s’appliquer dans l’art parce que l’œuvre va vers le spectateur et plusieurs interprétations sont possibles. Kant parlera alors de « jugements réfléchissants «, car l’œuvre d’art suscite en nous des sentiments, des émotions et il n’est pas question de concept : seul l’état du sujet est important, la nature de l’objet représenté n’est que secondaire, voire inexistante. Donc, d’après le sens commun, l’art est a priori inutile : il n’a pas d’usage particulier, comme la règle tend à disparaître dans l’art, les œuvres sont ainsi inimitables ; elles ne peuvent donc être reproduites à des milliers d’exemplaires et pour finir, le jugement que l’on peut porte sur les œuvres est totalement subjectif.

C’est justement sur ce jugement, basé sur tout ce qui est sensible en nous, que Platon critique l’art dans son rapport à la réalité. En ce sens l’art est inutile car il produit une illusion, un mensonge, un simulacre. L’artiste est enfermé dans le monde sensible, une réalité fondée sur les sens, il ne peut alors que reproduire le « pâle reflet de la nature «, l’artiste n’invente rien, il peint ce qui existe déjà, surtout en s’inspirant de la réalité, il la trahit. Les œuvres d’art nous paraissent très réelles car elles nous renseignent sur la réalité mais elles ne sont pas plus vraies que la réalité que l’artiste copie. L’artiste est infidèle, dans le sens où il ne connaît même pas la réalité qu’il représente. Platon utilise l’exemple d’un peintre qui peindrait un lit. Il nous fait croire que sa réalité est plus vraie que nature, alors qu’il ne connaît pas l’objet : il ne sait pas fabriquer un lit. Il nous donne une réalité dégradée car il n’occupe que le dernier rang dans le rapport à la vérité et à la réalité de l’objet. Avant lui, il y a celui qui a l’idée du lit, puis l’artisan qui, suivant les règles du concepteur, produit le lit  alors que l’artiste reproduit de simples copies. Pascal dira même : « quelle vanité que la peinture qui force l’admiration pour la ressemblance des objets dont on n’admire point les originaux. « Pour Platon, l’artiste nous détourne du vrai car il nous éloigne de l’intelligible. La réalité n’est pas matérielle, sensible, mais dans l’Idée qui informe la réalité matérielle qui est la nôtre. L’Idée nous libère du sensible pour nous élever vers l’intelligible. Mais l’artiste se contente de reproduire la réalité sensible : l’art figuratif, les représentations de la nature…Platon pourrait trouver un sens à l’œuvre de Klein, avec son bleu IKB3 par lequel il a « matérialisé l’immatériel «. Il a représenté une idée en utilisant le monochrome comme un dépassement absolu de l’esthétique du matériel. Mais, encore une fois, pour le sens commun, l’art n’est pas utile : ce n’est qu’un bleu parmi beaucoup d’autres. Donc, non seulement l’art n’a aucun usage précis, mais il ne produit qu’une illusion, éloignée de toute réalité concrète.

 

Mais aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, l’utile a un autre sens : l’utile se définit comme ce qui produit de la richesse, or comme les œuvres d’art s’inscrivent dans le temps, elles ont une valeur inestimable : certains collectionneurs peuvent dépenser une fortune pour les acquérir. Les œuvres d’art sont donc utiles au sens le plus mercantile du terme car elles gardent une actualité, au contraire des objets techniques, qui disparaissent, sont remplacés par d’autres, plus performants. De plus aujourd’hui la culture est devenue un marché : on vient du bout du monde pour admirer La Joconde ou pour voir les pyramides d’Egypte. L’art génère donc de la richesse. Mais cette utilité est bien médiocre, la véritable utilité de l’art réside ailleurs.

En effet, l’œuvre d’art est avant tout une expression de soi. C’est une production personnelle. L’art relève d’une décision, d’un choix délibéré pour produire quelque chose. L’artiste a un projet. Au contraire des productions de la nature, qui sont instinctives. On peut dire que les productions d’abeilles sont des œuvres d’art mais ce serait par analogie, car elles ne sont basées sur aucune réflexion. L’œuvre d’art est le résultat du libre-arbitre qui coïncide avec la raison : l’art fait quelque chose, il produit alors que la nature agit, elle effectue. Les productions de l’art sont considérées comme des œuvres alors que celles de la nature ne sont que des effets car elles sont nécessaires et sans conscience. Il y a derrière l’art une intention de l’artiste. Aristote saisit l’art comme « une certaine disposition à produire, accompagnée de règles « : l’artiste amène à l’existence des choses contingentes. L’art bouleverse notre perception des choses, il nous fait regarder les choses avec un autre regard. L’art nourrit notre être profond car selon Klee, « L’artiste rend visible l’invisible «. L’art ne se contente pas de reproduire le visible : c’est ce qui nourrit sa distance avec la nature. Victor Hugo disait que « l’œuvre d’art est à l’homme ce que la nature est à Dieu «La nature est à elle-même sa propre fin. L’homme voulait créer quelque chose qui aurait « une finalité sans fin «, mais qui lui serait propre.

Donc l’art, à la différence de la nature, naît d’une intention qui nous réconcilierait avec nous-mêmes puisque l’art relierait notre intellect à la réalité sensible. C’est la vision de l’art que défend Hegel pour qui l’art serait une manifestation de l’Esprit. L’artiste serait celui par lequel nous appréhenderions les concepts, l’art serait la médiation de l’idée qui viendrait s’extérioriser par lui. Puisque seul le spirituel est vrai, il voit en l’esthétique la philosophie des beaux-arts. Elle examine comment, selon les arts, l’esprit peut s’exprimer. Or le beau « naturel «, un coucher de soleil, par exemple, ne constitue pas un objet esthétique, au contraire des œuvres d’art qui sont transfigurées par l’esprit. Ainsi, tout ce qui porte la subjectivité de l’homme est plus réel que la nature. Pour Hegel, l’artiste ne nous apprend pas à voir ce qu’on ne voit plus : il extériorise sa vision du monde dans l’art, son esprit. Nous pouvons reprendre l’exemple de Klein et de sa couleur bleue IKB3 : il s’est réalisé, il a extériorisé ses idées. Donc, du point de vue de Hegel, l’art est utile car c’est une manifestation de l’esprit. L’artiste permet ainsi la médiation des concepts, en se servant de l’apparence sensible.

 

Nous avons vu que du point de vue de l’efficacité technique, l’art produit de l’illusion. On peut alors le considérer comme inutile. Mais face à la nature, l’art manifeste une supériorité du fait qu’il exprime l’Esprit et de ce point de vue, l’art est utile. Il faudrait alors saisir l’utilité comme quelque chose qui nous libérerait de l’utilité au sens premier. Ainsi le fait de se trouver face à un objet inutile, dépourvu d’efficacité nous montrerait qu’il est essentiel de ne pas chercher le rendement partout. La contemplation esthétique consisterait en un regard désintéressé, défait de toute volonté sur l’essence des choses : leur utilité serait délaissée car seule importerait la beauté. L’œuvre d’art nous libérerait de notre regard logique sur les choses, de la vérité technique. Nietzsche, très critique à l’égard des sciences, veut voir la liberté dans l’art : il écrit ainsi que « nous avons l’art pour nous libérer de la liberté «.

La rencontre avec le beau nous libère de l’utile, car le sentiment esthétique révèle la prétention de l’universalité qui reste subjectives : nous sommes sensibles à la beauté mais de façon personnelle. L’art créerait ainsi une communication plus profonde que la froideur du concept. Mais le beau est une nation antinomique : en effet, est-il absolu ou relatif ? La beauté, à travers l’art reste un moyen de communication car on peut en discuter à l’infini. C’est donc elle qui crée le sens commun, une sorte de « milieu « entre l’absolu et le relatif. On peut également considérer  l’art comme un formidable moyen de communication car l’appréciation esthétique provoque en nous des sentiments qui nourrissent le jeu de l’imagination et de l’entendement, ainsi l’art propose une forme de dialogue indirect.

Enfin, il faut rattacher l’artiste au monde de la perception, la science ne vit pas dans ce monde, elle cherche à agir sur lui. Au contraire l’art se désintéresse du monde dans la mesure où il est utile. L’artiste ne voit pas les choses par où on peut s’en servir, mais par où il les perçoit : ce qui intéresse l’artiste, c’est l’énigme de la perception.

Ainsi, une œuvre d’art est le fruit d‘une observation de la perception, plutôt que la volonté que la volonté de l’imiter : les choses se peignent à travers le peintre, plutôt qu’il ne cherche à les reproduire. L’artiste a un autre rapport au monde : « l’entrelacs « de Merleau-Ponty montre le jeu étroitement mêlé du sujet et du monde où l’art serait l’indivision du sentant et du senti. Donc, la beauté que suscitent les œuvres d’art va au-delà du principe d’unité puisqu’elle est un moyen de communication et une façon de découvrir l’intime relation du sujet et du monde.

 

C’est en effet l’inutilité de l’art qui fait sa richesse. Comme l’art n’a pas d’autre but que lui-même, l’homme se projette dans l’art, il commence un travail d’interprétation : il crée des images, déforme la réalité. La non- objectivité de l’art fait sa force, car toutes les interprétations sont possibles. L’art n’est pas utile au sens commun du terme mais, au sens intellectuel, il développe une manifestation de l’esprit.

 

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