Devoir de Philosophie

Faulkner, le Bruit et la Fureur (extrait).

Publié le 07/05/2013

Extrait du document

faulkner
Faulkner, le Bruit et la Fureur (extrait). Dans un récit éclaté mélangeant le monologue intérieur et la narration classique et visant à l'intrication complexe des consciences, Faulkner, après Joyce, pose à son tour les fondations du roman moderne. Comme le suggère son titre, emprunté au célèbre vers de Macbeth de Shakespeare -- « [La vie est] un conte dit par un idiot, plein de bruit et de fureur, qui ne signifie rien. « --, l'auteur y livre une vision hallucinée de l'Amérique sudiste à travers le destin d'une famille incapable d'endiguer les effets de ses pulsions dévastatrices. Le Bruit et la Fureur de William Faulkner Moins le quart se mit à sonner. La première note vibra, mesurée et tranquille, sereine et péremptoire, vidant le lent silence pour faire place à la note suivante c'est ça si les gens pouvaient toujours s'interchanger comme ça émerger quelques secondes comme une flamme tourbillonnante puis proprement s'éteindre dans la fraîcheur de la nuit éternelle au lieu de rester étendu luttant pour oublier le hamac jusqu'au moment où tous les cyprès dégageaient cette odeur poignante et morte de parfum dont Benjy avait tant horreur. Rien qu'en imaginant le bouquet d'arbres il me semblait entendre des murmures des désirs secrets sentir le battement du sang chaud sous des chairs sauvages et offertes regarder contre des paupières rougies les porcs lâchés par couples se précipiter accouplés dans la mer et lui il faut se tenir éveillé pour voir le mal s'accomplir pendant quelques instants ce n'est pas tous les jours que et moi il ne faut même pas si longtemps pour un homme courageux et lui tu considères donc cela comme du courage et moi certainement pas vous et lui tout homme est l'arbitre de ses propres vertus le fait qu'on estime qu'un acte est courageux ou non est plus important que l'acte lui-même qu'aucun acte sans quoi on ne pourrait jamais être sincère et moi vous ne me croyez pas sérieux et lui je crois que tu es trop sérieux pour me donner de vraies raisons de m'inquiéter autrement tu n'aurais pas été poussé à recourir à l'expédient de me dire que tu avais commis un inceste et moi je ne mentais pas je ne mentais pas et lui tu désirais sublimer en une chose horrible un peu de la folie naturelle aux humains et puis l'exorciser au moyen de la vérité et moi c'était pour isoler Caddy de ce monde bruyant et le forcer ainsi à nous renier et le son en serait alors comme si cela n'avait jamais été et lui as-tu essayé de le lui faire faire et moi j'avais peur de le faire peur qu'elle n'acceptât peut-être et alors c'eût été inutile mais en vous disant que nous l'avions fait la chose devenait positive et les autres eussent été différents et le monde se serait enfui avec fracas et lui quant à l'autre sujet là encore tu ne mens pas maintenant mais tu ne vois pas encore ce qu'il y a en toi cette part de vérité générale la succession d'événements naturels et leurs causes qui obscurcit le front de tous les hommes même de Benjy tu ne penses pas à une chose finie tu contemples une apothéose dans laquelle un état d'esprit temporaire deviendra symétrique au-dessus de la chair et conscient à la fois de sa propre existence ainsi que de la chair il ne te mettra pas entièrement de côté ne sera même pas mort et moi temporaire et lui tu ne peux pas supporter la pensée qu'un jour tu ne souffriras plus comme ça maintenant nous arrivons au point tu sembles ne voir en tout cela qu'une aventure qui te fera blanchir les cheveux en une nuit si j'ose dire sans modifier en rien ton apparence tu ne le feras pas dans ces conditions-là ce sera une chance à courir et ce qu'il y a d'étrange c'est que l'homme conçu accidentellement et dont chaque respiration n'est qu'un nouveau coup de dés truqués à son désavantage ne veut pas affronter cette étape finale qu'il sait d'avance avoir à affronter sans essayer d'abord des expédients qui vont de la violence aux chicaneries mesquines expédients qui ne tromperaient pas un enfant et un beau jour poussé à bout par le dégoût il risque tout sur une carte retournée à l'aveuglette un homme ne fait jamais cela sous la première impulsion du désespoir du remords ou du deuil il ne le fait qu'après avoir compris que même le désespoir le remords et le deuil n'ont pas grande importance pour le sombre jeteur de dés et moi temporaire et lui on croit difficilement qu'un amour un chagrin ne sont que des obligations achetées sans motif ultérieur et qui viennent à terme qu'on le désire ou non et sont remboursées sans avertissement préalable pour être remplacées par l'emprunt quel qu'il soit que les dieux se trouvent lancer à ce moment-là non tu ne feras pas cela avant d'avoir compris que même elle ne valait peut-être pas un si grand désespoir et moi je ne ferai jamais cela personne ne sait ce que je sais et lui je crois qu'il vaudrait mieux que tu partes tout de suite pour Cambridge tu pourrais aller passer un mois dans le Maine tes moyens te le permettent si tu fais attention ça te serait peut-être très bon surveiller de près ses dépenses a cicatrisé plus de blessures que Jésus et moi et si j'avais déjà compris ce que vous pensez que je comprendrai là-bas la semaine prochaine ou le mois prochain et lui alors il faudra te rappeler que t'envoyer à Harvard a été le rêve de ta mère depuis le jour de ta naissance et un Compson n'a jamais désappointé une dame et moi temporaire ça vaudra mieux pour moi et pour nous tous et lui tout homme est l'arbitre de ses propres vertus mais il ne faut jamais laisser un homme prescrire à un autre ce qu'il croit devoir lui convenir et moi temporaire et lui était le plus triste de tous les mots il n'y a rien d'autre en ce monde ce n'est pas le désespoir jusqu'à ce que le temps ce n'est même pas le temps jusqu'à ce qu'on puisse dire était. La dernière note résonna. Les vibrations s'arrêtèrent enfin et les ténèbres reprirent leur immobilité. J'entrai dans la pièce qui nous servait de salon et j'allumai la lumière. Je mis mon gilet. L'odeur d'essence était très faible maintenant, à peine perceptible et, dans le miroir, la tache ne se voyait pas. Pas tant que mon oeil en tout cas. Je mis mon veston. J'entendis le froissement de la lettre de Shreve à travers l'étoffe. Je la pris et en examinai l'adresse puis je la mis dans ma poche de côté. Ensuite je posai la montre dans la chambre de Shreve et je la mis dans son tiroir puis j'allai dans ma chambre, j'y pris un mouchoir propre et j'allai à la porte et je mis la main sur l'interrupteur électrique. Je me rappelai alors que je ne m'étais pas lavé les dents et je dus rouvrir ma valise. Je trouvai ma brosse et pris un peu de la pâte de Shreve, puis je sortis et me brossai les dents. Je séchai la brosse en la pressant le plus possible et je la remis dans ma valise que je refermai. Et je me dirigeai de nouveau vers la porte. Avant d'éteindre la lumière je regardai partout pour voir s'il n'y avait plus rien et je vis que j'avais oublié mon chapeau. Il me faudrait passer par la poste et j'étais sûr d'en rencontrer et ils me prendraient pour l'étudiant typique de Harvard qui veut jouer au senior. J'avais oublié aussi de le brosser, mais Shreve avait une brosse et je n'eus pas à rouvrir ma valise. Source : Faulkner (William), le Bruit et la Fureur, trad. par Maurice-Edgar Coindreau, Paris, Gallimard, coll. « Folio «, 1972. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

Liens utiles