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LE MYTHE DE LA CAVERNE

Publié le 22/02/2012

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Imagine un antre souterrain ayant dans toute sa longueur une ouverture qui donne une libre entrée à la lumière, et dans cet antre des hommes enchaînés depuis l'enfance, de sorte qu'ils ne puissent changer de place ni tourner la tête, à cause des chaînes qui leur assujettissent les jambes et le cou, mais seulement voir les objets qu'ils ont en face. Derrière eux, à une certaine distance et à une certaine hauteur. est un feu dont la lueur les éclaire, et, entre ce feu et les captifs, est un chemin escarpé. Le long de ce chemin, imagine un mur semblable à ces cloisons que les charlatans mettent entre eux et les spectateurs, pour leur dérober le jeu et les ressorts secrets des merveilles qu'ils montrent. — Je me représente tout cela. — Figure-toi des hommes qui passent le long de ce mur, portant des objets de toute espèce, des figures d'hommes et d'animaux en bois ou en pierre, de sorte que tout cela paraisse au-dessus du mur. Parmi ceux qui les portent, les uns s'entretiennent ensemble, les autres passent sans rien dire. — Voilà un étrange tableau et d'étranges prisonniers! — Ils nous ressemblent pourtant de point en point. Et d'abord, crois-tu qu'ils verront autre chose, d'eux-mêmes et de ceux qui sont à leurs côtés, que les ombres qui vont se produire vis-à-vis d'eux dans le fond de la caverne ? — Que pourraient-ils voir de plus, puisque depuis leur naissance ils sont contraints de tenir toujours leur tête immobile? — Verront-ils aussi autre chose que les ombres des objets qui passent derrière eux ? — Non. — S'ils pouvaient converser ensemble, ne conviendraient-ils pas entre eux de donner aux ombres qu'ils voient les noms des choses mêmes ? — Sans contredit. — Et s'il y avait au fond de leur prison un écho qui répétât les paroles des passants, ne s'imagineraient-ils pas entendre parler les ombres mêmes qui passent devant leurs yeux ? — Oui. — Enfin, ils ne croiraient pas qu'il existât autre chose de réel que ces ombres. — Sans doute. — Vois maintenant ce qui devra naturellement leur arriver si on les délivre de leurs fers et qu'on les guérisse de leur erreur. Qu'on détache un de ces captifs, qu'on le force sur-le-champ de se lever, de tourner la tête, de marcher et de regarder du côté de la lumière: il ne fera tout cela qu'avec des peines infinies: la lumière lui blessera les yeux, et l'éblouissement qu'elle lui causera l'empêchera de discerner les objets dont il voyait auparavant les ombres. Que crois-tu qu'il répondrait si on lui disait que jusqu'alors il n'a vu que des fantômes, qu'à présent il a devant les yeux des objets plus réels et plus approchants de la vérité? Si on lui montre ensuite les choses à mesure qu'elles se présenteront, et qu'on l'oblige, à force de questions, de dire ce que c'est, ne le jettera-t-on pas dans l'embarras, et ne se persuadera-t-il pas que ce qu'il voyait auparavant était plus réel que ce qu'on lui montre? — Sans doute. — Et si on le contraignait de regarder le feu, n'aurait-il pas mal aux yeux ? n'en détournerait-il point ses regards pour les porter sur ces ombres qu'il fixe sans effort ? Ne jugerait-il pas qu'elles ont quelque chose de plus net et de plus distinct que tout ce qu'on lui fait voir ? — Assurément. — Si maintenant on l'arrache de la caverne, et qu'on le traîne par le sentier rude et escarpé. jusqu'à la clarté du soleil, quel- supplice pour lui d'être traîné de la sorte! dans quelle fureur il entrerait ! et lorsqu'il serait arrivé au grand jour, les yeux tout éblouis de son éclat, pourrait-il rien voir de cette foule d'objets que nous appelons des êtres réels ? — Il ne le pourrait pas tout d'abord. — Il lui faudrait du temps. sans doute, pour s'y accoutumer. Ce qu'il discernerait plus aisément, ce seraient d'abord les ombres, ensuite les images des hommes et des autres objets, peintes sur la surface des eaux: enfin, les objets eux-mêmes. De là il porterait ses regards vers le ciel dont il soutiendrait plus facilement la vue pendant la nuit à la lueur de la lune et des étoiles, qu'en plein jour à la lumière du soleil. — Sans doute. — A la fin, il serait en état non seulement de voir l'image du soleil dans les eaux et partout où elle se réfléchit, mais de le fixer, de le contempler lui-même à sa véritable place? — Oui. — Après cela, se mettant à raisonner, il en viendra à conclure que c'est le soleil qui fait les saisons et les années, qui gouverne tout dans le monde visible, et qui est en quelque sorte la cause de tout ce qui se voyait dans la caverne. — Eh bien, mon cher Glaucon, c'est là précisément l'image de la condition humaine. L'antre souterrain, c'est ce monde visible: le feu qui l'éclaire, c'est la lumière du soleil ce captif qui monte à la région supérieure et qui la contemple. c'est l'âme qui s'élève jusqu'à la sphère intelligible. Voilà du moins quelle est ma pensée, puisque tu veux la savoir. Dieu sait si elle est vraie. Quant à moi. la chose me parait telle que je vais dire : aux dernières limites du monde intelligible est l'idée du Bien, qu'on aperçoit avec peine, mais qu'on ne peut apercevoir sans conclure qu'elle est la cause première de tout ce qu'il y a de beau et de bon dans l'univers que, dans ce monde visible, elle produit la lumière et l'astre de qui elle vient directement: que, dans le monde invisible, elle engendre la vérité et l'intelligence: qu'il faut enfin avoir les yeux sur cette idée pour se conduire sagement dans sa vie privée et publique. (République, VII)

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